Archive pour le 07.2009

Tati, c’est (presque) fini

vendredi 31 juillet 2009

L’exposition consacrée à Jacques Tati (« Deux temps trois mouvements ») se termine le 2 août. Il ne reste donc que quelques heures aux retardataires pour la découvrir. À l’heure du bilan, on ne peut que se réjouir du succès de cette exposition : environ 70.000 visiteurs. De tous âges : enfants, adolescents, adultes et personnes dites du troisième âge. Tati, son œuvre, son style, sa mémoire, son humour, ont séduit le public. Macha Makeïeff et Stéphane Goudet, les deux commissaires, ont su montrer et exposer l’univers protéiforme de Tati avec finesse et talent. Leur exposition était à la fois savante et joyeuse, élégante et ludique. Au cœur de l’exposition, le burlesque, l’amour du cirque et de l’art forain, les gags, un goût des objets insolites, et bien sûr la silhouette de monsieur Hulot. Un grand bravo à Macha Makeïeff (également scénographe) et Stéphane Goudet ! Merci aux Films de Mon Oncle, sans lesquels cette exposition n’aurait pas été possible. Merci aux équipes de la Cinémathèque, qui ont contribué à faire de cette exposition un magnifique événement. Merci à nos mécènes, Groupama, Orange et Kodak, d’avoir cru à ce projet en y apportant une contribution financière. Enfin, merci à nos nombreux partenaires qui ont désiré s’y associer.

Autour de l’expo, tout a fonctionné. Les projections des films ont été largement suivies. Quel plaisir de voir la salle Henri Langlois pleine d’enfants venus découvrir Jour de fête ou Mon Oncle. Ou de voir le public se ruer pour voir Play Time en 70 mm. Et le reste, à savoir visites scolaires, ateliers, conférences ou encore la lecture de Confusion, un scénario inédit de Tati. On se souviendra de la conférence donnée par Macha Makeïeff et Jérôme Dschamps, côte à côte et formant un véritable duo sur une partition intelligente et toute en nuance autour de l’univers burlesque du grand Tati. Cette conférence, tout comme le numéro de duettistes donné par Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière (« Comment naît un gag ?), est consultable sur le site de la Cinémathèque française. Idem pour celle donnée par Stéphane Goudet.

La restauration des Vacances de monsieur Hulot a parachevé cette saison Tati. Entreprise par les Films de Mon Oncle, la Fondation Thomson, la Fondation Groupama Gan pour le Cinéma et la Cinémathèque française, cette restauration a d’abord été projetée au Festival de Cannes (dans « Cannes Classics »), puis au Festival de La Rochelle, avant d’être montrée à Bologne (« Cinema ritrovato »). Le film connaît depuis le début du mois de juillet une exploitation en salles (grâce à Carlotta). Pas loin de 20 000 spectateurs l’ont vu en France.

Cet événement Tati a connu quelque péripétie avec l’affaire dite de la pipe de monsieur Hulot. Cela a fait grand bruit (et servi à la promotion de notre exposition). L’idée que cette pipe de monsieur Hulot (saisie dans un photogramme du film Mon Oncle) puisse constituer une infraction à la loi anti-tabac ne nous avait jamais effleurés. Et pourtant, cette pipe a fait scandale. La loi était, dans son application rigoureuse, absurde. Et le débat public a été fort utile pour en montrer les limites dans un usage trop strict. Heureusement, notre deuxième campagne d’affichage dans le réseau métro a rétabli l’image originale, cette fois non retouchée.

Ce que l’on retient de toute cette aventure collective c’est la joie et la légèreté, suscitées par un projet dont l’objectif était de remettre Jacques Tati et son œuvre au présent. À tous égards, il nous semble que l’objectif a été atteint. La Cinémathèque se souviendra longtemps d’avoir vécu pendant près de quatre mois à l’heure Tati.

 

Ses amis l’appelaient Péplum

dimanche 26 juillet 2009

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Il portait le chapeau comme un acteur de second rôle du cinéma français des années 40 et 50. Il s’appelait Victor Bérard et il était né à Paris en 1945. On ne lui connaissait pas d’activité, sinon celle de fréquenter à peu près chaque jour la Cinémathèque. Tous ses amis le surnommaient Péplum. Péplum, tout simplement parce qu’il aimait les péplums. Il était sans aucun doute l’un des plus anciens et des plus fidèles spectateurs de la Cinémathèque française. Depuis les années Chaillot, et Grands Boulevards. Péplum avait suivi le déménagement rue de Bercy, intervenu en 2005, et fréquentait de manière quasi quotidienne la nouvelle Cinémathèque. Cet homme qui connaissait le cinéma sur le bout des doigts, a été retrouvé mort, il y a une quinzaine de jours,  à son domicile dans le quartier de Belleville.

Ses obsèques auront lieu mardi 28 juillet à 15 h au Cimetière parisien de Pantin (164 avenue Jean Jaurès).

