L’extrait de la mobylette des Petites Fugues de Yves Yersin est un extrait qui m’a beaucoup inspiré dans la réalisation de mon exercice sur la sensation. En effet, on y voit un vieux monsieur recevoir une mobylette et la découvrir au fur et à mesure en touchant ses différents composants. On éprouve tout au long de l’extrait trois sensations différentes : l’odorat, l’ouïe et le toucher. Le réalisateur filme l’objet en le fragmentant par le montage et en utilisant des gros plans et la longue focale. On ressent à l’aide des bruitages et des gros plans notamment la sensation de toucher que le personnage éprouve lui-même car le son est accentué et que l’on voit très bien chaque détail. On ressent également l’odeur que sent le personnage à l’aide du son que le réalisateur a volontairement amplifié et enfin, notre ouïe est stimulée car on ressent le bruit que font les différents composants. En ressentant ces sensations, le personnage principal nous les transmet également et nous avons presque le sentiment d’être nous-même sur place. Cet extrait m’a permis de comprendre qu’avec une simple caméra et un petit peu de montage nous pouvions complètement transporter le spectateur et il m’a inspiré pour tourner mon film. Je l’ai bien regardé avant de tourner et j’ai compris à quel point les gros plans seraient importants si je voulais que mon exercice soit réussi. Il m’a totalement aidé à respecter la consigne qui ne m’inspirais pas forcément auparavant. De plus, lorsque je suis arrivé à l’étape du montage, je me suis inspiré de Yves Yersin en accentuant tous les bruitages de souffle notamment ce qui a été la décision la plus pertinente de mon film.
Pour nous préparer à la pratique ainsi que nous faire comprendre et réfléchir sur la sensation, nous avons visualisé de nombreux extraits en classe. Trois en particulier m’ont fait comprendre ce qu’était la sensation et surtout réfléchir à la manière de la représenter, mettre en scène.
Tout d’abord, Les climats de Nuri Blige Ceylan. Il s’agit d’un film Turc de 2006 qui raconte la séparation difficile d’un couple au fur et à mesure des saisons.
Extrait : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18717355&cfilm=109741.html
L’extrait étudié montre le personnage féminin transpirant sous la chaleur du soleil. Je n’ai pas réussi à le retrouver sur Youtube mais je me rappelle que c’est lui qui m’a fait comprendre ce qu’était la sensation. En effet, le spectateur ressent parfaitement la chaleur grâce à la mise en scène. Les gros plans sur le corps mouillé de sueur, en maillot de bain, ramènent au fait que la sensation est corporelle et individuelle, ce que je n’avais pas forcément compris. Je confondais encore émotion et sensation. Or, cet extrait montre des choses purement liées au corps : la transpiration, le rythme cardiaque ralenti… qui nous font comprendre alors qu’il fait une chaleur écrasante dans le film. C’est par l’intimité avec le personnage que passe donc la sensation. Par lui, en somme. Et cette proximité avec ce corps féminin brûlant dégage quelque chose de sensuel.
Ensuite, deux extraits se sont complétés : 2001 l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick et Les Petites Fugues de Yves Yersin. Dans le premier, un astronaute vit une sorte d’extase qui le plonge dans un rêve cauchemardesque à travers l’espace et le temps. Dans le second, un paysan reçoit une mobylette, la découvre, puis l’essaye jusqu’à, ivre de joie, »s’envoler » avec.
Stanley Kubrick m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas hésiter à tomber dans l’abstrait. Ce n’est pas pour rien que le cinéma expérimentale est dit « à sensations ». Plus le film va dans l’abstrait, plus il fait appel à nos sens à l’état pure. Lorsqu’on a plus de réel sur lequel s’accrocher, reste à analyser les sensations produites par ce que l’on regarde. Kubrick ne joue d’ailleurs pas tant sur les sensations de son personnage que sur les nôtres. Celui-ci est en extase. Cela produit des explosions de couleurs, des formes et sons étranges. Tandis que pour nous, spectateur, il serait difficile de ne pas ressentir une sorte de malaise face à cela. Presque une peur nous traverse l’échine. On est plongé, par un point de vue subjectif, dans la tête de l’astronaute et on voit ce qu’il voit. Des surimpressions nous font aussi voir son visage extasié ou ses yeux en gros plan. Il est presque trop intimiste d’assister à une telle jouissance… En bref, donc, cet extrait est de la sensation à l’état brut. De la sensation filmée, celle de l’astronaute, mais également de la sensation ressentie, par le spectateur. Et ce, grâce à la forme expérimentale du film qui concentre le spectateur sur ses sens par les images abstraites. Cela m’a inspiré lors du montage de l’exercice 3 sur la sensation. Ainsi, je me suis, moi aussi, permise de tomber dans l’abstrait pour faire comprendre à mon spectateur la sensation recherchée. Je l’ai comparée avec l’explosion d’un feu d’artifice qui ensuite se rétracte. Image de l’explosion de jouissance mais qui demeure éphémère. Tout comme Kubrick nous montre un extase trop puissant qui amène à la folie.
