Le retour de Méliès

Costa-Gavras, Madeleine Malthête-Méliès et Serge Toubiana

Costa-Gavras, Madeleine Malthête-Méliès et Serge Toubiana

Georges Méliès revient très fort dans l’actualité, et cela coïncide avec le 150è anniversaire de sa naissance le 8 décembre 1861. Nous avons célébré cet anniversaire jeudi dernier à la Cinémathèque, en présence de la famille du cinéaste. D’abord sous la forme d’une journée d’études très suivie par un public assidu, avec des interventions de spécialistes commeLaurent Mannoni(les débuts de Méliès au cinéma), Jacques Malthête (le studio de Montreuil), Jean-Pierre Berthomé (les décors), Priska Morrissey (les costumes) et Thierry Lefevre (les trucages). Ensuite, au cours de projections de films rares du cinéaste, accompagnées au piano par Jacques Cambra, en présence de Madeleine Malthête-Méliès, la petite-fille de Georges Méliès, dont le rôle fut considérable dans la recherche et la collecte des films de son grand-père tout au long des quarante dernières années. Cette femme élégante et obstinée a passé sa vie à reconstituer l’œuvre clairsemée et mutilée de son génial grand-père, avec patience et entêtement. Elle y est très largement parvenue. Au cours de la soirée, Sylvain Solustri et Betty Serman, comédiens et magiciens, ont lu à deux voix plusieurs lettres de Méliès choisies dans sa riche correspondance avec des patrons de studio ou des officiels du cinéma, dans lesquelles Méliès laisse souvent pointer son amertume et ses désillusions. Sa vie fut en effet remplie de hauts et de bas ; il fut à l’apogée de son art jusque vers les années 10, puis son déclin fut inexorable, le laissant dans la misère et l’oubli, devenu sur le tard vendeur de jouets et de confiseries dans sa boutique dela gare Montparnasse, jusqu’à sa mort le 21 janvier 1938.

Cette célébration de Méliès se trouve magnifiée par le film de Martin Scorsese, Hugo Cabret, qui sort sur les écrans mercredi 14 décembre, si toutefois les copies numériques sortent de LTC dont les techniciens sont en grève du fait de la mise en liquidation du laboratoire. Ce serait une première, qu’un film soit ainsi pénalisé et ne puisse être projeté, d’autant que le nouveau film de Scorsese est tout entier dédié à l’amour du cinématographe. Scorsese a adapté le roman de Brian Selznick, L’Invention de Hugo Cabret (paru chez Bayard Jeunesse), jeune homme ouvert et sympathique, qui a passé beaucoup de temps à faire des recherches dans les archives de Méliès.

Méliès revient en 3D, rien d’anormal pour un cinéaste qui a passé une grande partie de sa vie à inventer des trucages et à jouer de la magie et de la prestidigitation. Maisce qui compte le plus, c’est que Scorsese se soit intéressé et pris de passion pour le destin tragique de Méliès, en en faisant ce vieil homme fatigué et bougon, qui revient tard chez lui après avoir fermé sa boutique de jouets de la gare Montparnasse, reconstituée de manière magnifique dans un studio londonien. Le personnage est incarné par Ben Kingsley, dont la ressemblance avec le réalisateur du Voyage dans la lune est frappante.

Comment se fait-il que ce soit un Américain qui ait voulu faire de Méliès le personnage  central d’un film, aujourd’hui ? On peut tourner autrement la question : comment se fait-il que ce soit un Français, Michel Hazanavicius, qui ait voulu magnifier l’épopée du cinéma muet américain et y soit parvenu ? Il y a une drôle de correspondance, me semble-t-il, entre Hugo Cabret et The Artist, deux films qui regardent vers le passé tout en se servant des techniques les plus sophistiquées qu’autorise le cinéma numérique ou la 3D. Hugo Cabret et The Artist ne sont pas des « films de patrimoine » au sens où on l’entend, ce sont des films vivants et rythmés qui font revivre le temps du muet, de manière à peu près synchrone : la fin des années 20. Avec au centre une même question : quel est le secret perdu ? Qu’est-ce qui, dans cet art du muet, est à jamais perdu ? Les réponses sont multiples. Mais une chose est commune à ces deux films : la place du spectateur. C’est aussi et peut-être avant tout le spectateur de cinéma qui a changé, lors du passage au parlant. La technique a soudain périmé des procédés, des récits ou des mythes, qui autrefois avaient un impact énorme sur le public populaire du monde entier. Le spectateur autrefois primitif est devenu une entité en soi, séparée des autres, un être doué de langage. C’est cette évolution et ce changement dont témoignent Hugo Cabret et The Artist.

A lire : Madeleine Malthête-Méliès fait reparaître la biographie qu’elle a écrite sur son grand-père : Georges Méliès l’enchanteur (la tour verte).

Georges Méliès, A la reconquête du cinématographe ; un beau livre + 3 DVD comprenant 53 films de Méliès, édité par StudioCanal, Fechner Productions et La Cinémathèque française.

Brian Selznick, L’Invention de Hugo Cabret, ouvrage pour enfants illustré (Bayard Jeunesse).

