Robert Guédiguian, ou le monde vu de L’Estaque

Cette rétrospective complète de l’œuvre de Robert Guédiguian, cinéaste en pleine activité, est une belle occasion pour nous de revenir sur quelques questions essentielles qui touchent au cinéma. Par exemple, la question de l’ancrage, du réalisme, du typage des personnages, ou celle du langage cinématographique. Des questions parmi d’autres. S’il y a une œuvre dans le cinéma français contemporain à ce point porteuse de questionnements divers, c’est bien celle de Robert Guédiguian.

Depuis plus de 30 ans, chacun de ses films est comme une pièce de plus s’inscrivant à l’intérieur d’un grand tout, la pierre d’un édifice plus large dont la cohérence nous paraît aujourd’hui évidente, logique, ouverte, en prise avec le monde actuel.

On a coutume de dire de Robert Guédiguian qu’il est un cinéaste de quartier. L’expression est juste, parlante. L’Estaque revient dans un grand nombre de ses films, depuis le premier, Dernier été, coréalisé avec Frank Le Wita en 1980. L’Estaque est pour Guédiguian le lieu où tout commence et où tout finit. C’est le quartier d’où l’on vient et que l’on quitte, pour y revenir dans une sorte de nostalgie, de mélancolie des origines. Presque comme une fatalité. Entre-temps, le monde a bougé. L’Estaque est le microcosme du monde selon Robert Guédiguian. Tout ce qu’il s’y passe a valeur pour ceux qui y vivent, mais également pour les autres, où qu’ils soient dans le monde. Les petites ruelles et les cours peuplées des films de Guédiguian, par exemple dans À la vie, À la mort ou dans Marius et Jeannette, sont les sœurs jumelles des rues peuplées de films japonais anciens enfouis dans notre mémoire.

Mais l’Estaque est également l’atelier du cinéaste, un atelier au grand jour. Un studio de cinéma à ciel ouvert, où chaque coin, chaque quai a été visité par ses fictions et ses personnages. Robert Guédiguian a de la chance de connaître son point d’origine: il y revient pour se ressourcer et y tracer de nouvelles pistes.

S’il y a une chose qui caractérise Guédiguian cinéaste, ce serait d’être une sorte de sismographe, un capteur ou un enregistreur des vibrations intimes qui secouent le monde ouvrier et la mémoire populaire depuis trois décennies. Chaque nouveau film permet de poser la question : comment va le monde, vu de l’Estaque ? Comment va l’idée de transformer le monde, l’idée communiste pour la nommer, vue de l’Estaque ? Que sont devenus les personnages héroïques de nos rêves ? Comment survit le monde ouvrier, toujours vu de l’Estaque ? Un après l’autre, ses films redessinent la carte d’un monde limité à un quartier légendaire de Marseille, où se matérialisent et se concrétisent changements et mutations. Et qui valent pour les autres, ceux qui vivent ailleurs.

S’il y a un mot qui caractérise le cinéma de Guédiguian, c’est le mot fidélité. Fidélité à un quartier, à une ville et à ce point d’origine. Fidélité aussi à des êtres, à des acteurs, à une actrice aimée, Ariane Ascaride, à des amis d’enfance, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet, Jacques Gamblin, Pascale Roberts, et quelques autres. Pour Guédiguian, faire des films revient nécessairement à envoyer des lettres d’amour et se faire des signes d’amitié. À échanger des expériences, à s’insérer dans de nouveaux dispositifs fictionnels.

Le cinéma de Robert Guédiguian témoigne de manière généreuse de ce que sont les sentiments d’amitié, de fidélité et d’amour. Il témoigne également de ce qu’est la mémoire au cinéma, à travers certains films traitant de l’Arménie, un autre lieu des origines cher au cinéaste.

Tout cela justifie amplement une rétrospective, un hommage à un cinéaste contemporain qui construit une œuvre et conçoit son travail dans l’altérité, c’est-à-dire sous le regard des autres, avec leur complicité active, indispensable.

Il n’est pas étonnant que Robert Guédiguian, à l’instar d’autres cinéastes qui l’ont précédé dans le cinéma français – je pense à Truffaut et à Rohmer – ait bâti au sein d’AGAT FILMS un système de production artisanal lui garantissant indépendance et liberté. L’exemple est rare et mérite d’être souligné, encouragé. La Cinémathèque française a la chance de pouvoir concevoir cette rétrospective en présence de Robert Guédiguian et avec sa complicité. Jusqu’au 24 février 2013.

À signaler, la sortie d’un ouvrage illustré et très documenté de Christophe Kantcheff : Robert Guédiguian Cinéaste, édité au Chêne., 270 pages, 35 euros.