Les petites fugues, d’Yves Yersin, m’a conforté dans cette idée qu’une sensation pouvait tomber dans l’abstrait. L’extrait m’a également fait comprendre autre chose : l’arrivée d’une sensation se prépare. Au début, le personnage touche et caresse sa mobylette. Il tisse un lien intime avec elle, la rencontre, apprend à la connaître. Le toucher est à l’honneur, accompagné des bruitages. Les gros plans nous font rentrer dans l’intime de cette scène presque sensuelle. Nous caressons avec le personnage la mobylette. Cette scène surprenante nous prépare à la suite, encore plus surprenante. La relation de cet homme avec cet engin a quelque chose d’étrange, de fusionnel. La scène suivante nous montre le personnage chevauchant sa mobylette à travers la campagne, la foret, affrontant une pluie qui le trempe (nous ressentons pour lui la sensation des vêtements mouillés, le froid). Nous sommes dans ses sensations. Puis soudain, la mobylette s’envole et nous passons en point de vue subjectif, et nous nous envolons. Nous avions été préparés à entrer dans le personnage, dans l’abstrait, nous y voici. L’envol nous fait comprendre à quel point cette machine signifie la liberté, le bonheur, le fait d’échapper au quotidien et de le survoler. Tout cela n’a pas besoin d’être dit, on le ressent, comme le personnage. Nous aussi, on s’échappe avec lui. Le film nous avait préparé à cette prise de hauteur.
Le premier extrait qui m’a inspiré provient de Les petites fugues de Yves Yersin. On y voit un vieil homme qui découvre une mobylette. Il caresse le cuir de la selle, fait sonner la sonnette, touche la chaîne… Le réalisateur filme cela en fragmentant l’objet en gros plans avec une longue focale. Il isole ainsi notre vision sur l’action que fait l’homme, et la proximité que l’on a avec les différentes parties du vélo nous fait mieux ressentir les sensations qui s’y rattachent. Ce procédé marche particulièrement avec la sonnette, car il est accompagné de son bruit (on a donc l’ouïe) et avec la chaîne, car la vision de la graisse nous la fait presque sentir. Le gros plan associé à un bruitage est un des procédés les plus utilisés, et on le retrouvera dans la plupart des extraits que je vais citer.
Il m’est ensuite nécessaire de citer Petite lumière, d’Olivier Gomis. Ce court métrage montre une petite fille jouer avec ses oreilles, ses yeux, sa bouches, imitant ainsi le travail d’un réalisateur. Le son y est très important, car il joue ici le rôle de la vue. On le voit dès le début du film: la fille écoute des bruitages de montagne, ferme les yeux et se retrouve sur une montagne (de déchets cependant). Ce dernier plan est presque inutile, car les bruitages seuls nous font déjà imaginer l’endroit. Ils nous permettent donc d’éprouver à la fois l’ouïe et la vue. Le procédé est encore utilisé plus tard, mais de différentes manières :
– une première fois de la même manière que la montagne : la petite fille en jouant avec ses oreilles entend un vélo, qui s’affiche ensuite à l’écran (le son amène la vision)
– Puis une deuxième fois quand elle joue avec une balle imaginaire. On entend le bruit de la balle mais on ne la voit pas. Cependant, le bruitage (ici extra-diégétique) nous permet presque de savoir où se trouve la balle : le son remplace la vue.
– Et enfin quand elle marche dans le sable: on entend a la place ses pas s’enfoncer dans de la neige. C’est au spectateur de s’imaginer le reste : le son a maintenant remplacé le décor.
