L’année en cours

Des lieux et des histoires

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Un lieu, au cinéma, n’est pas un simple décor, ni juste un espace

Beaucoup d’histoires de cinéma naissent de lieux concrets qui les ont inspirées. D’autres, plus mentales, ont besoin de trouver un lieu réel pour s’incarner dans un film. Le cinéma se joue souvent entre ces deux pôles : celui du lieu où évoluent les personnages et celui de l’histoire qu’ils vivent dans le scénario.

Le personnage du petit Ahmad de Où est la maison de mon ami ? de Kiarostami n’existerait pas sans la réalité concrète des deux villages de montagne entre lesquels il fait des allers retours. Le scénario de La Nuit du chasseur de Charles Laughton est aussi celui des lieux symboliques que les deux enfants traversent : la maison de la mère, la cave, la rivière, la grange, la maison de la vieille dame qui les accueille.

Tout d’abord, un lieu n’est pas « générique ». Ce n’est pas la colline, ou le jardin, mais telle colline précise, tel jardin unique parmi tous les jardins. Un lieu est forcément circonscrit, délimité, singulier. Un pays, une ville, ne sont pas des lieux.

L’espace est une notion objective et homogène. Les caractéristiques d’un espace relèvent de la géométrie et sont les mêmes pour tous. Un lieu, au contraire, est fait de souvenirs, d’affects, différents pour chacun, de résonances personnelles.

Un lieu n’existe que pour un individu, ou une petite communauté, qui en a une expérience directe, et presque toujours affective. Un lieu ça a une mémoire, une histoire, souvent un nom pour celui ou ceux pour qui il compte.

Les lieux, quand ils ne sont pas de purs décors, racontent aussi leur propre histoire, celle de leur mémoire et de leur culture.

Le lieu c’est ce qui connecte le réel, l’imagination et la mémoire. Ce qui constitue l’essence même du cinéma.

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Des espaces personnels dans l’espace commun

Michel Foucault a inventé le concept d’hétérotopie qui est très éclairant pour penser le rapport entre l’espace objectif, homogène, et les espaces hétérogènes que les hommes en isolent. L’enfance est le moment de la vie où ce travail de privatisation affective d’espaces personnels dans l’espace commun est le plus actif et productif. Beaucoup de romans et de films en témoignent. Je pense, entre autres, à L’esprit de la ruche de Victor Erice, à Zéro de conduite de Jean Vigo, et à tant d’autres que nous allons repérer. Le film posthume de Manoël de Oliveira, La Visite ou Mémoires et confession, en est le plus pur des exemples : son scénario, c’est le lieu même.

Alain Bergala

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