Archive pour le 02.2013

Robert Guédiguian, ou le monde vu de L’Estaque

lundi 11 février 2013

Cette rétrospective complète de l’œuvre de Robert Guédiguian, cinéaste en pleine activité, est une belle occasion pour nous de revenir sur quelques questions essentielles qui touchent au cinéma. Par exemple, la question de l’ancrage, du réalisme, du typage des personnages, ou celle du langage cinématographique. Des questions parmi d’autres. S’il y a une œuvre dans le cinéma français contemporain à ce point porteuse de questionnements divers, c’est bien celle de Robert Guédiguian.

Depuis plus de 30 ans, chacun de ses films est comme une pièce de plus s’inscrivant à l’intérieur d’un grand tout, la pierre d’un édifice plus large dont la cohérence nous paraît aujourd’hui évidente, logique, ouverte, en prise avec le monde actuel.

On a coutume de dire de Robert Guédiguian qu’il est un cinéaste de quartier. L’expression est juste, parlante. L’Estaque revient dans un grand nombre de ses films, depuis le premier, Dernier été, coréalisé avec Frank Le Wita en 1980. L’Estaque est pour Guédiguian le lieu où tout commence et où tout finit. C’est le quartier d’où l’on vient et que l’on quitte, pour y revenir dans une sorte de nostalgie, de mélancolie des origines. Presque comme une fatalité. Entre-temps, le monde a bougé. L’Estaque est le microcosme du monde selon Robert Guédiguian. Tout ce qu’il s’y passe a valeur pour ceux qui y vivent, mais également pour les autres, où qu’ils soient dans le monde. Les petites ruelles et les cours peuplées des films de Guédiguian, par exemple dans À la vie, À la mort ou dans Marius et Jeannette, sont les sœurs jumelles des rues peuplées de films japonais anciens enfouis dans notre mémoire.

Mais l’Estaque est également l’atelier du cinéaste, un atelier au grand jour. Un studio de cinéma à ciel ouvert, où chaque coin, chaque quai a été visité par ses fictions et ses personnages. Robert Guédiguian a de la chance de connaître son point d’origine: il y revient pour se ressourcer et y tracer de nouvelles pistes.

S’il y a une chose qui caractérise Guédiguian cinéaste, ce serait d’être une sorte de sismographe, un capteur ou un enregistreur des vibrations intimes qui secouent le monde ouvrier et la mémoire populaire depuis trois décennies. Chaque nouveau film permet de poser la question : comment va le monde, vu de l’Estaque ? Comment va l’idée de transformer le monde, l’idée communiste pour la nommer, vue de l’Estaque ? Que sont devenus les personnages héroïques de nos rêves ? Comment survit le monde ouvrier, toujours vu de l’Estaque ? Un après l’autre, ses films redessinent la carte d’un monde limité à un quartier légendaire de Marseille, où se matérialisent et se concrétisent changements et mutations. Et qui valent pour les autres, ceux qui vivent ailleurs.

S’il y a un mot qui caractérise le cinéma de Guédiguian, c’est le mot fidélité. Fidélité à un quartier, à une ville et à ce point d’origine. Fidélité aussi à des êtres, à des acteurs, à une actrice aimée, Ariane Ascaride, à des amis d’enfance, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet, Jacques Gamblin, Pascale Roberts, et quelques autres. Pour Guédiguian, faire des films revient nécessairement à envoyer des lettres d’amour et se faire des signes d’amitié. À échanger des expériences, à s’insérer dans de nouveaux dispositifs fictionnels.

Le cinéma de Robert Guédiguian témoigne de manière généreuse de ce que sont les sentiments d’amitié, de fidélité et d’amour. Il témoigne également de ce qu’est la mémoire au cinéma, à travers certains films traitant de l’Arménie, un autre lieu des origines cher au cinéaste.

Tout cela justifie amplement une rétrospective, un hommage à un cinéaste contemporain qui construit une œuvre et conçoit son travail dans l’altérité, c’est-à-dire sous le regard des autres, avec leur complicité active, indispensable.

Il n’est pas étonnant que Robert Guédiguian, à l’instar d’autres cinéastes qui l’ont précédé dans le cinéma français – je pense à Truffaut et à Rohmer – ait bâti au sein d’AGAT FILMS un système de production artisanal lui garantissant indépendance et liberté. L’exemple est rare et mérite d’être souligné, encouragé. La Cinémathèque française a la chance de pouvoir concevoir cette rétrospective en présence de Robert Guédiguian et avec sa complicité. Jusqu’au 24 février 2013.

À signaler, la sortie d’un ouvrage illustré et très documenté de Christophe Kantcheff : Robert Guédiguian Cinéaste, édité au Chêne., 270 pages, 35 euros.