Algérie, histoires à ne pas dire

Hier soir, j’avais le plaisir d’accompagner le cinéaste Jean-Pierre Lledo au Reflet Médicis, rue Champollion, pour une soirée autour de son nouveau film sorti le jour même : Algérie, histoires à ne pas dire. Présentation, puis débat après la projection d’un film qui dure 2h40, pendant lequel on n’entend pas une mouche voler. Salle comble, public attentif, concerné, motivé, ému. Mais, dès que le débat commence, la salle est en folie : on s’invective, on ne s’écoute plus, l’on s’interrompt ou l’on s’indigne du fait que le film ne parle pas de la Kabylie ou des Berbères… La grande majorité des spectateurs disent leur émotion et remercient le cinéaste pour son courage et son honnêteté. D’autres moins nombreux sont visiblement venus non pour voir le film tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Etonnant d’être devant un public qui, plus de quatre décennies après les événements liés à l’Indépendance de l’Algérie, ne s’est pas encore réconcilié avec l’Histoire. Son histoire.

Cette passion qui est au rendez-vous du film est à mettre au crédit de Jean-Pierre Lledo. Ce dernier a en effet l’audace de revenir sur la guerre d’Algérie, non par la (grande) porte officielle mais par celle plus étroite mais ô combien plus juste et émouvante des gens qu’il a décidé de filmer, de rencontrer, de faire parler. Les Algériens que l’on découvre dans ce film n’ont pas la parole dans leur propre pays. Lorsqu’ils la prennent, c’est pour ne plus la rendre, tellement leur frustration est grande. Aziz, agronome à Skikda (ex-Philippeville), Katiba, animatrice de radio à Alger ou Kheïreddine, jeune metteur en scène de théâtre qui vit à Oran et qui interroge les anciens sur cette journée historique du 5 juillet 1962. Parmi lesquels Tchi-Tchi, personnage bouleversant. La vérité officielle ne recouvre pas exactement la leur. La parole qui se dit là, libre, mouvementée, chahutée et ballottée par l’Histoire, ou par des retrouvailles souvent douloureuses avivant les plaies familiales, cette parole-là est essentielle. Nous n’avons pas souvent l’occasion ou la chance de l’entendre venant d’Algérie. C’est ce qui fait le prix et l’importance du film de J-P. Lledo, à voir coûte que coûte.

De film en film, Jean-Pierre Lledo revient sur un thème qui lui tient à cœur : cette idée que l’Algérie, avant l’Indépendance conquise de haute lutte le 5 juillet 1962, était une terre de paix où les différentes communautés, espagnoles, maltaises, juives, italiennes et autres, et toutes les religions, vivaient en harmonie. Lui-même d’origine espagnol, tout en clamant son identité algérienne, Lledo se veut le témoin, sinon nostalgique du moins mélancolique de cette période bénie. Entre-temps, l’Histoire a passé. Et elle a fait des ravages. Attentats, crimes de l’OAS, massacres, luttes violentes pour conquérir une Indépendance méritée, justifiée. Mais à quel prix ? C’est la question qu’ose poser le film, faits ou témoignages à l’appui. Les communautés sont parties, dans les conditions que l’on sait, en juillet 1962. Exil massif, laissant le pays face à sa propre histoire. Sentiment d’une absence : où sont-ils partis ? Aurions-nous pu vivre ensemble, une fois l’Indépendance conquise ? Impossible de répondre à une telle question.

Très différents les uns des autres, les personnages du film de Lledo, filmés à Skikda, Alger, Oran ou Constantine, sont des témoins occasionnels, subjectifs et passionnés, qui ont vécu les événements et leur donnent une interprétation à hauteur d’homme. Algérie du passé, Algérie d’aujourd’hui, le choc est frontal, vibrant et passionnant. Katiba revisitant la Casbah d’Alger où elle a grandi, retournant à Bab El Oued dans sa rue natale, se fait apostropher par un jeune du quartier : « Ta réalité n’est pas la mienne, tu appartiens au passé, notre réalité est plus importante… Tu dois vivre notre réalité ! ». Violence à fleur de peau, mémoire qui ne tisse aucun fil… Coproduit par l’ENTV (Télévision algérienne), Algérie, histoires à ne pas dire est pour le moment dans un placard. Peut-on parler de censure officielle ? Plusieurs avant-premières, au cours des derniers mois, ont été annulées. Et la Télévision algérienne n’a visiblement pas l’intention de diffuser le film. Est-ce à dire qu’il est encore des choses qu’il ne faut pas dire en Algérie, en 2008 ?

Pour plus de renseignements sur le film, consulter le site : www.algeriehistoiresanepasdire.com

Vendredi 29 février, Jean-Pierre Lledo sera présent au Reflet-Médicis pour un débat après la projection de 20 heures.

23 Réponses à “Algérie, histoires à ne pas dire”

  1. serge lledo a écrit :

    Monsieur,
    Juste une petite mise au point par rapport à la coproduction du film par la télévision algérienne « E N T V »: dans le contrat signé entre le producteur algérien « Naouel films » et l ‘E N T V, il est bien mentionné que le film ne pourra passer sur le petit écran que 18 mois après sa sortie en salle, et ce, à la demande du producteur. Donc, pour l’heure il est bien trop tôt pour « crier à la censure », du moins celle de la télévision.
    Veuillez agréer, monsieur, mes salutations distinguées.

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Dont acte. Pour le moment, le film de Jean-Pierre Lledo n’est pas programmé en Algérie, du moins dans les salles, puisque toutes les projections prévues ont tour à tour été annulées pour des raisons plus ou moins obscures. Est-ce que pour autant le film passera à la Télévision algérienne dans un délai de 18 mois, s’il n’a pas fait l’objet d’une sortie en salles ? On verra bien.

  3. Leïla a écrit :

    Lledo raconte sa nostalgie et non pas la « vraie » histoire. L’Algérie, sous l’occupation française, n’était certainement pas une terre de paix. Même si les différentes communautés habitaient ensemble, l’oppression contre les Algériens ne doit jamais être oubliée pour autant. C’est ce que M.Lledo semble oublier. Il ne faut jamais être nostalgique d’une époque de colonisé, car elle a coûté trop cher aux Algériens.

