Archive pour le 12.2008

Alain Renoir, fils de Jean

lundi 15 décembre 2008

Alain Renoir

Jacques Renoir m’a appelé samedi pour m’annoncer la mort d’Alain Renoir, survenue la veille, le 12 décembre à 15 heures. Alain Renoir était le fils unique de Jean Renoir, né en 1921. Sa mère était Catherine Hessling, mais il avait surtout été élevé par Dido, la deuxième femme de Jean Renoir.

Alain Renoir vivait depuis longtemps en Californie. Il avait obtenu la nationalité américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il s’était enrôlé dans l’armée américaine pour combattre à ses côtés dans le Pacifique. Il vivait sa retraite dans un petit bled, à Esparto, non loin de Sacramento. Il y a quatre ans, au mois d’avril 2004, j’avais fait le voyage pour lui parler de l’exposition que nous allions consacrer à Jean Renoir, et à Pierre-Auguste Renoir, son grand-père. Patricia, sa femme, et lui m’avaient reçu dans leur maison, on se serait cru dans le Midi de la France, il y élevait une oie, des animaux… C’était au bout du monde. Alain Renoir parlait l’anglais avec un fort accent français, sa voix ressemblait à celle de son père : une voix bonhomme, généreuse, amicale, prête à rire et à s’enthousiasmer. Il m’avait raconté sa vie, passionnante. Très jeune il s’était retrouvé sur les tournages de son père. Ainsi, dans Une partie de campagne, il apparaît dans quelques plans, jeune rouquin (au spectateur d’imaginer son teint roux dans un film en noir et blanc !), crâne rasé, pêchant à la ligne sur un pont, lorsqu’apparaît la carriole de la Famille Dufour. Sur des photos de tournage, il fait le clap. Le tournage se déroulait non loin de Marlotte, là où se trouvait la maison familiale des Renoir, près de Moret-sur-Loing. Alain Renoir avait à peine quatorze ans.

Bien des années plus tard, Guy Cavagnac a interrogé Alain Renoir à propos du tournage d’Une partie de campagne. Cet entretien figure dans un beau livre dont je recommande la lecture : Une partie de campagne : Eli Lotar, photographies du tournage, sous la direction de Guy Cavagnac (Éditions de l’Œil, 2007). Voici un extrait de cet entretien:

Alain Renoir : « Avant le film, je n’habitais pas avec mon père mais à Meudon avec ma grand-mère maternelle. Mon père venait très souvent. Il avait une chambre, mais il habitait alors rue des Saules, à Paris, où il avait un appartement avec Marguerite. Toute ma famille a habité rue des Saules : mon père, mon cousin Claude, mon oncle Pierre ont tous habité rue des Saules. Mon père venait donc de temps en temps passer une nuit à Meudon pour être avec moi, et ce n’est qu’après le tournage que, ma grand-mère étant restée à Marlotte, je suis allé vivre avec mon père à Paris au lieu de Meudon. Ce qui fait que je n’étais pas avec mon père pendant la préparation du film. […] Pendant le tournage d’Une partie de campagne, Darnoux m’avait un peu adopté. Par exemple, une fois il m’avait laissé conduire sa Bugatti… Il avait une expression… il disait : « Ah ! tu es gonflé à bloc ! » Je ne savais pas ce que ça voulait dire, c’était formidable et je buvais du petit lait. J’avais dû aller jusqu’à 20 kilomètres/heure ! Un jour, il me dit : « Tu veux bien dîner avec moi et une amie ? » Je dis oui. On va au Bas Bréau à Barbizon. Il y avait en effet une jeune femme blonde. Je me souviens qu’elle n’était pas particulièrement jolie. On dîne. Arrive le dessert et Darnoux me dit : « Écoute, tu restes ici, tu finis ton dessert. Nous avons quelque chose à faire. » Ils se sont absentés une demi-heure. Ils sont revenus et ça m’a pris longtemps avant de comprendre. […] Darnoux inventait des mots. Par exemple, il y avait un vieil opérateur de prises de vue qui avait travaillé avec mon père au temps du muet et qui s’appelait Gibory, et Darnoux avait décidé que Gibory c’était un beau nom pour le membre sexuel – le Gibory -, et tout le monde dans le cinéma disait « mon Gibory ». Au lieu de dire « mon membre sexuel », on disait « mon Gibory ». Pour les choses ridicules il se servait de l’expression « ragoût de veau ! » Il disait « Ce type-là c’est un ragoût de veau ! » Il avait un talent pour trouver des mots que tout le monde adoptait. Je me rappelle de la dernière lettre que j’ai eue de lui, c’était tout de suite après la guerre, un mot qui disait ceci :« Mon cher Alain, les Français sont des ragoûts de veau. Georges. »

Ce livre est fait de très belles photos faites d’Eli Lotar. On y voit le tournage d’Une partie de campagne, ce film unique au monde. La belle Sylvia Bataille, dont plusieurs membres de l’équipe étaient amoureux. Les fameuses photos de l’actrice sur la balançoire. Henri Cartier-Bresson et Georges Bataille déguisés en curés. Acteurs et techniciens au travail. Jean Renoir portant chapeau ; Cartier-Bresson, Jacques Becker et Luchino Visconti, qui sont ses assistants. Marguerite Houllé-Renoir, la monteuse et compagne du cinéaste, qui joue dans le film la servante de l’auberge. Claude Renoir, le directeur de la photographie, neveu de Jean (et père de Jacques Renoir). Georges Darnoux (l’amoureux de Sylvia Bataille dans le film) et son compère Jacques B. Brunius. Gabriello et Jane Marken. Magnifiques photos de Lotar qui donnent un sentiment idyllique d’un tournage qui, en réalité, fut plutôt catastrophique. A cause du mauvais temps, le tournage s’interrompit, Renoir partit faire Les Bas-Fonds, et Pierre Braunberger n’entreprit de terminer Une partie de campagne qu’après la guerre. N’empêche que c’est un des plus beaux films du monde !

