Archive pour le 11.2013

René Allio, filmer Marseille…

mardi 26 novembre 2013
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Dimanche, visite du MuCEM, à l’occasion de la présentation de deux films de René Allio. Le bâtiment conçu par l’architecte Rudy Ricciotti est impressionnant, magnifique, élégant, bien calé dans l’espace donnant à la fois sur la mer et prolongeant le port de Marseille. On y accède par des rampes de béton gris-vert, douces et agréables au toucher. Le public très nombreux déambule dans le bâtiment, découvrant les vues donnant sur la ville et sur la mer. Réussite parfaite. Incontestablement, le MuCEM contribue déjà à donner de Marseille une vision moderne, une image ouverte sur le monde méditerranéen. C’est bien de cela qu’il s’agit, faire de Marseille une ville tournée vers le Sud.

La programmation consacrée à René Allio s’inscrit pleinement dans le projet du MuCEM d’accueillir le cinéma, dès lors qu’il touche à Marseille et à la culture du Sud. C’était l’idée de Bernard Latarjet, en charge de Marseille-Provence 2013, d’inscrire cet hommage à Allio dans le programme culturel porté par Marseille et la Région. Nous nous étions alors concertés, pour faire en sorte que l’événement ait lieu simultanément à la Cinémathèque française et à Marseille (au MuCEM et à L’Alhambra, salle d’Art et Essai historique, située à L’Estaque) ; il y avait un petit groupe réunissant Nicolas Philibert, qui fut l’assistant de René Allio et le réalisateur de Retour en Normandie, un film qui revenait sur les lieux du tournage de Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère, réalisé en 1975 par Allio ; Roland Rappaport, avocat et vieil ami d’Allio, Christine Laurent, qui travailla aux côtés du cinéaste (costumes et décors), Thomas Ordonneau, qui dirige Shellac Sud, distributeur et éditeur de DVD, qui vient de sortir le Volume 1 des œuvres complètes de René Allio (avec quatre films restaurés : Les Camisards (1972), Rude journée pour la Reine (1973), Moi Pierre Rivière… (1975) et Le Matelot 512 (1984). Enfin, l’Université Paris 1 qui, grâce à Sylvie Lindeperg, Myriam Tsikounas et  Marguerite Vappereau, organisa tout récemment un colloque durant trois jours (les 14-15-15 novembre à l’Institut National d’Histoire de l’Art), autour du thème « Les Histoires de René Allio ». Ce colloque reprend d’ailleurs le titre de l’ouvrage collectif coordonné par ces mêmes personnes, paru aux Presses Universitaires de Rennes, ouvrage très ouvert et bien documenté, qui donne une bonne lecture de ce que fut le travail de René Allio, au théâtre comme au cinéma. Rétrospectives, colloque, livre, édition d’un coffret DVD, tout cela contribue à remettre le cinéma de René Allio sur le devant de la scène, à réinterroger ce que fut son inspiration, ce que furent sa méthode et ses obsessions esthétiques.

Dimanche, avec Christine Laurent et Roland Rappaport, nous présentions L’Heure exquise, réalisé en 1980, puis Le Matelot 512, tourné quatre ans plus tard. Ces deux films appartiennent à la veine marseillaise d’Allio, qui inspira aussi Retour à Marseille, Transit, ainsi que La Vieille Dame indigne, premier long métrage tourné en 1965, qui fit connaître Allio du public. La moitié des films réalisés par Allio, entre 1965 et 1989 (l’année de Transit, son dernier film), s’inspirent de Marseille, de son histoire et de son site ou de son cadre, de sa culture. L’Heure exquise me paraît être le plus réussi, car il touche à l’enfance et à l’intime, à la ville proprement dire, à ses lieux mythiques. Dans ce film qui évite avec grâce le pittoresque, Allio déploie une géographie subjective, refaisant les trajets de son enfance, traversant les quartiers aux noms mythiques : Saint-Gabriel, Belle-de-Mai, Bon-Secours, dessinant une archéologie poétique croisée avec la généalogie familiale : la famille piémontaise, du côté du grand-père paternel, et la Provence, du côté de la famille maternelle. Le film démontre avec évidence une chose absolument incontournable, c’est que Marseille est une ville incroyablement “filmable”, faite pour le cinéma, à condition de bien en connaître la topographie secrète, ses traverses et ruelles, ses impasses et ses chemins campagnards dont les vues plongent sur la Méditerranée. Allio connaît la ville comme sa poche, il y a vécu, y a grandi, y a laissé des souvenirs. Son travail de mémoire lui permet de revisiter toute l’histoire culturelle et artistique de la ville, depuis les années 20, l’opéra et l’opérette, le music-hall, le cinéma des années d’enfance, le Kursaal et l’Alhambra, ces lieux où s’est fabriqué l’imaginaire du jeune René Allio. Surtout, L’Heure exquise raconte l’histoire d’une ville faite de mélange, une association de quartiers ou d’anciens villages où vécurent des populations diverses, locales ou venues d’ailleurs, qui peu à peu ont été absorbées par la ville. L’hétérogénéité et la mixité sont à la base de Marseille, ville d’accueil où les trajets convergent vers le centre et le vieux Port. Magnifique travail du souvenir.

Le Matelot 512 se situe à l’opposé, sur le plan stylistique et narratif. C’est une pure fiction provenant du désir de René Allio d’adapter au cinéma le récit d’Émile Guinde, un vieil homme qui raconte l’histoire du Matelot 512, au début du siècle dernier. Le roman couvre une assez longue période, jusqu’à la Première Guerre mondiale, récit populaire et romanesque qu’Allio “met en image”, comme dans un livre d’images, et qui raconte les aventures de Max (Jacques Penot), son aventure amoureuse avec Mireille, la femme du commandant, interprétée par Dominique Sanda, et celle avec Colette (Laure Duthilleul) avec laquelle il a un enfant, son enrôlement dans la Légion étrangère, sa double identité. On voit bien que ce qui amuse Allio, ce sont les maquettes et les trompe l’œil, le désir de suivre (trop à la lettre) un story-board, un désir de filmer le passé, ponctué de longs voyages, les changements de décors et de costumes. L’impression dominante est que tout est convenu et figé, que les costumes sont trop neufs et rutilants, et surtout que le rêve est absent. René Allio avait réussi son Heure exquise, documentaire autobiographique, très inspiré, où l’on sent à chaque image combien cette ville et ces rues l’ont habité, et l’ont constitué comme être et comme artiste. Son Matelot 512, qui fut pour lui un échec, n’emporte pas le morceau. Et c’est dommage.

A lire : Les Histoires de René Allio, ouvrage dirigé par Sylvie Lindeperg, Myriam Tsikounas et Marguerite Vappereau, Presses Universitaires de Rennes ; 24 euros.

« Les Histoires de René Allio, Volume 1, coffret de 4 films édité par Shellac sud. Le coffret contient un livret avec des articles d’époque et des entretiens avec le réalisateur.

Rétrospective « Les Histoires de René Allio », à La Cinémathèque française, jusqu’au 1er décembre 2013, en partenariat avec Marseille Provence 2013.