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Leïla, franchement, heureusement que le film de Jean-Pierre Lledo, « Algérie, histoires à ne pas dire », est plus complexe, plus riche et plus nuancé que ce que vous en dîtes. A vous lire, j’ai l’impression non pas d’avoir vu un film, long, sensible, avec de nombreux personnages, différents points de vue, différentes couches d’informations, mais lu un tract au message très réducteur. Dans mon souvenir, c’était bien d’un film qu’il s’agissait. Et j’en garde un souvenir très fort. S. Toubiana

  5. Leïla a écrit :

    C’est justement ce qui manquait au film : la nuance. Le film était très nostalgique d’une Algérie qui n’est plus. Les Oranais qui chantaient et qui dansaient avec les Espagnols… aussi beau que cela puisse être, ça restait tout de même que des « arabes », des « musulmans », des « indigènes », des « bougnouls »…. Cela aurait été très pertinent que M.Lledo montre le climat de tension dans lequel vivaient les Algériens sous l’occupation française. C’est des élèments indispensables pour comprendre le type d' »altérité » présente entre les communautés.
    Aussi, M.Lledo remet en question la révolution armée et qui a touché les civils. Très bonne question en effet : mais la question devient très orientée et post-colonialiste si on ne montre pas l’oppression et le génocide commis par l’armée française contre la population algérienne. Dans la logique du réalisateur, les mouvements de libération perdent leur légitimité s’ils utilisent la violence contre les civils. C’est un peu ce qui arrive en Irak, en Palestine, et en Afghanistant aujourd’hui. La réponse à l’oppression devient subitement du terrorisme. M.Lledo n’analyse pas son objet avec tous les éléments, il ne prend que l’ongle de sa nostalgie, comme de nombreux pied-noirs. L’analyse doit être globale, pour mieux comprendre le particulier de chaque histoire.

    M.Lledo ne fait allusion à l’oppression française que lors d’un petit extrait au début du film, avec le personnage de Aziz. D’ailleurs,Aziz dit une phrase lourde  » les hommes avaient tout pour vivre ensemble ». Sous un régime de colonisation, les hommes n’avaient certainement pas la possibilité de vivre en harmonie réelle, même s’ils le désiraient. Le rapport de force était tellement inégale, la dignité d’un peuple et son identité étaient tellement bafouées, que c’est vraiment se leurrer que de croire qu’une harmonie pouvait exister.

  6. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Leïla, je ne partage pas du tout votre point de vue sur le film de Jean-Pierre Lledo, point de vue strictement politique et franchement dogmatique. Jamais le film ne remet en cause le fait (faut-il le dire : positif !) de l’indépendance algérienne. Il revient sur cette période, tente d’en dessiner les contours à travers des témoignages. Je trouve incroyable que vous doutiez de la sincérité du réalisateur quant à l’Indépendance de SON pays. Je ne crois pas qu’il s’agisse de nostalgie, mais d’une certaine mélancolie, parce que tout simplement il y a ceci : le présent de l’Algérie pousse à une certaine mélancolie. Vous parlez de génocide (sic), votre vision est en blanc et noir, alors que le film est en couleurs, si je peux me permettre cette comparaison ou cette métaphore…
    S.T.

  7. Leïla a écrit :

    Je ne doute pas que M. Lledo se réjouisse de l’indépendance de l’Algérie, et encore moins que l’Algérie soit son pays. L’idée ici est de faire une critique du reportage et non pas un jugement des intentions du réalisateur.
    Cependant, je tiens à relever l’orientation de son reportage. Je vous l’ai dit dans un ancien message, il ne fait pas assez allusion à la souffrance du peuple algérien durant les 132 ans de la colonisation. Ce n’est pas du dogmatique que de dire qu’on ne peut pas aborder une question, en tracer les contours justement, sans évoquer un minimum le cauchemar des Algériens durant l’occupation. Je vous dirais même que si dogmatisme il y a, c’est justement de prendre un objet aussi difficile que l’histoire de l’Indépendance, et de l’amputer de sa source même.
    Comme je vous l’ai dit également dans un autre message qui a disparu de votre blog, j’ai posé à M.Lledo cette question lors d’un débat sur son film. Il m’a répondu qu’il n’avait pas de budget pour tout faire. Quelle triste réponse pour la mémoire des civils morts, et des deux côtés voyez-vous !
    Finalement, le présent de l’Algérie est bien triste en effet. Mais c’est une mauvaise lecture que de le lier aux événements de l’Indépendance. Une enquête socio-historique permet très rapidement de démontrer les liens entre l’intégrisme religieux (qui est en croissance mondiale), la pauvreté, le chômage, la conjoncture mondiale, la corruption et le post-colonialisme (et j’en passe).
    Ce que M.Lledo a tenté de faire (dire que le FLN a égorgé, et faire un parallèle avec les intégristes) est très malsain et réducteur. Tous les mouvements de libération ont eu recours à la violence, et ce n’est pas le propre du FLN (même si la violence est toujours inhumaine, ceci nous emmène sur un autre débat). C’est ce que la grande Louiza Ighilahriz a tenté de lui expliquer dans le film. Bien que Camus disait : « Seule est juste une cause dont les moyens sont justes ». C’est une bien beau rêve, et je suis la première à en rêver. Mais la réalité est tout autre dans un contexte de guerre. Larbi ben Mhidi disait : « Donnez-nous vos tanks et nous vous donnerons nos couffins ».
    Je me pose la question : peut-on mener un mouvement de libération sans faire usage de la violence ? Je le souhaite. Mais lorsqu’on est nous- même violentés, comment se défendre ? C’est là encore un autre débat. Si telle était l’intention de M.Lledo, mener une réflexion sur la lutte non-armée, il aurait été très pertinent qu’il l’aborde d’un point de vue globale, sans se limiter au cas algérien. Pourquoi ? Parce que la blessure est fraîche, parce que la France ne reconnaît toujours pas ses crimes et ose parler des « bienfaits » de la colonisation, parce que c’est trop injuste d’aller voir l’opprimé, toujours blessé, et de lui dire : mais qu’est-ce qui t’a pris de devenir violent comme ça, alors qu’on te martyrise tous les jours ?
    Cela dit, il est quand même nécessaire de réfléchir sur la question, mais cette question se pose dans un contexte : sans hostilité aucune, pour tenter de rompre le cercle vicieux de « la violence qui engendre la violence ».
    Le réalisateur a tout de même le mérite de montrer certaines vérités… mais je persiste à dire que son travail est trop orienté et incomplet. Pour qu’il soit en couleur (pour reprendre votre expression), il aurait dû montrer la souffrance algérienne que la France a du mal à avouer, car elle a bien un génocide sur la conscience même si certains semblent en douter.

