Succès de la “Journée à Téhéran”

Hier dimanche 13 juin 2010, de 10 h à plus de minuit, la Cinémathèque française organisait  « Une Journée à Téhéran”, manifestation destinée à soutenir et mieux faire connaître le cinéma iranien contemporain, qui connaît de graves difficultés liées à la censure et à la répression des cinéastes.

Le choix de la date était hautement symbolique, un an jour pour jour après le début des manifestations populaires contestant la réélection au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad.

Le public était très nombreux, de tous âges, composé de nombreux Iraniens de Paris, d’amis et de cinéphiles, venu assister aux séances au cours desquelles de nombreux films furent projetés : Persépolis  de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Téhéran de Nader T. Homayoun, Le Miroir  de Jafar Panahi, Les Chats persans de Bahman Ghobadi, Pour un instant, la liberté  de Arash T. Riahi, A propos d’Elly de Asgahr Farhadi, S.O.S Téhéran de Sou Abadi, My Téhéran for Sale de Granaz Moussavi, Travelogue de Mahnaz Mohammadi et We Are Half of Iran’s Population. Rafi Pitts a présenté en avant-première son nouveau film, The Hunter, qui sortira en novembre 2010 (distribué par Sophie Dulac Distribution).

Un des moments forts de cette journée fut la conversation entre Madame Shirin Ebadi, Prix Nobel de la Paix en 2003, et Jean-Claude Carrière, animée par Marc Voinchet (France Culture). La salle Henri Langlois était comble, impressionnée par la teneur des propos, le courage et la détermination de Mme Shirin Ebadi, décrivant le régime politique iranien en place comme étant aux abois.    

La table ronde sur “Le cinéma iranien aujourd’hui” permit à des réalisatrices et réalisateurs ou actrices (Marjane Satrapi, Sou Abadi, Mahnaz Mohammadi, Behi Djanati Ataï, Gholshifteh Farahani, Nader T. Homayoun, Rafi Pittts) animée par Bamchade Pourvali, de faire le point sur un cinéma iranien en pleine évolution, mais soumis de des difficultés de plus en plus grandes du fait de la censure et de la répression exercées à l’encontre de cinéastes.

Des concerts de musique persane avec l’Ensemble Pouya et l’Ensemble Ahmad Yahyazadez de la Maison du Daf, des dédicaces de livres par Shirin Ebadi et Marjane Satrapi, un déjeuner persan en plein air, des ateliers destinés aux enfants, une ambiance de fête, des moments intenses d’émotion avec notamment la lecture par Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française, du message adressé par Jafar Panahi.

Le cinéma, la culture, la liberté d’expression, la lutte contre la censure, la défense des Droits de l’Homme, tous ces thèmes ont été au cœur de cette “Journée à Téhéran”. La Cinémathèque française a été pleinement au rendez-vous de cet événement qu’elle a imaginé et conçu avec de nombreux partenaires : la Ligue des droits de l’Homme, Reporters sans frontières, Radio France, Culturesfrance, Libération, Rue89, et plusieurs associations démocratiques comme Association Aftab, Collectif Ruban vert, Comité Indépendant contre la répression des citoyens iraniens, Move 4 Iran. Il faut également citer le Centre culturel Pouya (et son directeur M. Abbas Bakhtiari), le traiteur iranien Mazeh et les nombreux Iraniens anonymes qui ont aidé à organiser cette journée.

Le public franco-iranien très nombreux (plus de 3 000 billets délivrés durant cette journée), dont beaucoup d’enfants venus en famille, gardera de cet « Journée à Téhéran » un souvenir fort et émouvant.

 

 

 

 

   

2 Réponses à “Succès de la “Journée à Téhéran””

  1. Rédoine Faïd a écrit :

    C’est vraiment incroyable de voir combien le cinéma peut-être fédérateur de liberté et de fraternité. Grâce à la Cinémathèque française et ses nombreux partenaires, la communauté cinéphile iranienne a pu « respirer » cet oxygène cinématographique qui fait tant de bien lorsqu’on le visionne.