10 Réponses à “Robert Guédiguian, ou le monde vu de L’Estaque”

  1. matti a écrit :

    Bonjour M. Toubiana
    Je sors du sujet pour vous demander si vous pensez pour les années à venir rendre hommage à Truffaut , Rohmer , Rozier , Eustache , Chabrol , De Broca , Téchiné , Garrel , Resnais , Pagnol …
    Merci et bravo pour Pialat , Demy ,Bertolucci …
    Bonne journée .

  2. serge toubiana a écrit :

    Certains des cinéastes que vous mentionnez sont dans nos projets, d’autres pas. On ne peut pas tout faire. Vous verrez, il y aura des surprises…

  3. philippe a écrit :

    Désolé, ce n’est pas dans le sujet, mais une salle de 1926 intacte, cela devrait être sauvé!

    Sauvons de la destruction illégale le Cinéma Eden, patrimoine culturel historique de la ville de Marrakech.

    Parce que la mémoire est volatile, parce que nos témoignages, nos souvenirs et documents, s’évanouiront un jour s’ils ne sont pas partagés. Parce que le cinéma est un art populaire, parce que nos cinés de quartier sont des lieux de partage, de rencontre, de plaisir, de réflexion, d’émotions. Parce qu’aller au cinéma reste toujours un bon souvenir et qu’un souvenir ça se partage. Parce que de nombreuses de salles ont disparu, plus que 35 cinémas aujourd’hui dans tout le Maroc, et qu’il est facile d’en connaitre l’architecture mais qu’il ne reste rien si ce n’est plus de 120 cinémas fermés de celles et ceux qui les fréquentèrent. Parce que nous ne sommes ni nostalgiques, ni mélancoliques, puisque le cinéma et la cinéphilie existent encore aujourd’hui. Parce que c’est dans la logique de ce que nous faisons depuis le début de l’association Save Cinemas In Morocco à travers ses campagnes médiatiques et que nous, citoyens marocains, l’on s’y soucie que chaque jour, de tout le Maroc, des jeunes nous rejoignent chaque jour pour défendre le patrimoine, parce que nos hautes instances n’ont jamais répondu à la demande des citoyens marocains qui est de sauvegarder notre patrimoine culturel,garant de notre identité pluriculturel propre à notre pays.
    Nous demandons audience aux plus hautes instances qui ne nous ont jamais reçus .Nous demandons le soutien de Madame le Maire de Marrakech pour protéger le patrimoine culturel cinématographique de la ville de Marrakech!
    Depuis Dix ans nos villes ont vu leurs cinémas fermés il n’en reste plus que 35. Certains ont été transformé en zone immeuble grâce à la corruption alors que la loi interdit la destruction et la transformation des cinémas au Maroc. Plus de cinémas à Agadir Ouarzazate ,Essaouira, El Jadida, Kénitra…La situation est très grave pour la la culture dans notre pays. Et si rien n’est fait nous n’aurons bientôt plus de cinéma au Maroc . Merci de signer la pétition et la faire partager .Follow Us on Facebook :https://www.facebook.com/pages/Save-Cinemas-In-Morocco/176099412444392?fref=ts

    website http://www.savecinemasinmarocco.com
    L’association Save CInemas In Morocco

    http://www.avaaz.org/fr/petition/Sauvez_le_Cinema_Eden_de_la_destruction/?tcYBjeb

  4. Raphaël a écrit :

    Merci infiniment de nous offrir ces rétrospectives où l’on se régale Monsieur Toubiana. J’ai 24 ans et j’ai l’impression de découvrir tout un patrimoine extraordinaire qui fait aimer la vie. Jean Louis Trintignant, Pialat, les mariés de l’an II, Guédiguian, et bientôt l’immense Christine Pascal!
    Merci pour ces moments partagés, vous êtes le digne successeur d’Henri Langlois.

  5. Lucas Di Girolamo a écrit :

    Bonjour M.Toubiana
    je suis étudiant en école de journalisme. Je rédige actuellement un article sur la cinémathèque.Auriez-vous la gentillesse de répondre à mes questions afin d’enrichir mon propos ?
    – En quoi la politique que vous menez est-elle l’héritière de celle de Henry Langlois?
    – Qu’est ce qui reste de l’esprit de nouvelle vague? Y a t-il aujourd’hui des « enfants de la cinémathèque » parmi les nouveaux cinéastes?
    Je vous remercie à l’avance du temps que vous voudrez bien me consacrer.
    Respectueuses salutations. Lucas Di Girolamo

  6. serge toubiana a écrit :