  8. Aziz Mouats a écrit :

    La phrase par laquelle s’ouvre le film ne doit pas être interprétée en dehors de son contexte. Je m’explique. Il s’agit pour moi d’une constatation générale, à savoir que dès le départ, l’entente devrait guider le comportement des hommes. Malheureusement, dès 1830, la France coloniale et son armée auront tout fait pour anéantir toute velléité de liberté et d’égalité de la part des habitants séculaires de l’Algérie, qui sont en grande majorité des Arabo-Berbères et une minorité de Juifs. Les premiers, en majorité musulmans, auront droit à toutes les formes de discrimination et de massacres collectifs, que de rares Français auront eut le courage et l’honnêteté de dénoncer – s’attirant les foudres de leurs coreligionnaires – sans réserves. Ce sont ces massacres et ces enfumades – ainsi que la dépossession de leurs biens – et les multiples tentatives de déculturation qui feront des Arabo-Berbères des citoyens de seconde catégorie. Pour ma part, en 1955, le fossé était déjà largement entamé. Entre la majorité d’Arabo-Berbères et la minorité de Français (y compris les Juifs autochtones qui avaient été naturalisés par le décret Crémieux, et qui acceptèrent de bonne grâce cette offrande de la République. D’ailleurs, pour la majorité d’entre eux, commencera un douloureux amalgame que seul l’intermède de Vichy leur fera un instant regretter. Je souligne qu’à ce moment, ce sont leurs amis algériens qui acceptèrent d’endosser la paternité de leurs biens afin de les soustraire à la confiscation par l’État français, comme le lui demandait avec insistance le régime nazi. Nous ne connaissons aucun cas où cette substitution de propriétaires se serait mal terminée. Tous les Algériens restituèrent les biens mis en leurs noms devant notaire, sitôt la chute de Vichy. Curieux tout de même que cet épisode ne figure dans aucun manuel d’histoire. Donc, cette entente entre les communautés, que J-P. Lledo tente d’accréditer afin de défendre sa thèse d’une complicité parfaite entre les habitants de l’Algérie coloniale ; que des illuminé du FLN seraient venus remettre à plat. C’est cette interprétation de mes paroles – par extension, de mon témoignage mais également celui d’autres acteurs du film -, que je dénonçais dans un article paru le 31 janvier dernier dans un quotidien algérien « Le Soir d’Algérie » http://lesoirdalgerie.com/articles/2008/01/31/article.php?sid=63941&cid=35 . Ce qui m’a valu une longue lettre de J-P. Lledo parue dans l’édition du 21 février du même journal http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/02/21/article.php?sid=64799&cid=35 , mise au point qui nécessita une ultime réplique de ma part. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/03/article.php?sid=65267&cid=2
    Cette idée du paradis perdu que quelques excités seraient venus déranger par leurs actes, est malheureusement encore fortement répandue sur la toile, par de nombreux et indécrottables colonialistes. Elle permet à ses nombreux partisans de gommer les insoutenables actes d’une rare cruauté, commis à l’égard du peuple algérien durant les 132 années de colonisation française. Le dernier en horreur et en intensité est bien celui de la terrible répression du 21, 22 et 23 août 1955, commis dans la région de Skikda (Philippeville à l’époque) par les ultras, largement soutenus par l’armée et fortement encouragés par les responsables dont le sinistre Aussaresse. Répression qui aura fait pas moins de 12.000 victimes civiles parmi la population autochtone et qui se traduira par la destruction de dizaines de mechta. Cette répression faisant suite à l’attaque par les insurgés FLN des principales agglomérations du Nord constantinois – dont le village minier d’El Alia où périrent 37 victimes, dont des femmes et des enfants -, lors de la journée du 20 août. Oser un seul instant croire, comme le suggère le film de J-P. Lledo, que j’aurai soudain découvert les bienfaits de la colonisation – alors que 23 membres de ma famille, dont mon père et mes deux oncles de 14 et 16 ans, venaient de disparaître à jamais en ce sinistre jour du 23 août-, serait faire une bien curieuse lecture, grâce à un non moins curieux raccourci. La France coloniale, son armée et son administration auront commis tant de crimes sur cette terre d’Algérie, qu’il faudrait une sacrée dose de courage, mais également de clairvoyance, pour s’en revendiquer aujourd’hui. A l’aune de la mondialisation à tue-tête, il faut être bien naïf pour croire que la discrimination dont fut victime le peuple algérien pouvait laisser place à autre chose que ce que nous avons vécu. Cependant, il est bien vrai qu’en de rares occasions, des hommes courageux – à l’instar de Roger Balestrieri, son père Jean et son épouse Germaine, à qui je souhaite une bonne santé – auront sincèrement tenté de mettre des ponts entre les communautés. Ils y sont parvenus, puisqu’à l’unanimité, les miens encore en vie continuent de leur témoigner une profonde amitié et une éternelle reconnaissance. Ils furent malheureusement bien seuls. Leur aide aussi arriva trop tard. Nos 23 hommes étaient probablement déjà au fond d’une fosse commune que ni la France, ni l’Algérie – malgré un recensement établi au lendemain des événements par le FLN -, n’ont à ce jour formellement désignée. Afin que nous puissions enfin offrir une sépulture à nos morts. La bêtise de la guerre est bien une invention humaine. C’est cela que je dénonce dans le film de J-P. Lledo. Transformer ce sentiment qui m’accompagne depuis 53 ans en éloge de la fraternité entre les toutes communautés, c’est emprunter un raccourci qui ne grandira ni son auteur ni ne soulagera nos peines. Tout juste provoquera t-il quelque excitation chez les nostalgiques d’une époque dont ma famille continue de panser les plaies.

    Mostaganem le 18 avril 2008
    Aziz Mouats, Université de Mostaganem, Algérie

  9. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Monsieur, je publie volontiers votre longue contribution, à propos du film de Jean-Pierre Lledo: « Algérie, histoires à ne pas dire ». Vous reprochez au film son ambiguïté, voire plus encore, ses positions pro-coloniales. Ce n’est pas mon point de vue, celui d’un spectateur attentif, même si je ne connais pas aussi bien que vous, et d’aussi près, l’histoire de la Guerre d’Indépendance algérienne. J’espère que Jean-Pierre Lledo répondra lui-même à vos arguments. Ce qu’il y a de vrai, c’est que ce film porte bien son titre: Histoires à ne pas dire. Plus de quarante ans après, les plaies ne sont pas cicatrisées, les passions toujours vives. Peut-être n’y a-t-il pas eu assez de films, de livres, de documents, de témoignages ? Dans la période actuelle, je continue de penser que non seulement le film de Lledo est utile mais nécessaire. Cordialement. S.T.

