L’image sans le son. Le son sans l’image.

La photo d’Ingrid Betancourt parue dans la presse il y a une semaine était terrible. Visage rongé, regard baissé et résigné, corps amaigri. « La vie ici n’est plus la vie » disait-elle dans une lettre à sa mère. Cette (belle) photo ne pouvait que renforcer notre profonde et sincère compassion. Qu’est-ce qui fait que cette femme, ainsi que les 45 autres otages des FARC, continue d’être prisonnière depuis le 23 février 2002, quelque part dans la jungle en Colombie ? Qu’a-t-elle fait, et que lui reproche-t-on ? Pourquoi lui faire endurer un tel calvaire ? Qu’est-ce qui le justifie ? Au nom de quelle absurde idéologie ou fantasme, cette situation perdure-t-elle ? Rien. Aucune réponse logique. Sinon qu’elle et les autres otages sont devenus une monnaie d’échange. L’image d’Ingrid Betancourt, sans la voix. Image entravée, corps mutilé. Voix inaudible. Si nous avions les deux, de manière simultanée, le son + l’image, alors serions-nous davantage rassurés sur sa libération prochaine…

Cette photo intervient dans un temps où l’image et le son jouent un rôle considérable dans la transmission d’information. On le dit très souvent : l’image et le son constituent la pierre de touche de la communication moderne. Avec l’intervention récente de Nicolas Sarkozy, le président de la République, ce rôle prend une tournure ou une forme différente. Le discours et la méthode s’adaptent à une situation délicate où la diplomatie a du plomb dans l’aile, et ou les « médiateurs » ont failli. Voir le rôle autoproclamé d’Hugo Chavez, le président vénézuélien, qui en a fait visiblement trop pour être réellement efficace ou crédible.

La stratégie de Sarkozy consiste à atteindre directement Ingrid Betancourt, et lui parler en direct. Mission délicate. Disons le mot : l’image devient supplique. Car il s’agit de toucher la cible et de faire passer, avec les moyens du bord, un message simple. Nous pensons à vous, et nous nous occupons de vous. Pour s’adresser directement à Ingrid Betancourt, Nicolas Sarkozy n’a pas accès à l’image. Comment ferait-elle pour la capter, car on sait bien qu’elle et ses compagnons en otage n’ont accès à aucune télévision, ni évidemment à internet. Mais Sarkozy sait, il l’a lu comme nous dans la lettre qu’elle a adressée à sa mère, qu’Isabelle Betancourt parvient à capter RFI. Aussi le message présidentiel utilise-t-il cet unique canal. Le propos s’adresse de manière directe aux otages : « Je refuse l’idée de vous laisser en perdition… ». Puis en particulier à Ingrid Betancourt : « Je veux vous dire mon admiration pour votre dignité, votre courage. » Il s’adresse aussi à l’opinion publique, signifiant de manière hautement symbolique que la France redouble d’efforts pour obtenir la libération des otages en Colombie. Ici le son, seul, doit se passer de sa sœur l’image. Celle-ci est interdite. Bannie. Inefficace. A la photo d’Ingrid Betancourt parue dans la presse (qui a fait le tour du monde), répond ici le son, la voix solitaire du président de la République. Je m’adresse à vous sans vous voir… Et je vous encourage à survivre et à résister. Le son est coupé de l’image, parce qu’il y a entre les deux un interdit, une censure, ce que l’on pourrait appeler un monde infranchissable.

L’initiative de Nicolas Sarkozy se double d’un message vidéo adressé directement au leader des FARC, Manuel Marulanda. Celui-ci a évidemment accès aux images. Où et comment ? Nous l’ignorons. La stratégie de Sarkozy est tout autre : parler directement à l’ennemi, sans pour autant faire de concession. Miser sur la modernité du support (cette fois : l’image et le son, sans oublier le sous-titrage en espagnol), et prendre à témoin le monde entier de sa bonne volonté. Invention ex nihilo d’une méthode diplomatique jusque-là inédite. Dans son message au leader des FARC, Sarkozy part des images : « Les images des otages, les lettres à leur famille ont bouleversé le monde. La vidéo d’Ingrid Betancourt, en particulier, la lettre (…) qu’elle a adressée à sa mère, ne peuvent laisser personne indifférent… » Stratégie reposant en grande part sur le culot, l’interpellation morale et humanitaire. Il n’est évidemment pas certain que cela aboutisse. Mais l’audace peut payer. Ce qui est sûr, c’est que les images et les sons jouent un rôle délicat, et peut-être essentiel, dans cette vilaine affaire qui n’a que trop duré. Tantôt l’image seule, muette. Tantôt le son seul : la voix humaine pour signifier l’espoir. La vie démocratique implique que l’image et le son marchent d’un même élan, solidaires. Ce serait le symbole de la liberté retrouvée.