Revenons à Alain Renoir. Il quitta la France en 1940, la même année que son père. Il s’engagea dans l’armée américaine, obtint la nationalité américaine, et à ce titre, parvient à obtenir une bourse pour entreprendre des études universitaires. Il devint ainsi l’un des plus grands spécialistes au monde de littérature anglaise médiévale, professeur puis doyen de l’Université de Berkeley, Californie. Il y a quatre ans, il m’avait reçu avec une grande gentillesse, parlant des heures et des heures de son père, de la famille Renoir. J’avais passé la nuit à Esparto, pris mon petit déjeuner le lendemain matin avec Patricia et lui, avant de reprendre ma route pour retourner à San Francisco. Un souvenir inoubliable.

Joyeux anniversaire, Monsieur Oliveira!

samedi 13 décembre 2008

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Un saut à Porto, ville où je n’avais encore jamais mis les pieds (honte à moi !). L’occasion est belle : ses nombreux amis célèbrent les 100 ans de Manoel de Oliveira. Chacun sait que le plus célèbre des cinéastes portugais est natif de Porto, ville qu’il a célébrée dès son premier court métrage, Douro, Faina fluvial (1931). Je ne regrette vraiment pas d’être venu. Un grand merci à João Fernandes, directeur du musée Serralves, qui a eu la gentillesse de m’inviter. A peine arrivé, il me fait visiter son musée, magnifique bâtiment moderne, situé dans un parc immense sur les hauteurs de la ville. Jusqu’au 18 janvier 2009 s’y tient une belle exposition consacrée à un artiste espagnol très talentueux : Juan Muñoz. Maria de Medeiros nous rejoint pour déjeuner. C’est elle qui présentera la soirée consacrée à Oliveira, prévue autour de 21H30, en présence du ministre portugais de la culture et de nombreux amis de Oliveira.

Le soir, la cérémonie se déroule dans l’auditorium du musée. La célébration du centenaire de Manoel de Oliveira est un événement très important au Portugal. Une commission nationale a même été mise en place, à l’initiative des plus hautes autorités portugaises. Peu de cinématographies dans le monde ont la chance d’avoir un cinéaste d’une telle envergure, fêtant son centenaire alors même qu’il réalise un nouveau film. La cérémonie qui s’est déroulée hier soir n’avait heureusement rien d’académique. Environ deux cents personnes étaient réunies pour entendre plusieurs discours, de gens très proches du cinéaste. Parmi eux, la belle Leonor Silveira et Luís Miguel Cintra, deux acteurs fétiches de Oliveira ; João Bénard da Costa, président de la Cinémathèque du Portugal (et acteur occasionnel dans plusieurs films du cinéaste) ; acteurs ou collaborateurs de Oliveira ; le président et le directeur du Musée Serralves ; le ministre de la culture qui remit à Oliveira la médaille du mérite… A chaque fin de discours, Manoel de Oliveira, assis au premier rang au côté de son épouse Maria Isabel, se levait tel un jeune homme pour remercier l’intervenant, lui serrer la main, l’embrasser ou lui donner l’accolade. Lorsque vint son tour de parler, il remercia, très ému, toutes les personnes présentes et celles qui venaient de témoigner leur gratitude à son égard. Au magnifique discours de Luís Miguel Cintra parlant avec profondeur de son expérience d’acteur, celui-ci répondit : « L’éclat d’un film, c’est l’acteur. Je n’aurai jamais rien appris aux acteurs. Au contraire, j’ai tout appris d’eux. Cela est vrai du cinéma comme du théâtre. La littérature est au-dessus des autres arts. Le cinéma est le miroir de la vie, la synthèse de tous les arts. La littérature n’a pas de limite. Grâce à des auteurs comme Agustina Bessa- Luís, Camilo Castelo-Branco, Madame de La Fayette ou Paul Claudel, j’ai tenté de transcrire au cinéma la photographie de ce modèle qu’est la littérature. »

En fin de soirée, Maria de Medeiros demanda à tous les collaborateurs de la rejoindre sur scène, ce qui fit un magnifique casting. Oliveira les salua tous, la salle était debout. On apporta un énorme gâteau décoré de cent bougies. Manoel de Oliveira les souffla comme un jeune homme. Puis la salle entière entonna un « joyeux anniversaire » des plus vibrant. Oliveira a donc fêté son centenaire, entouré de nombreux amis. Il le fête au travail, puisqu’il tourne en ce moment même un nouveau film à Lisbonne. Avec déjà d’autres projets en tête, qu’il compte bien entreprendre en 2009. Plus le temps passe, plus il se sent des ailes pour attaquer son deuxième siècle.