  10. Aziz Mouats a écrit :

    Bravo Monsieur Toubiana pour votre hospitalité et votre objectivité.
    Il est vrai que ces événements du 20 août 1955 n’auront pas mobilisé comme il se devrait, ni les médias ni les historiens. Il est évident qu’à ce titre, le film de J-P. Lledo constitue une première. C’est pourquoi j’y ai apporté ma contribution et celle de mes proches. Je déplore que lors du montage, certaines séquences, et vous êtes très bien placé pour le comprendre, sont sujettes à interprétation. D’où mes remarques et objections à l’intention du réalisateur. Ce qui ne m’empêche pas d’être un fervent partisan de la programmation du documentaire dans des salles et pour un public algérien.
    Cordialement
    Aziz Mouats

  11. Merite de liedo a écrit :

    Nous aussi, on continue à panser les plaies. J’ai vu le film de Jean-Pierre Lledo. Je suis un pied-noir en exil depuis le 18 octobre 1962, de Constantine. Je précise que j’ai à la fois de la famille juive et chrétienne. Le film de Lledo dérange car il montre une vision non-manichéenne de la situation. Le 20 août 1955, ce fut une boucherie. Par exemple, la famille Melo à Ain Abid, avec un bébé la tête éclatée contre un mur. Le FLN voulait qu’un fossé irréverscible se creuse entre les communautés. Cela reussit au-delà de toutes ses espérances. Au fait, c’est bientôt le 13 mai. 10 milions de Francais, comme le proclamait la propagande gaulliste. On me retorquera qu’une violence doit repondre à une autre violence.
    A Noël 1961, des collègues de ma mère, musulmans, qui travaillaient tous à la Sécurité sociale, achetaient des bûches de Noël faites par ma grand-mère. Certains étaient FLN. Et pourtant ils vivaient ensemble. D’ou l’absurdité. Bravo à Lledo, qui a le mérite de briser des tabous. Je précise qu’un de mes ancêtres était esclave dans les prisons d’Alger, et que mon cimetière chrétien du Khroubs a été profané puis détruit après l’Iindépendance. Ce que je refuse devant toute oeuvre, c’est la grille de lecture toute faite.
    Un constantinois. Francais de nationalité, mais algérien de terre.

  12. Jean-Pierre Lledo a écrit :

    Quelques brèves réponses de l’auteur du film aux visiteurs du Blog de Serge Toubiana.

    Une longue tournée de présentation du film en France et dans le monde ne m’a pas permis de prendre connaissance plus tôt des questions. Que leurs auteurs m’en excusent.

    Serge Toubiana a tout a fait raison. Il n’est pas de très bon augure qu’à ce jour, soit près d’un an après la 1ère demande, je n’aie toujours pas reçu le visa d’exploitation du film. Le temps est malheureusement encore loin, dans notre pays, où l’Etat comprendra que sa mission n’est pas de penser ou de créer, à la place des citoyens.

    A Toulouse, 2 jeunes d’une trentaine d’années ont aussi abordé le problème de la violence contre les civils. Le premier essaya de justifier celle du FLN en la comparant à celle de la colonisation. C’était un Français d’origine algérienne. Le second qui lui répondit aussitôt affirma que toute violence contre les civils était inacceptable, que rien ne pouvait la justifier. C’était un Algérien étudiant depuis 2 ans dans cette ville. Il précisa qu’il venait de Blida, (ville meurtrie par la violence islamiste où, dans les années 90, chaque matin des têtes jonchaient les trottoirs). Il ajouta aussi que durant toute sa scolarité, on ne lui avait jamais parlé de ce qu’il venait de découvrir à l’écran.

    Quant à vous Leïla, il faudrait que vous vous demandiez pourquoi pour s’en prendre au système colonial – comme l’a fait mon père, et moi-même avec la seule arme que j’avais (étant né en 47), la parole – le FLN a cru bon de cibler la population non-musulmane. Fernand Iveton, communiste, refusa lui de mettre la bombe au moment où ses collègues travaillaient. Ce qui n’empêcha pas qu’il soit guillotiné. Mon film ne remet donc pas en cause le droit de mettre fin à un système injuste, mais le ciblage ethnique du nationalisme.

    Si vous achetez le DVD de mon film précèdent Un rêve algérien, qui vient de sortir, vous verrez Mustapha Saadoun (dont l’armée française assassina trois de ses frères pour lui faire payer son engagement dans le maquis communiste) avoir aussi la nostalgie de l’anisette, et déplorer que l’Algérie n’ait pas su demeurer multiethnique. Dans les bonus, vous verrez aussi Hamid Benzine qui passa trois terribles années dans un camp (titre de son récit), mais qui se rappelle avec bonheur le bon temps passé à Bab el Oued, un verre d’anisette à la main, avec des ouvriers pieds-noirs, et qui surtout dit que si l’Algérie avait pu rester multiethnique, on aurait peut-être échappé à l’intégrisme. L’historien Mohamed Harbi ne dit-il pas que dans ce cas, c’est tout le modèle politique algérien, fondé sur la pensée, le parti, la langue, la religion et la télévision uniques, qui aurait été remis en cause ? Si le FLN avait eu la pensée de l’ANC de Mandela, demandez-vous, Leïla, si les choses n’auraient pu être différentes. Rien ne dépend jamais entièrement d’un « système ». Il y a aussi ce qu’en font les gens, à titre individuel et collectif.

    En résumé, 46 ans après l’Indépendance, cessez d’identifier le système colonial à la population non-musulmane. Cessez aussi dans la foulée, si vous le pouvez, d’identifier le FLN de la guerre, à tout le peuple algérien, à l’Algérie. Etre nationaliste n’était heureusement pas la seule manière d’être un indépendantiste.

