Archive pour le 03.2013

La Maison de la radio de Nicolas Philibert, la Voix et le Lien

vendredi 29 mars 2013

La Maison de la radio de Nicolas Philibert est le dernier film que j’ai vu – c’était lundi dernier, lors d’une avant-première à la Cinémathèque. C’est un film qui fait du bien, ce qui n’implique pas automatiquement qu’il soit du côté du bien. Mais le film prend son temps, et fixe quelques idées fortes sur le cinéma, sur comment s’installer dans un lieu fermé, ici la Maison de la radio, et en tirer avantage. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais le film vaut beaucoup plus, par sa capacité à filmer des gens au travail. Sans hystérie, et avec beaucoup d’empathie.

Pourquoi filmer la Maison de la radio ? Bonne question. Parce que c’est un bâtiment rond, où les gens qui y circulent et y travaillent tournent en rond, c’est-à-dire sont à peu près sûrs de s’y croiser, donc de faire un bout de chemin ensemble. En arpentant les couloirs, vous risquez fort de tomber sur des collègues qui font le même métier que vous. Mais ce n’est qu’une apparence, car il y a mille et une manières de travailler le son et la voix dans cette Maison de la radio. Le métier de base consiste à prendre des sons, à les inventer, à les enregistrer, à les traiter, à les monter ou à les manipuler. Chacun s’affaire à la tâche, et la force tranquille du film consiste à faire le lien, à montrer ce fil invisible mais tenace qui fait lien entre les centaines de personnes qui travaillent dans cette Maison.

Il y a le dedans, et il y a le dehors. Dedans, on traite tout ce qui vient du dehors. L’actualité, les news, les infos géné. Et comment tout ce matériel se transforme, se hiérarchise, se répète, s’articule devant un micro, devient en quelque sorte notre actualité, avant de se transformer en mémoire.

C’est une des choses simples que montre le film de Nicolas Philibert, à savoir que tout le monde n’est pas journaliste ou chroniqueur à Radio France, mais qu’il y a aussi toute sorte de gens qui travaillent le son, la voix, et qui y vont de leur corps. Le son et la voix impliquent nécessairement un engagement physique. La Maison de la radio le montre avec beaucoup de finesse et pas mal d’effets comiques. Ça chante, ça joue de la musique, ça joue avec le silence – il y a du Jacques Tati dans ce film, dans cette manière d’observer telle ou telle personne occupée à son travail, saisie par la caméra silencieuse et scrupuleuse de Nicolas Philibert.

Le film et son dispositif reposent sur un principe élémentaire mais sacrément efficace : installer une (petite) caméra dans les couloirs et les studios de la Maison de la radio, revient tout bonnement à ajouter de l’Image à du Son. Qu’il y ait du son dans cette maison, nul n’est censé l’ignorer. L’image en plus bouscule la logique interne de ce monde peuplé d’étranges créatures. Des gens qui d’ordinaire travaillent entre eux, en n’étant reliés que par du son ou de la voix, se découvrent portraiturés (avec leur accord) par la caméra de Nicolas Philibert. Certains, à force de revenir à l’image dans le film, au gré du montage, deviennent même des personnages que l’on a plaisir à retrouver, toujours occupés à une même tache, obsessionnellement rivés à leur ordinateur ou devant leur micro. Vue par Philibert, cette Maison de la radio se transforme en une sorte de gigantesque zoo où des êtres s’occupent à capter la rumeur du monde, chacun selon sa manière ou son obsession. Lui a en tête d’installer sa prise de son au milieu d’une forêt, en espérant enregistrer le bruit des oiseaux. L’autre est sur une grosse moto pour suivre le Tour de France, et l’autre encore s’amuse à créer de drôles de dispositifs sonores dans le but d’émettre des bruits totalement inédits. Et lui, qui refuse de dire son métier, dont l’unique passion est d’enregistrer les orages… S’il y a une idée qui se dégage du film, c’est bien que La Maison de la radio est un lieu expérimental où chacun s’occupe ou s’amuse à fabriquer du son.

Nicolas Philibert a eu raison d’éviter, je crois, de s’intéresser de trop près à tout ce qui relève du médiatique, par exemple les journalistes du matin avec leurs invités politiques, car tout cela se démode vite et aurait enfermé le film dans une actualité somme toute éphémère. On assiste à une conférence de rédaction, on voit Patrick Cohen, dès l’aube, dans son studio en train de préparer sa tranche matinale, on voit quelques invités répondre à des questions devant le micro, dans telle ou telle émission. Mais ce que l’on voit de plus important, c’est que cette maison ronde bruisse et accompagne la journée de sons et de bruits très divers, de voix et de musiques qui arrivent via les ondes jusque chez nous. Le film dévoile un peu ce qu’est l’envers du décor, cette fabrication de la radio, qui implique entre les uns et les autres une solidarité de métier, une écoute et un réel plaisir au travail. Le film de Nicolas Philibert le montre avec une réelle empathie. Et, de nos jours, l’empathie est une qualité rare.

Le film, produit par les Films d’ici et Arte, sort le 3 avril en salles, distribué par les films du losange.