Archive pour le 09.2012

Marcel Hanoun

lundi 24 septembre 2012

Le cinéaste Marcel Hanoun est décédé, samedi 22 septembre 2012 au soir, à la suite d’un arrêt cardiaque à l’âge de 82 ans.

Né le 26 octobre 1929 à Tunis, installé à Paris dès l’après-guerre, il est d’abord photographe et journaliste, avant de réaliser des films, d’écrire sur le cinéma et de fonder une revue, Cinéthique en 1969. Il est entre autres l’auteur de Cinéma cinéaste, paru en 2001 (éditions Yellow Now).

En 1959 Une simple histoire le fait remarquer, en particulier par Jean-Luc Godard, et signale d’emblée son importance singulière : un récit dramatique tiré d’un fait divers, mais raconté avec une économie de moyens inédite, en 16 mm, un montage et un commentaire novateurs, un refus de l’émotion immédiate comme le prix d’un véritable humanisme.

Dès lors et pendant 50 ans, Marcel Hanoun œuvre par et pour le cinéma : quelque 70 fictions et documentaires de toute durée, dans tous les formats, sur tout support, et ne relevant d’aucun genre institué sauf de l’essai filmé et de l’expérimentation continue. Une œuvre qui a toujours su allier l’absence de moyens matériels à l’inventivité formelle : Octobre à Madrid (1967), L’Été (1968), L’Automne en 1971 et Le Printemps en 1972 (deux films avec Michael Lonsdale), La Vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu (1974), Otage (1989), Je meurs de vivre (1994), Chemin d’humanité (1997), Jeanne, aujourd’hui (2000), Cello (2010).

Dans L’Authentique Procès de Carl-Emmanuel Jung (1967), l’un de ses plus beaux films (en partie produit par Jean-Luc Godard et monté avec Jean Eustache), il invente une mise en scène simultanément documentée et allégorique du jugement d’un criminel de guerre nazi. Le film suscite une réflexion et une émotion intense, en ayant recours à une diction dénuée affects apparents, « paroles atonales, sans passion, pour dire l’horreur sans mesure du crime nazi » (M. Hanoun).

Récemment, déjà malade, il signait Insaisissable Image en 2007, tourné avec un simple téléphone portable : un film sur sa vie d’alors, soumise au rythme implacable des dialyses. Et un film de vie, léger et inspiré, drôle, manifestant à chaque plan un amour du monde et du cinéma, une croyance inébranlable en leurs beautés et puissances conjuguées.

En mai 2010 la Cinémathèque française lui rendait hommage, en sa présence, en projetant l’intégralité de ses films. En prévision de cet événement et depuis lors, avec la complicité attentive du cinéaste, la Cinémathèque française a mené et continue de mener un travail de sauvegarde et de restauration de son œuvre.

Une rétrospective de ses films est prévue au Saint-André des Arts, du 14 novembre au 11 décembre 2012, sous le titre : Marcel Hanoun, Un Autre Regard. Cello (2009, 70 minutes) y sera projeté en avant-première, le 26 octobre à 20 heures.

Manoel de Oliveira ou l’enfance de l’art

samedi 8 septembre 2012

Il y avait quelque chose d’étrange et de très émouvant, jeudi soir à la Cinémathèque, sur la scène de la salle Henri Langlois, avant la projection en avant-première de Gebo et l’ombre, le dernier film de Manoel de Oliveira. À voir réunis les six acteurs du film et ses producteurs, Martine de Clermont-Tonnerre pour la France, et Luis Urbano pour le Portugal, en présence de Aurélie Filippetti la ministre de la Culture et de la Communication, accueillie pour la première fois dans nos murs depuis sa nomination rue de Valois. Chacune, chacun a parlé de Manoel de Oliveira, qui était absent – « C’est un ange » a dit Jeanne Moreau, et c’était comme s’il avait été là, parmi nous, écoutant ce que nous avions à dire de lui et de son œuvre. S’il n’était pas là, pour des raisons de santé, son fantôme semblait planer dans la salle bondée, attentive et impatiente de découvrir le film.

Aurélie Filippetti d’abord, puis Jeanne Moreau, Michael Lonsdale, Luis Miguel Cintra, ont rendu hommage au grand cinéaste portugais, évoquant son œuvre et la place que cet artiste occupe au sein du cinéma européen et mondial. Enfin, Leonor  Silveira, son actrice fétiche, a lu un message de Manoel de Oliveira, optimiste et chaleureux.