    En ce qui concerne Aziz Mouats, on pourra trouver notre échange sur le site du film (http://algeriehistoiresanepasdire.com). Je crois déjà m’y être étonné que, plus de 6 mois après avoir reçu le DVD du film, et de nombreuses louanges, pour preuve ses propres mails, il ait cru bon m’intenter une série de procès d’intention. Connaissant la chape de plomb étatique qui pèse sur chaque citoyen, au chapitre de l’Histoire, et le fait que tous les personnages importants du film ont été approchés par les Autorités afin qu’ils se désolidarisent du film (alors qu’évidemment je n’ai forcé personne à parler durant 120 heures, étalées sur 10 mois de tournage), je ne peux donc lui en tenir rigueur, et ce d’autant plus que contrairement au personnage de Constantine, il a tenu à maintenir son image dans le film. Et s’il l’a fait c’est bien sûr d’abord parce qu’il sait dans le fond que j’ai restitué avec honnêteté son besoin de reconnaissance publique de l’engagement révolutionnaire de sa famille, sa quête de vérité par rapport à la mort suspecte de son oncle, chef local de l’ALN, vendu par les siens selon l’hypothèse des Mouats, et son besoin de rendre publiquement hommage à Mr Balestrieri qui hébergea les 85 personnes de sa famille durant toute la guerre.

    Tous ses procès d’intention par contre ne peuvent trouver, dans mon film en tous cas, une once de justification.

    Paradis perdu ? Je ne suis pas croyant et donc ni le paradis ni l’enfer ne font partie de mes catégories de pensée. Où Leila et Mouats l’ont-ils vu, ailleurs que dans ce qu’ils me prêtent ?

    Où ont-ils vu que je montre « une complicité parfaite » entre les communautés ? Si c’est l’instit Mme Dahan qui inscrit Katiba à l’école, n’est ce pas contre la directrice qui « ne voulait pas d’Arabes à l’école » ?

    Où Mouats a-t-il vu ou entendu que je parlais de « complicité parfaite » entre les communautés ? Où cela existe-t-il d’ailleurs ? Ne tua-t-on pas plus d’une centaine de jeunes Kabyles, il ya quelques années, avant de reconnaître enfin la dimension berbère dans la Constitution algérienne ? En ce moment même où j’écris, n’est-on pas en train de s’entretuer entre Mozabites et Arabes ?

    Mais n’est-il pas aussi faux de suggérer, comme le font Mouats et Leïla, qu’entre les trois communautés n’aurait existé qu’une « parfaite répulsion » ?

    Pourquoi Mouats ose-t-il dire aujourd’hui que « les Balestrieri furent malheureusement bien seuls », alors qu’il raconta lui-même en passant devant les endroits où avaient habité les agriculteurs européens, que c’est « Cuomo qui lui apprit à planter les roses », ou encore que c’est une dame également d’origine italienne, dont j’ai oublié le nom, qui lui offrait chaque jour son goûter, ainsi qu’à d’autres enfants.

    N’est-ce pas son Oncle Mohamed, qui nous dit, devant la caméra aussi, que sur 23 agriculteurs européens de la région, seuls 2 refusèrent de signer la pétition demandant aux autorités militaires la restitution des 23 hommes de la famille Mouats dont ils soulignaient la respectabilité ?

    (Autant de sons et d’images que j’ai dû supprimer au montage, puisque Mouats semble ignorer que l’on ne peut mettre trente heures de tournage dans 40 minutes).

    Ce dernier exemple ne permet-il d’ailleurs pas d’imaginer ce qui aurait pu se passer en Algérie, si au lieu de cibler les petites gens des communautés non-musulmanes, le FLN s’en était tenu rigoureusement à une violence sélective vis-à-vis des institutions coloniales ? Que ni Leïla, ni Mouats, n’arrivent encore à interroger la stratégie du FLN durant la guerre, 46 ans après, en dit long sur les dégâts du nationalisme qui, après l’Indépendance, s’est transformé en idéologie d’Etat, interdisant tous les autres courants de pensée.

    A tel point que même un scientifique comme Mouats ne doute même pas des chiffres canonisés et ronds des victimes des répressions : 12 000 morts en 55, comme l’on dit 45 000 en 45 et 1 500 000 pour toute la guerre. Chiffres qui, selon tous les historiens, ont été multipliés à peu près par 4 ou 5. Ne serait-il pas temps de demander à l’Etat, pourquoi il n’a jamais profité des nombreux recensements pour connaître enfin le chiffre exact des victimes ? Et de se demander à quoi sert cette surenchère macabre ?

    Que reste-il de tous ces mauvais procès ? Heureusement…. le film et les spectateurs !

    Comme cette spectatrice pied-noire originaire de Tlemcen qui lança de sa place : « Dites à Aziz qu’on l’aime ! » Ou celle de Béziers qui, après avoir pleuré en évoquant cette scène finale où Aziz ne retrouve de son héros d’oncle que « 3 cailloux », me révéla que son père avait lui aussi disparu à Oran le 6 Juillet 62, le lendemain de l’Indépendance, alors qu’il venait d’annoncer à sa famille que lui, le forgeron du village de Misserghin, aimé de tous, ne partirait pas…