9 Réponses à “L’image sans le son. Le son sans l’image.”

  1. Goumont a écrit :

    Monsieur Bergala c’est bien : 3 fois le nom de Sarkozy dont deux sur sa stratégie forcément géniale sur une photo dont on aurait pu penser qu’un spécialiste de votre qualité eût pu tenir des propos d’une grande tenue. Encore une fois toutes mes félicitations. En espérant vous voir tenir un rang digne de vos qualités révélées bientôt.

  2. sarah a écrit :

    On dirait le le syndrome de Stockholm, tout le monde il est méchant sauf les gentils terroristes des FARC
    http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=707&Itemid=60

  3. Nelson Bravo a écrit :

    Je suis brésilen, triste et solidaire avec la douleur et souffrance d’Ingrid Betancourt et de la nation française. J’ai visité Paris en 2005, pour la dernière fois, et je me souviens trés bien de voir la photographie de cette grande dame devant l’Hôtel De Ville. Allez à lutte, avec espoir, pour sauver Madame Betancourt, Monsieur Sarkozy!
    Nelson Bravo (63 ans) – Juiz de Fora (MG) – Brésil

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Désolé que votre critique s’adresse à Alain Bergala : il n’y est pour rien. Pour ma part, j’assume ce que j’ai écrit. Il n’y a pas un mot de propagande dans mon blog à propos d’Ingrid Betancourt.

  5. Griffon a écrit :

    « Il n’y a pas un mot de propagande dans mon blog à propos d’Ingrid Betancourt. »

    Serge, après des années de décryptage marxiste avec tes amis Daney, Narboni, Oudart et autres, tu va prétendre que ton post est impartial, objectif et innocent? Ne nous fais pas rire.
    Tu ne nous apprends évidemment rien sur cette histoire en nous infligeant à ton tour ton petit commentaire sur elle, sous l’angle parfaitement inintéressant des « rapports entre le son et sa soeur l’image qui seraient réunies dans le meilleur des mondes libres blabla ».
    Par contre, tu fais comme les journalistes, tu cours après l’actualité. Or, comme Sarkozy a eu cette intelligence de comprendre qu’il lui fallait FAIRE l’actualité pour être sans arrêt sous les projecteurs, tu lui cours après, et donc, que tu le veuilles ou pas – et personnellement je ne crois pas que tu aies voté Sarkozy – tu lui fais de la pub, qui est l’autre nom de la propagande.
    Pas volontairement, mais involontairement, par bêtise.
    Regarde :

    « l’intervention récente de Nicolas Sarkozy, le président de la République » (Tu avais besoin de le préciser ou ça te fait plaisir?)
    « La stratégie de Sarkozy… mission délicate » (On sera donc indulgent…)
    « Nicolas Sarkozy n’a pas accès à l’image (…) mais Sarkozy sait »
    « Il s’adresse aussi à l’opinion publique, signifiant de manière hautement symbolique que la France redouble d’efforts pour obtenir la libération des otages en Colombie. » (Autrement dit : merci de nous rassurer, M. Sarkozy, merci d’être celui qui nous représente.)
    « Je m’adresse à vous sans vous voir… Et je vous encourage à survivre et à résister. » (Là tu parles carrément à sa place, Serge, et tu as choisi ton passage : on croirait que tu cites de Gaulle, bravo!)
    « L’initiative de Nicolas Sarkozy » (Je préférais quand tu parlais de « stratégie »…)
    « La stratégie de Sarkozy est tout autre : parler directement à l’ennemi, sans pour autant faire de concession. Miser sur la modernité du support » (Sarkozy, un type, résumons, à la fois entier, franc, moderne… On en apprend des choses grâce à toi, Serge!)
    « prendre à témoin le monde entier de sa bonne volonté. Invention ex nihilo d’une méthode diplomatique jusque-là inédite. » (Sarkozy avait donc raison de dire qu’il représentait la « rupture »…)
    « Stratégie reposant en grande part sur le culot » (Tu ne t’arrêteras donc pas de l’aplaudir?)
    « l’interpellation morale et humanitaire » (Tout le capitalisme qu’on aime quand il a balayé les rêves révolutionnaires de notre jeunesse, n’est-ce pas Serge?)
    « Mais l’audace peut payer. » (Audacieux Sarkozy… Tu vas finir par voter pour lui, Serge, fais gaffe. Mais c’est tout comme, car à peine a-t-il été élu, que tu t’es dépêché d’organiser une rétrospective du pétainiste Guitry… Grand cinéaste par ailleurs, mais il n’y avait pas plus urgent, au moment où le néo-pétainisme triomphait en France?)