Les salariés de LTC, qui s’étaient mis en grève le 9 décembre, ont repris le travail lundi. Les 600 copies de Hugo Cabret seront bien sur les écrans dans toute la France à partir de demain (information Le Monde du 12.12.11.)

Brian Selznick dans le musée de la Cinémathèque

Brian Selznick, l’auteur d’Hugo Cabret, dans le musée de la Cinémathèque française

7 Réponses à “Le retour de Méliès”

  1. Elodie a écrit :

    Les salariés du laboratoire LTC sont toujours en grève : les copies du film Hugo Cabret ont été faites en Italie.
    Et si cela vous intéresse (le CNC semble s’en désintéresser complètement), LTC, laboratoire historique français sera mis en liquidation jeudi 15 décembre…
    Une salariée de LTC qui, comme Scorsese, aime le cinéma et aurait adoré, si un actionnaire et le CNC n’en avaient pas décidé autrement, continuer à produire du rêve.
    Ltcsaintcloud.canalblog.com

  2. serge toubiana a écrit :

    Merci pour cette précision. Le sort de LTC est très préoccupant, et bien sûr celui de ses salariés. Il est vital qu’une solution soit trouvée garantissant la poursuite d’une activité du laboratoire, à cheval sur une filière argentique et une filière numérique. La disparition de cette filière argentique a été trop rapide. Le cinéma a encore besoin d’un laboratoire comme LTC.

  3. Lorraine a écrit :

    Bonjour Monsieur Toubiana,
    Et tout d’abord bonnes fêtes en cette fin d’année 2011.
    Je profite de votre article consacré à Méliès pour en savoir un peu plus sur la venue à la Cinématheque d’un autre magicien, Tim Burton.
    En effet, il est prévu à la Cinématheque, la formidable exposition que j’ai eu la chance de découvrir à New York au Moma puis à Los Angeles en novembre dernier et que je recommande vivement à tous, tant elle permet de découvrir tout le talent de dessinateur et l’influence du cinéma fantastique du petit Tim Burton dans la petite banlieue de Burbank.
    J’ose vous adresser ce petit mot, en espérant grâce à vous ne pas rater cet événement que j’attends depuis presque 1 an déjà, assister à la rencontre avec monsieur Burton.
    J’avais avec beaucoup de chance assisté à celle de David Lynch, un grand moment, merci encore!
    Puis-je vous demander si il est possible de connaître le jour de sa venue (il est question de début mars) et surtout les possibilités pour se procurer les places sachant que je vis à Lyon et ne suis donc pas membre de la Cinémathèque.
    Je m’arrête ici, en priant que ce message trouve une réponse, sans oublier de vous remercier pour ce passionnant blog, un cadeau pour tous les cinéphiles.
    Le mien est plus modeste mais tout aussi passionné…
    http://lorrainelambinet.over-blog.com

    Cinéphilement,

    Lorraine

  4. serge toubiana a écrit :

    Tim Burton sera présent début mars à la Cinémathèque, lors de l’inauguration de l’exposition. Les dates ne sont pas encore calées. Je vous le ferai savoir dès que tout sera définitif.

  5. Lorraine a écrit :

    Un grand MERCI , Monsieur Toubiana !
    J’attends de vos nouvelles très vite en attendant passez de très bonnes fêtes!

  6. Gilles Penso a écrit :

    Bonjour Monsieur Toubiana, et félicitations pour les merveilles que nous révèle chaque jour la Cinémathèque ! L’année 2012 s’annonce à ce titre inroyablement riche.

    Je suis très heureux d’avoir modestement participé aux travaux de la Cinémathèque en interviewant Rob Legato, superviseur des effets visuels d’HUGO CABRET, pour le « coup de zoom » sur L’HOMME A LA TETE DE CAOUTCHOUC du génial Méliès, et en préparant une conférence sur les images de synthèse et la motion capture à l’occasion de l’exposition Tim Burton (que j’animerai le 16 mars prochain).

    Bien entendu, j’ai hâte d’assister à la master class de Steven Spielberg que vous animerez le 9 janvier ! J’avais même préparé à cette occasion un petit montage résumant en quelques minutes l’immense œuvre du cinéaste, mais, pris par la finalisation d’un documentaire que j’ai consacré à Ray Harryhausen, je n’ai pas eu le temps de vous faire parvenir ce montage, hélas. Je l’aurais bien imaginé en ouverture de la master class, avec comme sous-titre : CLOSE ENCOUNTERS WITH STEVEN SPIELBERG !

    A très bientôt et encore bravo !
    Excellente année 2012, pleine de fantastiques projets…

    Gilles Penso

  7. Jean-François MALTHÊTE a écrit :

    Cher Monsieur Toubiana,

    Lors de cette soirée, ô combien mémorable, vous aviez émis l’idée, conjointement avec Costa-Gavras, d’organiser à la Cinémathèque une manifestation pour les 90 ans de Maman (20 mai 2013), dans le même esprit des 90 ans de grand-mère Fanny à la Cinémathèque; nous y étions tous les 3, ma soeur Anne-Marie, mon frère Jacques et moi. J’en ai reparlé à Maman; elle n’est pas très chaude, mais je crois qu’il faut le faire quand même.

    Qu’en pensez-vous ?

    Bien cordialement.

    Jean-François MALTHÊTE