Je trouve cet usage du son assez habile, parce qu’il nous fait voir quelque chose avec un sens différent de celui utilisé habituellement. L’imagination du spectateur a ainsi créé une balle ou un décor de banquise : des effets spéciaux sont ainsi faits à moindre prix.
La ligne rouge de Terrence Malick montre dans son introduction la sensation de flottement. On y voit des arbres, et des enfants qui nagent. Malick filme cela par en dessous, bouge lentement la caméra tout en faisant de très lents travellings. Ces ingrédients ajoutés aux bruits de la nature et à la musique assez douce de Hans Zimmer détend le spectateur en début de film, et lui fait ressentir une sensation d’apesanteur, de vol presque. La longueur des plans est ici essentielle. Je me dois encore de parler des Petites fugues, car on peut y voir une scène décrivant la même sensation mais filmée d’une manière différente.
Le vieil homme de tout à l’heure est maintenant sur son vélo, en train de rouler. Arrive ce qui est au départ un plan fixe, montrant la route du point de vue subjectif de l’homme. Puis la caméra s’élève de plus en plus haut, par dessus les arbres, la forêt, s’éloignant du point de vue du personnage. Le reste du plan est filmé au drone, planant au dessus de la vallée. La sensation est donc ici beaucoup plus perceptible, la caméra s’envolant littéralement. Le réalisateur retranscrit au spectateur ce que ressent le vieil homme sur sa mobylette.
La scène de danse dans La vie nouvelle de Philippe Grandrieux montre elle une autre manière de filmer la sensation, et plus précisément la transe. L’extrait commence par un gros plan en longue focale sur le visage d’un homme et d’une fille en train de danser. Puis, quand la musique -instrumentale- va arriver, le cadre va se mettre à trembler de plus en plus. Les plans qui ne font que se rapprocher s’enchaînent de plus en plus rapidement, tandis que le tremblement de la caméra s’intensifie. Les acteurs maintenant filmés en très gros plan sortent presque tout le temps du cadre. Tout est fait pour que le spectateur ait lui aussi l’impression de danser. L’image devient ensuite de plus en plus floue, pour recréer la frénésie dans laquelle se trouve les personnages. Pendant de temps l’actrice tourne sur elle-même, ce qui perd encore plus le spectateur. Au bout de trois minutes, la musique s’arrête pour n’être remplacée que par le bruit que font leurs corps qui dansent. L’égarement est total. Cet extrait m’a intéressé car il assume ses faux raccords et ses « erreurs » de tournage : le flou et le mauvais cadrage des plans sert l’image et le récit. Cet esprit est un peu le même que celui des réalisateurs de la Nouvelle Vague qui faisaient exprès de faire des faux raccords et de briser les règles de réalisation dans leurs films (cf. A bout de souffle). Il m’a aussi aidé pour réaliser l’exercice 2 « sensation et musique », qui portait lui aussi sur une transe, et où l’on a aussi utilisé les cuts rapides et les gros plans pour la représenter.
Pour conclure, je dirais que la sensation est un élément presque essentiel dans un film, et qu’il y a de nombreux moyens de la représenter. On peut même se demander si pour être attaché émotionnellement à un film, il ne faudrait pas obligatoirement y ressentir des choses… Je finirais donc en citant Victor Cherbuliez qui disait « Les sensations tiennent plus de place dans notre existence que les pensées.
- D’autres extraits encore proposés par Alix :
La scène d’ouverture du film ”Gravity” d’Alfonso Cuaron propose au spectateur la sensation de vertige notamment par : le vide sonore (un bourdonnement sourd), la caméra flottante qui permet un rapprochement et l’éloignement des personnages ainsi que des retournements de la caméra et enfin un balai des corps (fluidité, lenteur) où l’on peut retrouver des personnages à l’envers.
Ces choix de mise en scène de Alfonso Cuaron, le réalisateur, permettent de créer la sensation de vertige. La sensation n’est pas à confondre avec les émotions, notamment dans ce passage la peur, la panique ou le stress.
De plus, un extrait du film ”Phantom Thread” de Paul Thomas Anderson mettait en scène la sensation de toucher grâce à des gros plans, des plans longs qui suivent le mouvement de la main du couturier Reynolds Woodcock mais aussi grâce à une dimension sonore continue (son de caresse d’un tissu).