N’importe quoi, Jean-Pierre Marielle !

L’autre soir, lundi 27 septembre, au cours de l’hommage rendu à Alain Corneau à la Cinémathèque française, Jean-Pierre Marielle a prononcé de très belles phrases, lisant quelques lignes extraites de l’ouvrage qu’il vient d’écrire. Le titre est d’ailleurs éloquent : Le grand n’importe quoi (chez Calmann-Lévy).

A propos de Corneau, Jean-Pierre Marielle écrit : « Lorsque mon téléphone sonne, j’espère l’entendre m’apprenant que nous tournons ensemble. Charme, intelligence, gentillesse, écoute : de l’homme idéal, il a toutes les qualités. Tous les matins du monde m’a offert l’un de mes souvenirs les plus chers. Je ne pensais pas être l’homme de la situation, c’est lui qui m’a convaincu que la gravité de Sainte-Colombe me siérait, insistant sur la place centrale de la musique. On se croisait de temps à autre à des concerts de jazz, et je ne peux qu’accorder ma confiance à un cinéaste qui va écouter Ornette Coleman au lieu d’écumer les dînes mondains. Je pense souvent à ce tournage, il était de ceux qui rendent ce métier digne d’être fait. » Ce qui est beau chez un acteur, c’est la voix. Voir ainsi Marielle lire son texte, ou plutôt le dire, l’exprimer de tout son être, est la marque d’un acteur. Des mots si simples deviennent autre chose : musique. Ils viennent des profondeurs. Tout le corps bouge avec.

Je me suis amusé à lire Le grand n’importe quoi. D’abord le titre. Marielle dit que, très jeune, ses professeurs au lycée puis au Conservatoire lui répétaient souvent : « Marielle, arrêtez de faire n’importe quoi ! ». Il en a eu raison d’en faire le litre de ce livre qui se lit vite et avec bonheur, découpé en tranches sous la forme d’un abécédaire.

Faire n’importe quoi pour un acteur, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Marielle dit que c’est tout simplement désobéir. Il dit aussi que c’est être et se sentir décalé : « Il paraît que je le suis. Il est certain que je ne suis calé en rien ». Être acteur c’est à coup sûr suivre une autre voie que celle toute tracée. Inventer son propre chemin. Faire alliance avec des amis, à la vie à la mort. Marielle a fait partie de la bande de jeunes comédiens qui, autour de Belmondo, fréquentait le Conservatoire national d’Art dramatique vers le milieu des années cinquante. Outre Belmondo, il y avait Jean Rochefort, Bruno Crémer, Françoise Fabian, Pierre Vernier et Michel Beaune. Fréquentant plus tard l’école de la Rue Blanche, Marielle y croisera Guy Bedos et Cl aude Rich. Dans son livre tous sont rangés dans la rubrique « Amis ». On sent que c’est sincère.

Delphine Seyrig sera elle aussi une amie chère de Marielle. Voici ce qu’il en dit : « Tout le monde vouvoyait Delphine, même Sami Frey, avec qui elle vivra un amour magnifique. (…) Elle était notre impératrice. Elle m’appelait Mariello Marielli, pour une raison qui m’échappait, avec une intonation au-delà du snobisme, à la fois naturelle et poétique. Elle me donnait l’impression d’être invité dans son imaginaire, ce qu’il y a de plus intime chez quelqu’un, car on n’y entre pas comme dans un moulin, c’est un honneur. »

Jean-Pierre Marielle se découvre dans ce livre. Personnage poétique, ne se prenant pas très au sérieux, déconneur mais fidèle à une idée noble du métier. Le terme métier convient moins que celui de vocation. L’entrée « Beckett (Samuel) » est émouvante et amusante (l’écrivain marchait trop vite dans la rue pour que Marielle puisse ou ose le rattraper), tout comme celle dédiée à « Camus (Albert) ». L’amitié avec Camus naît sur une certaine distraction du jeune acteur Marielle, incapable de répéter ce que vient de dire l’auteur de Caligula. Qu’un acteur soit doué pour la distraction, n’est-ce pas le minimum qu’on est en droit d’attendre de lui ? Le livre est ponctué de rencontres, dont certaines n’ont rien donné, celle avec Francis F. Coppola par exemple. Lorsqu’il fait la liste de ses films préférés, Marielle dévoile un goût que j’avoue ne pas avoir soupçonné chez lui. Jugez-en plutôt : Citizen Kane, La Nuit du chasseur, L’Aventure de madame Muir, L’Atalante, Ecrit sur du vent, Les Fraises sauvages et quelques autres films de Bergman, La Règle du jeu et La Grande Illusion, Les Enfants du paradis, Le Vieil homme et l’enfant, Jules et Jim et A bout de souffle. Cherchez l’erreur !

Ce livre se lit vite parce qu’il est léger. Cette légèreté est voulue et elle consiste à ne pas (trop) peser sur ses contemporains. On sent que la vie de Jean-Pierre Marielle a été belle (parfois), et qu’elle peut l’être encore. Qu’elle est surtout une aventure, où l’on ne sait pas de quoi demain sera fait. C’est ça une vie d’acteur.

Le Grand n’importe quoi par Jean-Pierre Marielle (avec Baptiste Piégay), 210 pages, Calmann-Lévy.

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