Gebo et l’ombre sera peut-être le dernier film de Manoel de Oliveira, âgé de 104 ans. Ce n’est pas sûr, et on ne le souhaite pas. Dès qu’il sera rétabli, le plus que centenaire aura à cœur d’entreprendre un nouveau film, court ou long. Car son énergie créatrice demeure intacte. Mais ce film est aussi, d’une certaine manière, son premier, un film qui retourne aux origines du cinéma. Gebo et l’ombre ou l’enfance de l’art, selon Oliveira. Au début du film, un plan sombre, éclairé par la lueur d’une lanterne : Gebo et l’ombre plonge le spectateur dans la pénombre, comme au temps des lanternes magiques, ce moment où l’image fixe vacille, tremble encore, hésite à marcher, à courir et prendre son envol. Le cinéma n’est pas encore né, il est dans les limbes du théâtre optique, il joue avec les trompe-l’œil et les illusions, avant l’invention des frères Lumière, et avant les premiers trucages de Georges Méliès.

Oliveira situe son film dans cet espace des origines, ce temps des premiers temps de l’image animée. Décor unique : la maison de Gebo (Michael Lonsdale) et de son épouse Doroteia (Claudia Cardinale), qui vivent pauvrement avec leur belle-fille Sofia (Leonor Silveira), espérant le retour de João, leur fils (Ricardo Trêpa). Ce qu’il y a de miraculeux dans ce film, c’est la manière avec laquelle Oliveira efface ou abolit l’héritage de plus d’un siècle de cinéma. Né en 1908, réalisant son premier film en 1929, au temps du muet – Douro, faina fluvial -, Oliveira boucle pour ainsi dire la boucle et renoue avec la veine fantasmagorique des premiers temps. Ce film-là, comme d’ailleurs la plupart de ceux qu’il a entrepris tout au long de sa carrière (c’était évident dans L’Étrange affaire Angelica, qu’il était venu présenter à la Cinémathèque il y a deux ans), est travaillé par une esthétique épurée, simplifiée, condensée : de la lanterne magique aux premiers effets spéciaux, du théâtre filmé à l’image animée, du muet au parlant, de la frontalité des plans à la profondeur de champ, de la relation entre le champ et le hors-champ, Oliveira pianote et joue avec la forme cinématographique dans tous ses états, en en redécouvrant une à une chacune des péripéties. C’est ce déploiement vertigineux qui fait la magie de Gebo et l’ombre.

Mais il y a autre chose. Oliveira voulait faire un film sur la pauvreté. La pauvreté aujourd’hui. « Je me suis souvenu alors de la pièce de Raul Brandão, qui parle de la pauvreté et de l’honnêteté », dit-il dans le dossier de presse du film. Plus loin : « Le film porte  surtout sur la question de la pauvreté et sur l’honneur. Il n’a pas de sens politique immédiat, mais on peut, bien sûr, en trouver un. Le texte que je transpose date du début du XXe siècle, mais le film est fait au début du XXIe siècle, il a donc un lien avec l’actualité. » Passer du début du XXe au début du XXIe siècle ne pose aucun problème à Manoel de Oliveira. Chacun de ses films est un voyage dans le temps qui lui permet d’explorer les formes narratives et esthétiques du cinéma. Gebo et l’ombre est aussi un magnifique mélodrame, qui parle de la pauvreté et de l’honneur, de la famille et du labeur, et du sacrifice d’un père pour son voleur de fils. Les acteurs sont admirables, la beauté est dans chaque plan (l’image est de Renato Berta). D’où l’émotion.

La soirée du 6 octobre lançait également la rétrospective intégrale de l’œuvre de Manoel de Oliveira, rendue possible grâce au concours de la Cinémathèque portugaise, de l’Institut Camoes et de Lusomondo.

Hier, Maria de Medeiros est venue présenter La Divine comédie (1991). Aujourd’hui samedi, Sabine Lancelin présentera Je rentre à la maison (2001, avec un Michel Piccoli absolument génial) ; elle reviendra samedi 22 septembre parler de Singularités d’une jeune fille blonde (2009). Dimanche 9 septembre, ce sera au tour de Bulle Ogier de présenter Belle toujours (2006). Valérie Loiseleux, la monteuse du cinéaste, viendra vendredi 14 septembre à 19 heures présenter Le Jour du désespoir. Paolo Branco, qui a produit et grandement contribué à faire connaître en France l’œuvre de Manoel de Oliveira, sera à la Cinémathèque samedi 15 septembre à 15h pour présenter Le Soulier de satin (1984). Enfin, lundi 10 septembre à 19h, Mathias Lavin donnera une conférence sur le thème : « Le cinéma de Manoel de Oliveira, ou le principe de l’incertitude ».

Gebo et l’ombre sortira le 26 septembre 2012 (distribué par Epicentre Film).

La rétrospective à la Cinémathèque française dure jusqu’au  21 octobre 2012.

Cher Harvey Keitel

dimanche 2 septembre 2012

Le 38e Festival  du cinéma américain de Deauville s’ouvrait vendredi soir par un hommage à Harvey Keitel. Bruno Barde, directeur du Festival, m’avait demandé de prononcer le discours d’accueil.

