Lola, toujours plus haut, à New York

Quelques mots à propos de la projection de Lola Montès, qui s’est tenue samedi 4 octobre à 11h15 dans la matinée au Ziegfeld Theatre, une belle salle de 1200 places au style légèrement rococo. Environ un millier de spectateurs assistent à la projection (parmi lesquels Jonathan Demme et Pedro Almodovar).

Richard Peña, directeur du New York Film Festival, présente le film, rejoint sur scène par Andrew Sarris, critique de cinéma très connu dont on fête les quatre-vingts ans. Lorsque le vieil homme apparaît, la salle se lève pour une standing ovation. Sarris fut un critique important à partir des années soixante aux Etats-Unis, l’un de ceux qui « importa » la politique des auteurs made in France. Il fut aussi à l’origine de la publication d’une édition américaine des Cahiers du cinéma dans ces mêmes années, qui ne fut malheureusement qu’éphémère. « Lola Montès is in my unhumble opinion the greatest film of all time, and I am willing to stake my critical reputation, such as it is, on this one proposition above all others », a t-il déclaré. Il évoque sa première vision du film, en 1961 à Paris, puis demande à ceux qui n’avaient jamais vu le film d’Ophuls de lever la main, découvrant qu’une large majorité des spectateurs présents s’apprêtent à découvrir Lola Montès. Puis Sarris osa une comparaison très paradoxale entre Lola Montès et Sarah Palin, deux femmes creuses devenues des emblèmes publiques. Rires dans la salle.

Durant la projection, j’ai trouvé le public new-yorkais très réactif, riant souvent ; on sentait presque physiquement que le film passait bien. Ensuite, Laurence Braunberger, Andrew Sarris, Richard Peňa et moi avons participé à un « Q and A », qui dura un peu plus d’une demi-heure. Questions sur la restauration et sur les différentes versions du film, sur l’accueil critique de Lola Montès à sa sortie en 1955, sur le rôle de Truffaut critique, etc. De toutes les projections auxquelles j’ai assisté depuis la restauration du film, celle de New York m’a paru la plus vibrante. Bon augure pour la suite.

Lola Montès est-elle aussi creuse que Sarah Palin ? Le débat est intéressant. Je me contenterai de parler de Lola Montès, que je connais mieux que la colistière de John McCain. Lola Montès est un phénomène de foire, une femme à scandales qu’on exhibe dans un cirque – et il est important de souligner que ce cirque, le Mammoth Circus, est américain. Les spectateurs qui assistent à la représentation où l’on dévoile, scène après scène, les différents épisodes de la vie de
la Comtesse Lola, payent en dollars. La Lola que nous découvrons au début du film est une femme usée, fatiguée, malade. Elle n’a plus la splendeur de sa jeunesse, et sa beauté est fanée. Le film de Max Ophuls s’ouvre avec cette dimension-là, profondément mélancolique. Tout le film oscille dès lors entre la fausse énergie d’une représentation rythmée, découpée en autant de tableaux vivants qu’il y a d’épisodes marquants et de scandales dans la vie de cette femme, et la tristesse même du spectacle d’une femme vaincue, résignée à donner de sa vie une représentation marchande. Le personnage interprété par Peter Ustinov est essentiel, car il est celui qui s’adresse directement au spectateur, tout en parlant à voix basse, en aparté, à Lola. Ustinov est une sorte de « passeur » entre l’écran et la salle, entre le cirque et les spectateurs qui assistent à ce triste spectacle. Il est le narrateur, celui qui, à coups de fouet, donne au film son rythme, et souvent son faux rythme. Vous allez voir ce que vous allez voir !… Eh bien, ce que l’on voie, c’est une femme au bout du rouleau. Le film consiste en une entreprise de re-mise en scène, donnant de manière volontaire, presque mécanique, l’illusion d’une vie pleine de splendeur. Lola Montès, c’est grandeur et décadence d’une courtisane. Une scène, parmi les plus belles du film (et elles sont nombreuses) m’est apparue toujours aussi mystérieuse : celle où, dans un flash back, Peter Ustinov vient chez Lola pour tenter de l’engager dans son cirque. Elle refuse la proposition, il lui laisse sur une table un contrat prêt à être signé. Et elle lui dit à peu près cette phrase : « Ne soyez pas aussi bête que les autres ». Soudain, par cet abyme, nous découvrons une Lola Montès lucide, intelligente, sachant parfaitement quel est son rôle et comment les hommes l’utilisent en la mettant au centre de la société du spectacle.

Andrew Sarris, lors du « Q and A », prit la défense de Martine Carol, actrice principale du film d’Ophuls. On sait que ce n’est pas l’avis de tous, d’aucuns lui reprochant d’être inexpressive, peu sexy, et trop ordinaire pour interpréter ce rôle magnifique pour lequel on imaginerait une Ava Gardner. Sarris plaida en faveur de Martine Carol, en se servant d’un seul argument : elle est au diapason d’un personnage ordinaire plongé dans une vie extraordinaire. Il est de toutes les manières impossible de revenir sur le choix d’Ophuls. Tout juste peut-on s’interroger sur le fait de savoir si Martine Carol ne faisait pas partie du « deal » ou de la commande passée à Ophuls, de réaliser un film à gros budget (environ 700 millions de francs de l’époque), avec une actrice très populaire et sur un sujet pouvant s’approcher du mélodrame. Ce qui est évident à revoir le film, c’est que l’intérêt ou le plaisir d’Ophuls se porte autant, pour ne pas dire plus, sur la mise en place des dispositifs scéniques – tour à tour : tableaux vivants, longues séquences en flash back, ou scènes en temps réel dans le cirque – que sur le « focus » sur Lola Montès dont il est censé dessiner le portrait. C’est cette mécanique, à double détente et dont les rouages sont complexe, qui fait aussi la beauté mystérieuse de Lola Montès. A la toute fin, le personnage féminin est figé, momifié, la caméra s’éloigne lentement dans un travelling arrière : les gens font la queue pour payer, pour toucher cette femme momifiée. Pas pour cent dollars, par pour dix dollars. Pour un seul dollar. C’est-à-dire pour rien.

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