  2. A.G a écrit :

    The hunter : Corps et circuits
    On peut envisager entièrement The Hunter comme une histoire de circuits tant le film est structuré autour de routes, de voies, de tunnels, de couloirs, de sentiers, motifs centraux en fonction desquels les corps évoluent. Le film commence déjà par un plan fixe qui montre la voiture du personnage principal roulant dans un tunnel puis ne cessera de faire revenir ce leitmotiv d’une acuité comportementaliste froide, contenant les enjeux de l’œuvre : montrer l’évolution du comportement des corps sur des circuits variés afin d’en dégager la dimension psychologique puis politique.
    D’abord disons que la nature des circuits divise le film en deux parties. La comparaison entre ces deux parties sera intéressante pour comprendre la totalité de l’œuvre.
    Dans la première, le personnage principal, Ali, parcourt des distances précises et répétées en voiture ou à pied. Avant la disparition de sa famille, il se déplace, en voiture, de son travail à la maison ou à la forêt dans laquelle il chasse. Il est filmé en plan de grand ensemble, en train de rouler sur l’autoroute saturée, dépersonnalisé dans le mouvement des autres voitures qui s’agitent autour de lui. A l’intérieur de ce circuit, il se conforme aux règles imposées en suivant le courant et en respectant la vitesse autorisée, afin d’arriver à destination. Chez lui, il retrouvera sa femme et sa fille. Pour lui, ces uniques sources d’un amour qu’on devine bien dans la séquence silencieuse de la foire, sont parfois inaccessibles parce que son travail nocturne ne permet pas de profiter d’elles. Mais il faut également dire que le noyau familial en entier est pris dans l’étau du circuit comme le montre la séquence du lavage de la voiture. Nous y voyons la famille s’abandonner silencieusement aux rouages de la laverie. Un mécanisme implacable les engonce dans le cadre d’un circuit bien tracé de purification.
    A pied, le plan qui se répète est celui où il parcourt la distance qui sépare sa voiture, garée devant l’immeuble, de son appartement. Dans des plans fixes, respectivement en plongée et de profil, nous le voyons monter l’escalier qui mène au hall puis parcourir le couloir de l’étage où se trouve son appartement. Ces deux plans répétés à l’identique sont filmés de loin afin de nous rappeler le plan général de l’autoroute. A travers la distance de la caméra qui le fait encastrer dans des espaces étroits et rectilignes, cette manière de filmer veut souligner un certain enfermement dans des carcans limités jusqu’à l’étouffement.
    Le comportement de ce personnage sur le circuit va dévier à partir du moment où la police lui annoncera la mort de sa femme. Le circuit quotidien de celle-ci et de sa fille, lui aussi bien déterminé et régulier comme le démontrera Ali avec certitude au policer qui l’interroge, s’est trouvé télescopé par hasard avec celui d’émeutiers qui affrontaient la police. La trajectoire de balles perdues, dont l’origine est inconnue, passera par son corps et la tuera. Ali, caractérisé par une introversion radicale, même après une nouvelle aussi horrible, ne montrera sa colère qu’en entrant dans une phase de déplacement détraquée où nous le voyons parcourir l’autoroute à pied et non plus en voiture. Ce plan sur l’autoroute dans lequel lui seul détonne, contrairement aux précédents où il était noyé dans un océan aussi agité que celui qu’on voit sur le tableau kitch placé jute en dessus de son lit, montre qu’il est entrain d’émerger. Dans une autre séquence, cette tendance se confirme lorsqu’il arrête son véhicule à un carrefour et dort, harassé par la recherche infructueuse de sa fille perdue. Cette transgression du code de la route sera remarquée par deux policiers agressifs qui lui demanderont de circuler, donc de ne pas entraver le circuit.
