Andrzej Wajda à la Cinémathèque française

Andrzej Wajda

Hier samedi, Andrzej Wajda était à la Cinémathèque française pour une « Leçon de cinéma » qui suivait la projection de L’Homme de marbre. Moment intense au cours duquel le cinéaste se livra en toute confiance en répondant longuement à nos questions. Revoir L’Homme de marbre, qui date de 1977, replonge le spectateur dans l’histoire du XXe siècle, avec ses images d’archives édifiantes à la gloire du socialisme polonais construit sur le modèle soviétique des années 50. L’histoire de Mateusz Birtuk (Jerzy Radziwilowicz, pour sa première apparition au cinéma), ouvrier maçon, héros positif stalinien qui, parce qu’il ne suit plus le droit chemin, disparaît dans les méandres de l’histoire officielle. Et celle d’Agnieszka (Krystyna Janda, elle aussi, première apparition sur un écran), jeune femme cinéaste travaillant pour la télévision polonaise, partant à sa recherche.

L’Homme de marbre avait provoqué un choc incroyable à sa sortie, par sa nervosité, son côté survolté, sa volonté d’en découdre avec l’histoire communiste officielle. Wajda inventait un personnage de femme trépidante, hystérique, fumant tout en parlant, courant sans cesse tout en trimballant son sac lourd et son matériel de tournage, voulant coûte que coûte retrouver ce héros disparu. Elle n’avait peur de rien, surtout pas de la censure officielle.

Hier Wajda est revenu sur les années de censure qui sévissaient dans la Pologne communiste, du temps où il commença à faire des films au milieu des années cinquante. Avant de réaliser un film, lui comme les autres cinéastes polonais devaient envoyer leur synopsis à une commission, qui accordait ou pas l’autorisation de développer le projet sous forme de scénario. Une fois écrit, le scénario repassait devant la commission, qui autorisait ou non le tournage. Une fois tourné, le film était jugé par cette commission, qui attribuait l’autorisation d’être montré dans le circuit des ciné-clubs (le pire des cas), ou d’accéder à une distribution plus large, d’être proposé à des festivals internationaux, voire d’accéder à une distribution internationale. Ainsi fonctionnait le cinéma d’État polonais, selon une censure graduée. L’Homme de marbre, raconte Wajda, subit la censure : une scène fut coupée, celle où Krystyna Janda visite le cimetière de Varsovie à la recherche de la tombe de l’ouvrier Birkut.

Cette scène, Wajda l’introduisit plus tard dans L’Homme de fer, réalisé en 1981 durant les années Solidarnosc. Le film fut tourné rapidement, montré dare-dare au Festival de Cannes en mai 1981 (annoncé comme « film surprise »). Il obtint la Palme d’or, avec le retentissement mondial que l’on sait. François Mitterrand venait d’être élu président de la République française. A l’Est le monde commençait à bouger, sous l’impulsion des ouvriers des chantiers navals de Gdansk menés par un leader syndicaliste nommé Lech Walesa. Hier, Wajda dit qu’il désirait réaliser son prochain film sur Walesa, afin de le réhabiliter, remettre ce personnage à sa véritable place dans l’histoire récente de la Pologne. L’Homme de fer donnait le sentiment très fort de vivre l’histoire contemporaine en direct, comme si le cinéma avait cette faculté, ce pouvoir ou plutôt ce contre-pouvoir d’exprimer les vœux et les élans de liberté qui secouaient le pays. Wajda avait entrepris son film quand la lutte n’était pas encore gagnée, et où il fallait ruser pour déjouer la censure d’État. Il disait hier qu’il se sentait alors porté par dix millions de citoyens polonais qui soutenaient Solidarnosc.

Wajda et l’Histoire, c’est tout un programme. Je le cite : « Mes films ne sont pas seulement marqués par ma vie. C’est plutôt la part de ma vie qui me manque qui hante mon œuvre. Je fais des films avec des sujets que je n’ai pas vécus, sur des lieux où j’aurais voulu être et où je n’ai pas été, sur des événements que je n’ai pas connus. C’est même cette obsession d’avoir été absent quelque part qui me pousse à faire des films ».

Au cours de cette leçon de cinéma, une scène de Katyn fut projeté, celle où un général polonais, prisonnier de l’Armée rouge avec ses soldats en 1940, s’adresse à ses officiers rassemblés dans un baraquement et leur dit à peu près ceci : « Nous autres, simples soldats, notre devoir est de replacer la Pologne sur la carte de l’Europe… ». Il leur dit aussi que faire la guerre, c’est parfois prendre le risque de la perdre… Le père de Wajda faisait partie de ces vingt mille officiers polonais massacrés par l’armée soviétique en 1940. Wajda attendit 2007 pour oser entreprendre un film sur cet épisode sinistre, tragique, de l’histoire polonaise, pour soulager sa conscience ou sa mémoire, et surtout celle de la Pologne. Hier il raconta qu’il avait assisté à deux projections du film récemment à Moscou. Une femme russe, après avoir vu Katyn, se leva et demanda à l’assistance d’observer une minute de silence à la mémoire des soldats polonais massacrés. Wajda a dit hier que rien que pour cette minute de silence, il était fier d’avoir réalisé son film.

Il y a dans l’œuvre de Wajda une veine plus sentimentale, plus littéraire, plus romantique. Après Katyn, Wajda a tourné Tatarak, inspiré d’une nouvelle de l’écrivain polonais Jaroslaw Iwaszkiewicz, qui raconte le deuil d’une femme, Marta, ayant perdu ses enfants à la guerre. Dans le film, la vie pénètre, ou plutôt la mort, le travail de deuil d’une actrice révélée au cinéma il y a plus de trente ans : Krystyna Janda. Wajda désirait lui confier le rôle de Marta ; l’actrice accepte, mais un drame survint dans sa vie, la mort de son compagnon Edward Klosinski, chef opérateur de plusieurs films de Wajda, parmi lesquels L’Homme de marbre et L’Homme de fer. Krystyna Janda écrit un texte, un journal intime dans lequel elle évoque ce deuil, et confie le document à Wajda. Le cinéaste décide alors d’intégrer le monologue de Krystyna Janda dans son film, faisant aisni s’entrecroiser le récit contemporain et la nouvelle d’Iwaszkiewicz. Ce qui donne à Tatarak sa modernité, l’histoire de Marta se racontant en trois temps qui se superposent, s’entrelacent. Tatarak est un film émouvant traversé par le deuil, mais aussi par cette énergie si particulière que le cinéma permet, qui est de renaître pour ainsi dire, ou de faire revenir les morts parmi les vivants.

Tatarak sort en salle le 17 février, distribué par les Films du Losange.

La rétrospective consacrée à Andrzej Wajda se déroule à la Cinémathèque française jusqu’au 21 mars. En collaboration avec l’Institut polonais de Paris.

Le numéro de Positif daté de février 2010 (n°588) consacre un long entretien avec Andrzej Wajda. Élise Domenach y publie un beau texte sur Tatarak. À lire.

2 Réponses à “Andrzej Wajda à la Cinémathèque française”

  1. Dominique Bapaume a écrit :

    Le film « La Terre de la grande promesse « (1974) de Wajda existe-t-il en DVD ? Sur quel support puis-je le trouver ? J’habite loin (en Guadeloupe), et j’aimerais le projeter à mes élèves (…un jour ?)
    Par avance merci de donner suite.
    Cordialement.

  2. Serge Toubiana a écrit :

    A ma connaissance, ce film de Wajda n’existe pas en DVD en France. On le trouve en vente sur le site : amazon.co.uk (version sous-titrée en anglais). S.T.