    Jean-Pierre Lledo

  13. Viviane Abrouk a écrit :

    Par leur vécu personnel ou celui de leur famille, les Français et les Algériens d’aujourd’hui sont particulièrement concernés par le film de Jean-Pierre Lledo : Algérie, histoires à ne pas raconter.
    L’émotion qui étreint le spectateur, confronté à la beauté des scènes filmées et à la cohérence humaine des témoignages, aussi terribles qu’ils puissent paraître, se conjugue avec la souffrance de beaucoup d’entre eux.
    Pensons à tous ceux qui, dans chaque communauté, y ont perdu des leurs, dans des conditions souvent atroces, « inracontables ».
    Pensons à tous ces Français non-musulmans, endeuillés de leur terre natale algérienne, à laquelle ils ont dû s’arracher par la force du nationalisme algérien et par celle des ultras de tous bords.
    Pensons aux militaires de carrière et aux appelés, pris dans cette tourmente, à tous ceux qui y ont été mêlés et à leurs drames de conscience.
    On se doit d’être reconnaissant envers Jean-Pierre Lledo et les Algériens qui ont accepté de témoigner dans son film, de la quête ou du constat de « vérités » historiques essentielles sans occulter leur aspect « politiquement incorrect », parce qu’elles témoignent de luttes intestines, à l’encontre du « mythe » de l’unité nationale et du terrorisme de guerre, à l’encontre de sa réprobation mondiale.
    Et pourtant, ce qui m’a bouleversée c’est que, selon la grille interprétative des protagonistes, leurs vérités sont assénées comme des évidences introduisant le spectateur dans le mystère de l’Histoire, par celles qu’on ne dit pas.
    Malgré la non-moins évidente bonne volonté de bien des Français, on ne peut ignorer ni les révoltes chroniques contre la colonisation, ni le poids des humiliations subies par son implantation depuis 1830. On ne peut ignorer la multiplicité des partis en présence d’un statu quo colonial voué à être réformé politiquement ou à être effacé.
    C’est cet aspect déterminé de « table rase » de l’ancien système colonial et des populations l’incarnant, dont le départ a été ici voulu, ce sont les répressions collectives qui pouvaient s’en suivre et les évocations des relations inégalitaires ou ambiguës entre les communautés, dont il est principalement témoigné et qui m’ont le plus troublée.
    Katiba laisse finalement entendre une réponse positive à la question de Jean-Pierre Lledo : jusqu’où aurait pu mener son implication dans la lutte pour l’Indépendance, si elle avait été plus âgée ?
    Louisa Ighilariz, qui y a participé jusqu’à l’invalidante torture, rappelle l’inégalité du combat militaire pour l’Indépendance.
    Elle reprend la réponse incisive de Ben M’hidi à Bigeard : « Donnez-nous vos avions et vos tanks, et nous vous donnerons nos couffins », pour l’illustrer.
    Quant au témoignage d’Aziz Mouats, aussi courtois que clair en la matière, il faut prendre les spectateurs pour des imbéciles, sourds et aveugles, pour imaginer qu’on puisse y trouver une approbation du système colonial !
    Rêver que les modalités et l’issue auraient pu être différentes, pardonnez-moi, cher Jean-Pierre, c’est comme rêver la Révolution française sans la Terreur à l’encontre des contre-révolutionnaires. Qui ne le voudrait pas ?
    Le poète André Chénier a été guillotiné pour s’être moqué des « barbouilleurs de Lois ».
    « Barbouilleurs de Lois » et nationalistes algériens ont triomphé.
    Sans doute faut-il voir la question du côté de la dignité humaine.
    Votre film pose formidablement cette question.

    Viviane Abrouk
    Villeneuve lez Avignon

  14. Serge Toubiana a écrit :

    Le film de Jean-Pierre Lledo provoque des réactions passionnées et passionnelles. Cela n’a rien d’étonnant, car il touche à un sujet intime, enfoui au coeur même de l’Histoire algérienne depuis plus de 40 ans, et qui demeure aujourd’hui encore tabou. Le film de Lledo ose remettre en cause, par le jeu des témoignages, donc par la parole, le souvenir et l’émotion du souvenir, une doxa solidement installée dans les esprits de la plupart des protagonistes. J’ai dit tout le bien que je pensais de ce film, l’émotion qui s’en dégageait, née d’une volonté farouche, entêtée, de débusquer la vérité, au-delà des slogans et des grandes idées toutes faites. Plusieurs lecteurs de mon blog écrivent et réagissent, tant mieux. Je leur laisse la parole, comme je laisse aussi la parole à Jean-Pierre Lledo, qui est d’abord et avant tout un cinéaste, c’est-à-dire un homme qui s’exprime par ses images, par les sons et les voix qu’il enregistre. Il me semble que sur cette question encore brûlante, personne ne doit s’arroger le droit d’avoir le dernier mot. Plus important, me semble-t-il, c’est justement que les bouchent s’ouvrent. Et que le film soit vu ! S.T.