    L’annonce de la mort de sa fille catalysera d’abord une volonté de prendre un recul par rapport au circuit de l’autoroute en le surplombant. Il s’extrait de lui et monte sur une colline pour avoir de lui une vision objective. Puis il y aura un besoin urgent de le dynamiter, de rompre cette chaîne interminable de véhicules qui s’y suivent, chaîne renvoyant aux plans qui montraient le travail d’assemblage auquel il était tristement confronté lorsqu’il était gardien de nuit à l’usine de voitures. Un nihilisme destructeur survenu après la disparition de sa famille, seule raison, au fond, qui lui permettait de supporter la violence du circuit, le fera passer à l’acte. Ce nihilisme le conduira à vouloir tirer sur les gens au hasard, dans un geste de contestation armée du réel, qui pourrait concrétiser cette citation d’André Breton « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. ». Sauf que la différence avec Breton, c’est que notre personnage en veut surtout à tout le circuit en tant que générateur de résignation. Le fait qu’il ne sache pas quel camp politique a tué sa femme et son hésitation, au début, à tirer sur un civil sont des indices montrant que ce n’est pas aux policiers qu’il voulait s’en prendre initialement mais au circuit en entier. Ce n’est pas une vengeance autant qu’un acte concret visant à court-circuiter un réel qui le happait en tant que corps agissant. A partir de ce passage à l’acte, sa façon d’envisager le circuit sera différente. A pied, on le verra dévaler la colline depuis laquelle il a commis le meurtre des deux policiers non pas en marchant mais en glissant. Plus tard, il tentera d’échapper à la voiture de police qui le pourchasse, en roulant à grande vitesse sur la voie inverse pour gagner de la distance dans les virages, au risque de provoquer une collision fatale. La route tortueuse, minée par le brouillard et l’humidité, ne lui pardonnera pas cette incartade. Sa voiture est renversée car elle devient incontrôlable. Le circuit se manifeste en son rôle narratif d’opposant et devient dans ce plan spectaculaire de renversement qui n’est dû à aucune autre voiture, un prolongement inanimé de la violence d’état.
    Cet accident, apothéose de la déviance, marque le début de la deuxième partie du film. Après la saturation aliénante de limites à ne pas franchir, l’absence labyrinthique de limites se trouve marquée dans tous les recoins de la forêt. Nous comprenons alors pourquoi ce personnage aimait tant s’y isoler -ou plutôt s’y perdre- au début. Nous avons également des éléments de réponse sur la raison qui l’avait incitée à plaquer son comportement de chasseur sur des hommes dans l’autoroute. C’est ce besoin individuel d’initialiser les repères en ayant un rapport sauvage avec une civilisation frustrante qui l’a poussé à appuyer sur la gâchette en visant des êtres humains. Vouloir transformer, par son viseur, la société en forêt. Le projet est d’autant plus motivé par le fait que c’est le réalisateur, lui-même, qui joue le personnage principal, donc qui vise.
    Dans la forêt, le problème des deux militaires qui l’attrapent en plein milieu de cet espace, est qu’ils ont oublié le chemin qui les a mené jusque là. Ils sont déconnectés du circuit civilisé et autoritaire. C’est la perte de la configuration spatiale qui va transformer la relation du trio en celle dialectique de maîtres et d’esclaves. La forêt, espace de révolution où tous les repères s’annihilent, va faciliter momentanément la contestation. On ne sait plus qui est le chasseur et qui est le chassé. Ici, la fin nihiliste de tout repère préétabli rend le pouvoir entre les trois personnages fluctuant, contrairement à l’espace urbain où les moindres relations sociales sont minutieusement codées. Rappelons-nous de la conversation qui s’est déroulée à l’usine de voitures entre un employé provocateur et deux autres employés susceptibles. Ces derniers l’ont vite remis à sa place en arguant d’une supériorité hiérarchique et par là d’un certain pouvoir.
    Finalement, la conclusion pessimiste inspirée à la fois par l’avortement de l’élan contestataire en Iran et de toute une conception désabusée de la révolution adoptée par le nouvel Hollywood à partir des années 70, survient après un plan important qui montre des hommes de l’ordre venant chercher leurs deux collègues perdus. Peu importe, si les motivations psychologique des personnages y sont mystérieuses. Nous ne saurons pas pourquoi le personnage a voulu se déguiser en militaire ni pourquoi il a été tué. L’important, c’est que cette fin où l’ordre se rétablit simplement est foncièrement liée à une reconnexion des corps avec le circuit contrôlé par l’autorité.