Il avait de nombreux amis, parmi les fidèles de la Cinémathèque. Les équipes d’accueil le connaissaient, de même que les projectionnistes, et bien d’autres parmi le personnel de la Cinémathèque. Tous le respectaient, le considérant un peu comme leur « mascotte ». Péplum était une sorte de mémoire du cinéma. Il avait vu et revu tous les films, il savait même quelle copie était projetée, sa provenance, ses qualités et ses défauts. Il vivait le cinéma à temps plein, on ne lui connaissait pas d’autre vie que celle de cinéphile. Il aimait passionnément Rio Bravo, les films de Raoul Walsh et de Michael Curtiz. Il laisse de nombreux amis, tristes, qui ne se consolent pas de sa disparition soudaine. Eric Moreau, un des proches, lui-même très fidèle spectateur de la Cinémathèque, témoigne : « Il attendait avec impatience la rétrospective William Castle. À Bercy, son absence est remarquée. Harris passe chez lui : il est à la morgue, retrouvé mort depuis une semaine. À sa mère, il n’aura guère survécu. Sur le péplum, le mélo à la française a fini par avoir le dessus, avec ses  ambiguïtés pesantes. In memoriam, Péplum. »

Éloge de Michael Mann

vendredi 3 juillet 2009

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Hier soir la Cinémathèque accueillait Michael Mann, venu présenter son nouveau film en avant-première : Public Enemies (sortie le 8 juillet). Costa-Gavras prononça quelques mots de bienvenue et évoqua la personnalité d’un cinéaste dont la réputation à Hollywood est très forte, celle d’un homme de caractère sinon à poigne, reconnu pour son talent et son exigence méticuleuse. Le meilleur cinéaste américain en activité, selon Costa. Je partage cet avis. Mann est un cinéaste parmi les plus importants de notre époque, par la qualité de ses films, leur style, leur mise en scène, leur puissance et leur émotion visuelles. Par le fait aussi que ses films (Heat, The Insider, Collateral ou Miami Vice, pour n’en citer que quatre), renvoient  de manière magistrale, vive et poétique, une image du monde contemporain, à travers la vitesse, la violence, la projection mentale qui habite chacun des personnages.

Autrefois on employait le mot « maître » pour parler de cinéastes comme Hitchcock, Preminger ou Kubrick. Et en France : René Clément, Julien Duvivier ou Henri-Georges Clouzot. Des cinéastes dont la technique était infaillible, et qui pouvaient imposer leur vue à des producteurs encombrants ou velléitaires. Plus tard on a employé le mot « auteur », dans une vision plus moderne de l’écriture cinématographique. Aujourd’hui Michael Mann incarne les deux, car il est à la fois un maître et un auteur. Un classique et un moderne qui parvient à réunir deux tendances du cinéma qui ne se confondent pas souvent : la maîtrise de la mise en scène, le sens aigu du rythme et du montage, de la composition de l’image et du plan (c’est un excellent cadreur), et l’écriture, le regard, une certaine vision mélancolique et tragique du monde, le sentiment de solitude de ses personnages qui naviguent dans le chaos et la violence, la nuit et l’hallucination, le rêve qui se transforme en cauchemar. Mann est celui qui, dans le monde, filme le mieux les grandes métropoles, le jour et la nuit, avec des images bleutées, hyper cadrées, sur les échangeurs d’autoroutes, les tours métalliques éclairées de néons, les reflets défilant sur des vitres teintées de voitures rutilantes. Dans ses films la ville est une forme, un cube qui prend facilement la taille de l’écran.

J’ai rencontré Michael Mann à Los Angeles en septembre 2008, chez son ami John Landis. Je me souviens de leurs discussions ferventes, passionnées, inquiètes aussi,  à propos de la campagne électorale américaine, et des chances qu’avait Barack Obama de l’emporter. Ils y croyaient mais le suspense était entier. Ce soir-là j’ai osé proposer à Michael Mann de nous rendre visite à la Cinémathèque. Il a hésité, venant juste d’achever le tournage de Public Enemies ; il a fini par dire oui, tout en sachant qu’il devait entreprendre un nouveau film probablement durant l’été 2009. On a réussi à caler cette rétrospective au moment de la sortie en France de son film, Michael Mann tenant beaucoup à ce que l’hommage à la Cinémathèque précède de huit jours la sortie de Public Enemies.

Mann est un obsédé du travail. Cela passe avant tout, et avant les honneurs. C’est là une dimension essentielle de sa personnalité, l’obsession du contrôle – comme Hitchcock ou Kubrick. En Amérique on le considère comme un excellent film-maker, car il est un technicien hors pair. Du cinéma Michael Mann connaît tous les rouages. En France on le considère tout simplement comme un grand artiste du cinéma. Ce n’est pas exactement la même chose, même si cela revient à peu près au même : on l’admire et on le respecte. Et on attend avec impatience chacun de ses films.