  15. Aziz Mouats a écrit :

    Réponse à Jean-Pierre Lledo.
    A la sortie du film et son accueil âprement disputé, notamment par la presse algérienne, J-P Lledo était attaqué de toutes parts. C’est auprès de moi qu’il trouvera le réconfort et le soutien qu’il attendait de ses amis. Au moment où cette pression se faisait de plus en plus forte, il aura trouvé en moi un allié inflexible. A chaque tentative larvée de diffusion, c’est à mes cotés que le réalisateur venait chercher un réconfort que je ne lui ai jamais refusé, ni monnayé. Pourtant, j’étais loin de partager toutes les lectures qu’il aura faites des témoignages de Skikda. En ne me prononçant que 7 mois après avoir visionné le film, je voulais donner aux spectateurs enfin avertis une autre grille de lecture. Dans ma mémoire d’enfant rescapé, je pensais sérieusement que les 23 hommes de la famille qui avaient été enlevés le 23 août 1955 allaient revenir à la fin de la guerre. Il n’en fut hélas, rien. Il fallait se résoudre à en faire le deuil. Mais ça, personne ne nous y avait préparés. C’est pourquoi, dans un siècle, dans un millénaire, je continuerai de réclamer justice. Or, que se passe-t-il lors du visionnage du film ? Ce « Aziz » si troublant et si juste, aurait-il soudain rejoint le clan des néocolonialistes ? Aurai-je, malgré l’intense douleur qui continue de m’habiter, trouvé quelques vertus au système colonial, au point de donner l’impression de le regretter ? L’engagement de ma famille auprès du FLN, le sacrifice des miens –y compris dans l’Algérie algérienne-, ne sont en aucune manière contestables. Malencontreusement, vus d’ici, certains passages du film le laissent poindre. Cette lecture possible ne pouvait me laisser froid. Il me fallait absolument rétablir la vérité. C’est ce qui semble déplaire profondément à J-P Lledo. Qui oublie que notre contrat moral, mais également éthique, ne stipulait nulle part que j’étais un acteur godillot. Dans son film, je ne cherchais nullement à écrire l’histoire, je me contentais de la subir. C’est atrocement pénible et douloureux. C’est pourquoi, lorsque J-P Lledo parle de la chape de plomb et de la pression des autorités, il me fait un procès injuste et inutile, voire loufoque. En parlant de procès d’intention, il fait diversion uniquement pour se déculpabiliser. L’accueil fait à son film par d’éminents historiens (Gilles Manceron, Gilbert Meynier, Benjamin Stora, Daho Djerbal, Med Harbi…), que l’on ne peut soupçonner de subjectif, est suffisamment éloquent. Au lieu de croiser le verbe avec eux, il préfère distiller des flèches incendiaires et faciles vers ceux qui osent un avis différent. Après tout, son film est un véritable succès médiatique, qu’aucun documentaire ne peut lui disputer. Il devrait se suffire de ce triomphe, au lieu de chercher des victimes expiatoires qu’il tente d’accabler en les entraînant dans un combat d’arrière-garde. Franchement, je croyais que l’histoire du nombre de victimes avait été définitivement réglée par nos échanges sur « le Soir d’Algérie ».
    « Au moins 12.000 victimes »
    Mais voilà qu’il s’entête à nouveau à contester les chiffres de la répression. Les chiffres ronds semblent l’importuner au point qu’il ne s’embarrasse pas d’en parler avec dérision. Mais Monsieur Lledo, ce sont des chiffres éloquents en matière de barbarie coloniale. Les 12.000 victimes algériennes du 20 août ne sont pas une invention de Aziz Mouats. Benjamin Stora parle « d’au moins 12.000 », ce qui suppose qu’elle furent plus nombreuses. Chercher à minimiser, comme il le fait par ailleurs pour les 45.000 morts du 8 mai 45 ou les 1,5 millions de la guerre d’Algérie, est très étonnant de la part de quelqu’un qui se défausse à chaque fois de ne pas être historien. Mais d’où lui vient cette volonté de contester ce que d’authentiques historiens rappellent avec constance ? Pourtant, il n’hésite pas à faire des parallèles d’historiens lorsqu’il croit déceler une « traçabilité » entre le combat libérateur contre l’oppression coloniale et le combat pour les libertés dont la Kabylie et d’autres régions d’Algérie sont continuellement le théâtre. A un moment de sa réponse, j’ai cru déceler une jubilation que j’espère furtive, suite aux événements dont fut le théâtre la ville oasienne de Berriane. Le cinéaste semble y détecter une résurgence des luttes inter-ethniques qu’il met en exergue dans son documentaire. Sinon, comment expliquer la mise en évidence de l’affrontement entre Mozabites et Arabes ?
    Par ailleurs J-P Lledo soutient que l’Etat algérien aura fait pression sur les personnages afin qu’ils se désolidarisent d’avec le film. Ou il en dit trop, ou il n’en dit pas assez. L’accusation est suffisamment grave pour que J-P Lledo ne puisse en aucune manière s’en laver. S’il possède la moindre preuve, il faudra qu’il ait l’honnêteté de nous éclairer. En tout cas, en ce qui me concerne, je ne cesse de soutenir la projection du film. (…) S’il est vrai que son film a quelques difficultés avec le ministère de la culture, qu’il se rassure, les DVD circulent allègrement dans le pays. Encore une fois, J-P Lledo entretien l’amalgame, jetant l’opprobre, pour ne pas en dire davantage, sur ses autres principaux personnages.
    Récupération extrémiste
    A ce rythme, il va finir par se fâcher avec tous ses amis. A qui il faudra expliquer pourquoi il ne se prononce pas sur l’accueil que lui réservent les irréductibles de la sphère « Pieds-noirs » dont on peut prendre connaissance sur le site http://www.infopn.net/infopn/rubriques/echodesmedias/lledo-senouci.html , où on peut lire en guise d’introduction que « Monsieur Lledo est devenu un Pied-Noir comme les autres. Curieusement, il développe aujourd’hui des arguments que nous tous aurions pu écrire… ». Poursuivant son procès, le cinéaste soutient avoir « restitué avec honnêteté son besoin (à Aziz) de reconnaissance publique de l’engagement révolutionnaire de sa famille, sa quête de vérité par rapport à la mort suspecte de son oncle, chef local de l’ALN, vendu par les siens selon l’hypothèse des Mouats,…. ». Si j’approuve sans réserves la première partie de la phrase, je ne peux ne pas m’interroger sur ses intentions quand il parle de l’oncle « vendu par les siens ». Vu sous cet angle, le lecteur ne peut en aucune manière douter de l’appartenance des traîtres. Là, en matière de mauvaise foi et de manipulation, J-P Lledo fait très fort, puisqu’il offre l’image d’une famille de renégats ; reprenant presque mot pour mot le texte publié sur le site de Légion étrangère, dont il a connaissance, où mon oncle Lyazid est accusé de terroriser sa famille. Troublant est le comportement de J-P Lledo à cet égard. Lui qui sait pour l’avoir rencontré que le « donneur de Lyazid » appartient à la tribu de sa belle-famille. En parlant des « siens », il entretient sciemment un amalgame. D’autant que dans le film, un témoin, le moudjahid Larroum, dira sans aucune hésitation que la mort de Lyazid est le fruit d’une trahison. Ses auteurs sont connus et c’est grâce à la caméra de JP Lledo qu’ils sont définitivement confondus. Lorsque je l’accuse ouvertement de trahir les témoignages, l’auteur du film parle de chape de plomb, exercée par les responsables algériens !!! En matière d’esbroufe, on ne peut faire mieux. Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veux voir. De là à se joindre à la cohorte des partisans d’une Algérie heureuse et multiethnique que le FLN, par son combat libérateur aurait irrémédiablement compromise, il y a un pas que JP Lledo ne cesse d’accomplir.
    Aziz Mouats, Mostaganem.

  16. Viviane Abrouk a écrit :

    Après avoir lu et entendu que ce qui pouvait correspondre aux « Histoires à ne pas raconter », sur l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, dans le film de Jean-Pierre Lledo, ne recoupait pas nécessairement ce à quoi ces « histoires » se référaient en priorité pour ma part (à savoir, la dignité du combat algérien pour l’indépendance et la nécessité de sa radicalisation), je reviens à la charge (contre ceux qui l’attaquent).
    Il me semble que la multiplicité des visions et des interprétations possibles, rend d’autant plus compte de la richesse de ce film, beau et dérangeant, à voir absolument.
    Viviane Abrouk

  17. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Monsieur, je publie votre texte, long, beaucoup trop long, en faisant un effort. Je le regrette déjà ! Car votre rhétorique est fastidieuse, pleine d’allusions, d’appartés, de réglements de compte. Je défie quiconque d’y comprendre quelque chose. Vous semblez penser que le film de Jean-Pierre Lledo est dirigé contre vous, et que vous en êtes le spectateur principal sinon exclusif. Votre vision des choses en est donc faussée. Dire que le film est « médiatique » est une vue de l’esprit. Franchement, c’est d’une tristesse infinie. Cordialement. S.T.