    Cher Monsieur,
    Je ne me pose pas la question, chaque matin, pour savoir si mon action à la Cinémathèque s’inscrit dans l’héritage d’Henri Langlois ou pas. Langlois a été un pionnier, il a jeté les bases de ce qu’est une cinémathèque, à une époque où ce genre d’institution n’existait pas encore. Il a dirigé la Cinémathèque française de 1936 jusqu’à sa mort, en janvier 1977. Il a créé un musée du cinéma, imaginé des programmations géniales, osant des rapprochements inédits entre des films et des auteurs venus du monde entier. Et surtout, il a sauvegardé des milliers de films condamnés à la destruction. Son rôle a été essentiel, primordial. Nous préparons pour 2014 la célébration de son centenaire – Langlois est né en 1914 à Smyrne. Évidemment, tout ce que nous entreprenons aujourd’hui s’inspire largement de son action. Mais les temps ont changé, le cinéma a évolué, les relations avec les producteurs de films, les ayants droit et l’État ne sont pas les mêmes qu’il y a trente ou quarante ans.
    Depuis quelques années, la Cinémathèque française connaît un développement spectaculaire de ses activités, avec une programmation diverse et très variée mêlant hommages et rétrospectives consacrées à des cinéastes du monde entier. Le cinéma d’hier et le cinéma d’aujourd’hui. Les expositions, le musée du cinéma, la bibliothèque du film, les enrichissements spectaculaires de ses collections, les activités culturelles et pédagogiques, les lectures, conférences, ateliers destinés aux enfants et aux adolescents, tout cela en fait un lieu vivant entièrement dédié au cinéma.
    Pour répondre à votre deuxième question, je dirais que le public de la Cinémathèque s’est élargi et renouvelé, il s’est ouvert à de nouvelles générations. Parmi les spectateurs et visiteurs qui fréquentent la rue de Bercy, il y a des cinéastes, et sans doute de futurs cinéastes. Quant à la Nouvelle Vague, elle a existé dans les années 60 et son temps a passé. Il y a deux jours, je donnais une conférence sur la Nouvelle Vague, destinée au personnel de la Cinémathèque, c’est dire si la connaissance de ce qu’elle fut nous importe. Mais qui peut prévoir ce que feront les jeunes ou apprentis cinéastes d’aujourd’hui, dont un certain nombre fréquentent la Cinémathèque française ?

  7. Jean-François Brunet a écrit :

    Pour qui connait Marseille, les films de Guédiguian en donnent une image largement mythique, propre à séduire les gogos parisiens. Je crois bien que c’est dans Marius et Jeannette qu’on aperçoit une reproduction de Cézanne dans un intérieur de maisonnette ouvrière et qu’un personnage lit le Monde Diplomatique dans sa courette. La capitale européenne de la Culture avant l’heure, en somme…

  8. serge toubiana a écrit :

    Vous pensez qu’il est impensable qu’une reproduction d’un tableau de Cézanne soit accrochée au mur d’une maison ouvrière, comme vous dites ? Ou qu’un personnage lise le Monde diplomatique ? Autant de clichés en si peu de lignes…

  9. Jean-François Brunet a écrit :

    « Pensais-je que c’est impensable », comme vous dites?
    Disons qu’après 15 ans de vie adulte à Marseille à la fin du siècle dernier, dans un petit clone de l’Estaque situé au sud de la ville, je me sens autorisé à avoir une opinion et j’ai tendance à trouver ces détails improbables (mais révélateurs dans leur intention). Par contre, les gogos parisiens en mal d’authenticité provinciale, qui ne connaissent rien à Marseille et s’enchantent d’atmosphères post-Pagnolesques ou d’une vue du Vieux-Port à l’occasion d’un festival (de cinéma par exemple…), j’en ai rencontré quelques uns.
    Pour moi, c’est Guédiguian, qui vend des clichés. Le récit de vos propres semi- déboires marseillais à l’occasion d’une journée d’hommage à Daney était infiniment plus réaliste.

  10. serge toubiana a écrit :

    Quand vous utilisez l’expression « gogos parisiens », vous visez qui ? Tous les habitants de Paris ? Vous admettez que cela fait du monde. Il doit bien y en avoir quelques-uns qui parviennent à éviter de tomber dans les clichés sur Marseille. Et si cette ville, après tout, avait aussi pour vocation de susciter des clichés ? Marcel Pagnol, très grand cinéaste à mon goût, n’a t-il pas été à l’origine de cette vision réductrice du peuple marseillais? Je vous trouve très sévère à l’égard de Guédiguian. Certains de ses films, pas tous mais la plupart, développent une vision plus complexe du monde que celle dans laquelle vous semblez l’enfermer. Lorsqu’il évoque PASOLINI et Brecht comme des références, sachez que je le prends très au sérieux. À suivre. S. T.