    « Assume » ce que tu as écrit, Serge. Oui, « assume ». Ou refoule, ce qui revient au même. Et vote bien à gauche aux municipales, pour avoir l’impression d’avoir les mains propres.

    Ah, au fait, l’audacieux Sarkozy, c’est le type dont le programme dit qu’il faut expulser 25.000 personnes par an. Tiens, à propos, tu ne nous parles pas de l’absence totale d’IMAGES ET DE SONS de ces expulsions…

  6. Serge Toubiana a écrit :

    Discours incohérent, approximatif. Sous le sceau de l’anonymat. Plutôt désolant. Sur le mode : on ne nous la fait pas ! Dis-nous pour qui tu votes, allez avoue ! Sarkozy, Guitry, tiens-tiens ! C’est louche. Il y a du Pétain dans l’air. Mais cela fait au moins une rime (en y). Procès d’intention, tutoiement obligatoire, on écrit à l’avance l’acte d’accusation. L’époque n’a plus de style. Et c’est bien dommage.

  7. Griffon a écrit :

    « Incohérent? » Pourquoi?
    « Approximatif? » Où ça? Ne t’ai-je pas précisément cité, au contraire?
    « Anonyme? » Bah, j’ai laissé mon adresse mail, tu peux m’écrire. De toute manière, mon nom ne te dirait rien. Je suis DE FAIT un anonyme.
    Du « Pétain dans l’air »? Tu sais comment Bousquet justifiait la déportation des juifs sous Pétain? Ils venaient soi-disant trop nombreux d’Europe de l’Est et causaient du tort à l’économie française… Ce sont exactement ses mots, et tiens – coïncidence insignifiante ? – ce sont exactement ceux de Hortefeux et de « l’audacieux Sarkozy ».
    « Désolant? » Oh, tu ne peux pas être aussi désolé que moi quand je te lis.
    « Dis-nous pour qui tu votes », jamais parlé sur ce ton inquisiteur.
    « Procès d’intention »? Ne t’ai-je pas cité en détail?
    Qui est incohérent?
    Mais toi-même, tu as bien retenu la leçon de Sarkozy, il faut le reconnaître : pas de repentance, « assumer » tout ce qu’on dit/écrit, déplacer le problème (de ton texte au « style » de « l’époque »…), renvoyer à l’envoyeur des accusations qu’il n’a même pas prononcées.
    Car je ne t’ai pas accusé, Serge, je t’ai cité… Relis-toi.

  8. Griffon a écrit :

    http://vivelefeu.blog.20minutes.fr/archive/2007/12/08/une-forme-particuliere-de-la-reaction-francaise.html

  9. Adrian a écrit :

    MM. Taubiana et Fontenelle (?), notre société civile est-elle à ce point enkystée, qu’il faille faire le jeu de l’hyper-présidence? Pourquoi ce cruel défaut de créativité pour redonner du sens à la citoyenneté. Rêvons d’un régime où le pouvoir saurait être discret et modeste. A qui fera-t-on croire que la diplomatie surmédiatisée est habile? Et puis, tout de même, pourquoi ce feuilleton en cohésion nationale autour d’Ingrid, n’avons-nous plus d’autres dénominateurs communs?