  18. Viviane Abrouk a écrit :

    J’ai écrit mon précédent commentaire avant d’avoir lu le dernier commentaire paru le même jour d’Aziz Mouats.
    Aziz me paraît très clair sur la portée de son argumentation.
    D’ailleurs, son remarquable témoignage dans le film de Lledo, comme ses nombreux commentaires parus ici et là, me l’ont fait voir comme un héros tranquille et positif de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.
    De plus, il y apporte, pour la connaissance de cette période si controversée de la colonisation françaises et sur ses multiples perceptions, bien des informations utiles à la recherche (cf. par exemple, parmi d’autres, son commentaire sur le sauvetage en tout bien tout honneur, par leurs voisins musulmans, des biens des juifs d’Algérie ayant perdu la nationalité française sous le régime de Vichy).
    Cependant, qu’il se rassure quand il semble craindre (d’où ses emportements salutaires, à tout prendre, en ce qu’ils permettent de précieuses précisions de part et d’autre) que le montage du film puisse faire de son témoignage un plaidoyer pour la colonisation !
    Il ne faut pas prendre les spectateurs pour des imbéciles !
    Mais, s’il a LA preuve de la possibilité de cette interprétation, cette perception provient, et il le dit lui-même, de certains milieux, malades de l’ « Algérie française »!
    La conception d’un « rôle bénéfique de la colonisation » les aide-t-elle un peu à panser leurs plaies auxquelles on ne peut que compatir, quand on sait la violence de leur arrachement à cette terre ou au ressentiment d’une armée « abusée »?
    Peut-être.
    Que cette conception d’un « rôle bénéfique » puisse être ressentie comme une provocation de l’autre côté de la méditerranée ?
    Sans doute.
    Car ce qui est dit dans ce film: ce qui, par petites touches successives, fait pencher, m’a-t-il semblé, impérativement la balance, ce sont les injustices, les humiliations, les inégalités et la dignité de la lutte pour l’indépendance algérienne, quelles qu’en puissent être les conséquences.
    Ce sont ces conséquences qui également m’ont laissée KO, après la représentation dans la grande salle de Fos-sur-Mer, le 10 mars (où nous n’étions que cinq spectatrices).
    Cela, à l’issue de ma vision, avec mes références issues de mon vécu. Et je crois qu’avec un vécu différent, celles du réalisateur, que j’ai en particulière estime, ne sont pas les mêmes.
    Reste le film, avec ses « vérités ».
    Elles m’ont paru splendidement et, selon Louisa Ighilahriz, lumineuse ancienne maquisarde que j’ai rencontrée par la suite à Alger, honnêtement recueillies, pour sa part.
    Bien cordialement.
    Viviane Abrouk

  19. Serge Toubiana a écrit :

    Je vous remercie pour votre contribution. Je partage votre pont de vue, sensible et honnête. Je ne crois aucunement que Jean-Pierre Lledo soit suspect de la moindre complaisance à propos du colonialisme. Certains ont tendance à lui faire des procès d’intention, au nom de la seule vision idéologique, souvent aveuglante, de ce qu’est un film. Désolé, un film, c’est autre chose, et cela ne peut pas se résumer à un discours, ou à un montage de discours. Faut-il que nous en soyons là, pour être obligé de le redire ? Amicalement. S. Toubiana.

  20. ROSSO Jean-claude a écrit :

    J’ai hésité avant d’utiliser mon clavier, de crainte d’attiser des polémiques stériles. Je suis pied-noir et j’avais 19 ans quand nous avons quitté notre très cher pays (4ème génération) en 1962. Nous étions de très modeste condition et vivions au milieu de huit familles arabes, sans aucun problème, dans le quartier populaire de la Colonne à Bône (devenu ANNABA).
    Je suis consterné par les propos tenus : apartheid (j’étais à l’école avec des arabes), génocide (existait-il une volonté planifiée et délibérée d’une solution finale – je rêve car c’est évidemment faux). Enfin, je découvre que j’étais un occupant. Dans ce cas, nous sommes tous des occupants (les Américains, les Australiens, les Arabes, et oui, et bien sur nous les immigrants). Le système colonial tant décrié n’a pas été mis en place par les pieds-noirs mais par la FRANCE, et appliqué par ses hauts-fonctionnaires.
    Bien sûr qu’il y eu des horreurs, mais des deux côtés. Ne peut-on pas, une fois pour toute, se réconcilier et abhorrer les nationalismes excessifs ? Le manichéisme de certains : le bon arabe – le mauvais colon, ou vice versa est stupide, car généraliser un cas particulier c’est lui faire trop d’honneur. Alors, ras le bol quand on me parle d’Ausaresse ; aurai-je l’autorisation de citer Amirouche et nous revoilà partis dans de nouvelles polémiques.
    Jean-Pierre LLEDO a tout à fait le droit d’avoir une vision différente de la version officielle et bien souvent tronquée. L’humanisme qu’il met en avant ne doit pas être considéré comme de l’utopie. Bien que cela surprenne, il y a eu en Algérie de véritables liens inter-communautaires mais bien souvent entravés par le religieux. Un dernier mot : respectez nos mémoires réciproques et surtout nos morts ainsi que leurs tombeaux. Car j’ai honte lorsque l’on TAG un lieu de mémoire en FRANCE mais j’ai également honte quand je constate le délabrement cataclysmique du cimetière juif d’Annaba. Je précise que je ne suis pas de confession israélite.
    Amicalement à tous les gens de bonne volonté.
    Jean-claude ROSSO

  21. saucede a écrit :

    Je n’ai pas eu connaissance de ce film à sa sortie bien que j’habite Paris. Je ne l’ai donc pas vu mais je viens de lire l’ensemble des commentaires. Malheureusement, trop de personnes, aussi bien en France qu’en Algérie, véhiculent des pensées manichéennes. Heureusement, il se trouve aussi des deux côtés de la Méditerranée des gens qui sont des humanistes. Pourriez- vous me dire si ce film est encore projeté ou si on peut trouver aujourd’hui un DVD ? Peut-être encore trop tôt ? Je vais essayer de trouver le DVD: un rêve algérien. Là aussi je n’en ai jamais entendu parler… Merci de répondre à ce bref message.

  22. Serge Toubiana a écrit :

    J’ignore s’il existe un DVD. Je vais me renseigner. Ce serait la moindre des choses, que le film de Jean-Pierre Lledo, « Algérie, Histoires à ne pas dire », soit édité. Avis aux éditeurs. S.T.

  23. laib a écrit :

    tout d’abord, je veux voir ce film afin de pouvoir avoir mon idée dessus.