Cher Harvey Keitel,

C’est un grand honneur de vous rendre hommage ce soir, dans le cadre du Festival de Deauville. Vous êtes l’un des acteurs américains à la carrière la plus riche et la plus prolifique, la plus généreuse aussi. De Martin Scorsese à Quentin Tarantino, de Jane Campion à Ridley Scott, en passant par James Toback, Abel Ferrara, Paul Schrader, sans oublier Bertrand Tavernier, Theo Angelopoulos et beaucoup d’autres, vous vous déplacez depuis quarante ans avec une incroyable agilité, une grande liberté aussi, sur tout le spectre du cinéma mondial. Cela fait notre admiration et notre respect.

Pourtant, au début les choses ne se présentaient pas très bien pour vous. Vous êtes né à Brooklyn le 13 mai 1939, dans une famille juive pauvre, d’origine polonaise et roumaine. Les études n’étaient pas votre point fort. Après quelques petits boulots, vous vous engagez dans les Marines à la fin des années 50. Revenu à New York, vous vous inscrivez à l’Actors Studio pour suivre des cours de théâtre. Formé à l’école de « la Méthode », vous apprenez à canaliser votre violence intérieure, votre part d’animalité. C’est un point essentiel chez vous, un trait de caractère qui devient une manière de jouer et d’incarner vos personnages. S’il y a, parmi les grands acteurs du cinéma américain, disons la tendance Robert Mitchum d’un côté, la tendance James Stewart de l’autre, vous seriez plutôt du côté de Mitchum. Jouer les « bad guy » ne vous déplaît pas, au contraire. Vous assumez avec finesse et une pointe d’ironie ce côté « mauvais garçon », jouant avec la puissance du mal qui émane de vous et dont vous faîtes un élément de séduction. C’est la marque des grands acteurs.

Après avoir été engagé sur des séries TV, vous êtes reconnu au cinéma grâce à Martin Scorsese avec ce film mythique : Mean Streets (1973), chef d’œuvre du cinéma indépendant américain. Le film lance la carrière de Scorsese et celle des deux jeunes acteurs au tempérament de feu qu’il a repérés : Robert De Niro et vous. Avec De Niro, vous serez longtemps liés par une sorte de pacte secret, vous retrouvant souvent ensemble dans d’autres films de Scorsese – Alice n’est plus ici en 1974, Taxi Driver en 1976. Vous jouez ensemble, mais tout vous oppose. Autant De Niro semble déployer un art magistral consistant à disparaître dans ses rôles, à se fondre en eux, à imploser à l’intérieur des personnages que lui confient Scorsese, Coppola ou Sergio Leone, parmi tant d’autres, autant vous jouez tout d’un bloc en imposant votre physique, votre prestance corporelle. Avec vous, c’est à prendre ou à laisser. Vous explosez à chacune de vos apparitions, l’une des plus notables étant celle dans Bad Lieutenant d’Abel Ferrara tourné en 1992 : l’un de vos rôles les plus impressionnants, comme un documentaire sur vous, une sorte d’autoportrait à travers ce personnage de mauvais flic éructant, se branlant, se droguant, en proie à ses démons. Même chose dans Reservoir Dogs, premier film de Quentin Tarantino, que vous avez coproduit et dans lequel vous êtes impressionnant du fait de votre seule présence. Violence et magnétisme. Avec en plus, l’ironie ou le sens de la parodie qui caractérise Tarantino.

Tout film est pour vous une sorte de mise à l’épreuve ou de catharsis. Pour autant, tourner avec une cinéaste aussi sensible et talentueuse que Jane Campion prouve que vous avez plus d’une corde à votre arc. La virilité qui se dégage de vous est souvent prise en défaut par vos partenaires. Holly Hunter dans La Leçon de piano, Kate Winslet dans Holy Smoke, Madonna dans Snake Eyes, Susan Sarandon et Geena Davis dans Thelma et Louise. Autant de partenaires avec lesquelles vous avez exprimé une profondeur d’âme et une sensibilité écorchée.

Par goût de l’aventure, par curiosité, vous avez accepté des propositions venues d’Europe. Bertrand Tavernier vous a dirigé dans La Mort en direct aux côtés de Romy Schneider. Vous jouez également dans La Nuit de Varennes de Ettore Scola, et quelques années plus tard dans le beau film de Theo Angelopoulos, Le Regard d’Ulysse (Grand Prix du Festival de Cannes en 1995). Cet éclectisme vous permet de travailler l’intérieur du système hollywoodien, tantôt au cinéma tantôt pour la télévision, mais aussi dans les marges. Vous n’hésitez pas à prendre des risques et à donner leur chance à de jeunes réalisateurs, pas seulement américains. En Amérique ou en Europe, dans le système ou en dehors, les cinéastes qui vous regardent n’ont visiblement pas fini d’explorer cette indomptable et fascinante nature animale que vous n’est pas prêt d’abandonner. C’est pour cette raison que nous vous admirons, cher Harvey Keitel.