Qu’est-ce qui fait la force de Michael Mann ? Le fait qu’il écrive ses scénarios (tous ses films à l’exception de Collateral en 2004). Qu’il soit producteur et réalisateur (ce qui lui permet de contrer l’influence des Studios). Qu’il saisisse parfois lui-même la caméra pour cadrer certains plans ou séquences. Qu’il soit nuit et jour aux côtés de ses monteurs – cela m’a été confirmé par Dov Hoenig, qui fut le monteur des premiers films de M. Mann, depuis Thief en 1981, jusqu’à Heat en 1995). Qu’il soit également à l’œuvre lors de phase de postproduction devenue de nos jours un moment essentiel, aussi bien technique qu’artistique du fait de l’impact de la révolution numérique sur la conception des films. Révolution numérique dont Mann tire le maximum d’effets dans la composition plastique de ses films – voir le magnifique Miami Vice. Mann est un cinéaste qui vit l’expérience du cinéma jusqu’au bout, de A à Z. Un auteur complet. Ce n’est pas rien quand on connaît les exigences et les contraintes du système américain des Studios, et la violence des rapports de force entre artistes et financiers.

On ne peut pas ne pas mentionner qu’il aime diriger les acteurs, et qu’il choisit les meilleurs : James Caan, William Petersen, Daniel Day-Lewis, Al Pacino, Robert De Niro, Val Kilmer, Russell Crowe, Will Smith, Jamie Foxx, Tom Cruise, Colin Farrell, Gong Li, plus récemment Johnny Depp, Christian Bale et Marion Cotillard, dans Public Enemies. Ce film compte beaucoup parce qu’il renoue avec le grand cinéma noir des années 30 et 40. Un personnage de légende : John Dillinger. Un univers particulier, celui de la Grande dépression. Mann l’a réalisé avec passion et talent, avec le souci du détail qu’on lui connaît. Ce que l’on ressent c’est la modernité du regard, l’impression de vivre à côté de ses personnages, de ressentir ce qu’ils ressentent. Filmé par Mann, Dillinger (Johnnie Depp) est un homme jeune et libre, insouciant, qui refuse les contraintes de la société. Il n’y a aucune distance, le spectateur est de plain-pied dans l’univers de violence qui était celui des gangsters de cette époque. Je ne vais pas en dire davantage, pour laisser aux spectateurs le plaisir de découvrir ce beau film. Mais il y a une chose qui me frappe, c’est que Dillinger, comme la plupart des personnages des films de Mann, finit sa trajectoire dans une solitude totale. L’énergie qu’il déploie, la violence et le charme qu’il dégage, tout cela finit par en faire un homme coupé des autres, enfermé en lui-même. On connaît la fin de Dillinger, poursuivi par les agents du F.B.I. lancés à sa poursuite. Un jour (nous sommes en 1934), Dillinger se rend au cinéma à Chicago pour voir un film avec Clark Gable (Manhattan Melodrama de W. S. Van Dyke, avec Mirna Loy et William Powell). Il ignore qu’il a été balancé par une femme et que le cinéma est cerné. Gros plan sur son visage, avec le reflet dans ses lunettes du rayon lumineux qui projette le film de Van Dyke sur l’écran. On croit discerner des larmes dans les yeux de Dillinger, tandis que la fin du film se déroule, mélodramatique. Nul doute que pour Michael Mann Dillinger ait été le premier gangster « médiatique », conscient de sa propre image et des effets qu’elle provoqua dans la société américaine. Mise en abyme du personnage dans son double (Gable), et retour brutal à la réalité (la traque dont il est l’objet).

Demain samedi 4 juillet, nous aurons le plaisir d’accueillir Michael Mann pour une leçon de cinéma à la Cinémathèque. Juste après la projection à 14h de Heat, un de ses
plus beaux films.

La rétrospective consacrée à Michael Mann durera jusqu’au 26 juillet 2009. Voir séances dans le programme de la Cinémathèque ou aller sur : www.cinematheque.fr

Dans ce même programme, je vous recommande la lecture du texte de Bernard Benoliel : « Des images dans la tête » (accessible également sur le site de la Cinémathèque).

Lire l’entretien passionnant avec Olivier Assayas dans Les Inrockuptibles, réalisé par Jean-Marc Lalanne en septembre 2004 à l’occasion de la sortie de Collateral (www.lesinrocks.com).

Lire également l’ouvrage sur Michael Mann paru chez Taschen, de F.X. Feeney et Paul Duncan.

Enfin, la plupart des films de M. Mann sont édités en DVD. Mais rien ne vaut de les voir ou revoir sur le grand écran de la Cinémathèque.

Pour ceux que cela intéresse, la « leçon de cinéma » donnée par Michael Mann à la Cinémathèque le 4 juillet est entièrement disponible sur le site : www.cinematheque.fr

Elle a duré deux heures, juste après la projection de Heat, et elle fut passionnante. Michael Mann a vraiment joué le jeu, répondant avec précision aux questions que nous lui posions, Bernard Benoliel et moi, puis à celles du public. Un moment fort, entièrement filmé. 

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