Malaise dans le cinéma français.

Un rapport sur le cinéma français circule sous le manteau. Rassurez-vous, il ne tardera pas à être bientôt rendu public. Via Internet, mais aussi sous forme d’un livre à paraître. L’originalité de ce rapport c’est qu’il n’a été commandité par personne. Aucune instance politique ou institutionnelle. Ce n’est donc ni un rapport du CNC, comme il en existe pas mal sur des sujets très spécifiques, ni du ministère de la culture. Intitulé de manière très poétique « Le milieu n’est plus un pont mais une faille », il émane d’un groupe animé par la cinéaste Pascale Ferran (Lady Chatterley). En font partie deux autres cinéastes : Jacques Audiard et Claude Miller, des producteurs, une scénariste, une distributrice, des exploitants, un exportateur de films à l’étranger. Hétérogénéité amicale, la complicité et l’entente ayant été à la base de ce regroupement autoproclamé « Groupe des 13 ». Référence à Balzac, mais sans la dimension de conspiration ou de complot, synonyme de l’univers romanesque de l’écrivain. Encore que… !

De réunion en réunion (au CNC, simple structure d’accueil), ce groupe de réflexion s’est autorisé à aborder frontalement les problèmes économiques et structurels du cinéma français. Le texte qui en résulte est touffu, très consistant à lire : 190 pages. Dire que l’on y prend du plaisir serait sans doute exagéré. Mais la pensée y est dense, l’argumentaire surtout économique, le style étrange : à la fois subjectif et impersonnel – ce qui est un comble. Il faut dire que les thèmes abordés sont graves. Economiques, ou plus exactement structurels. Tout part d’une question limpide : qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans le cinéma français ? Écriture des scénarios, production, distribution, exploitation, exportation des films à l’étranger. Vaste tour d’horizon critique. Analyse détaillée du malaise d’un cinéma plutôt bien nourri : car il n’y a jamais eu autant d’argent investi dans la production de films français, autant de films français produits chaque année. Comme quoi, l’un n’empêche pas l’autre.  

Tout est parti du discours que Pascale Ferran avait prononcé lors de la Cérémonie des César, le 24 février 2007, alors même que son film recevait les honneurs de la profession (5 César). Cette parole, ferme et légitime, avait marqué les esprits. La cinéaste pointait avec justesse un sentiment de malaise dans le cinéma français, entre autre ce qu’elle appelait « la violence économique » qui oppose ou divise les différents métiers ou fonctions qui concourent à la production des films.

On reviendra sur cette question de la violence. Quelque chose étonne dès les premières pages du rapport des 13 : le constat, éminemment subjectif, selon quoi le cinéma français n’est pas très bon. Je cite : « Alors que la France est sans doute l‘un des quelques pays au monde où il y a le plus grand nombre de talents réunis : de très grands cinéastes, scénaristes, comédiens, techniciens, de tous âges et toutes catégories de film confondues, pourquoi les films français ne sont-ils pas meilleurs ? Pourquoi a t-on, à ce point, l’impression, depuis quelques années que la qualité des films baisse, qu’il s’agisse e films à très petit budget, à budget moyen ou très cher ? »

Poser la question c’est déjà y répondre. Si le cinéma français déçoit ou ne tient pas ses promesses, c’est que le niveau moyen est faible. Facile à vérifier, il suffit de visionner un à un les films contenus dans le coffret des César 2007. Le niveau y est en effet navrant. Mais la phrase du rapport est ambiguë. Comment se fait-il qu’il y ait tant de talents, toutes professions réunies, et que le niveau soit si faible ? Si l’on ne peut mettre en cause les « talents », c’est donc que le mal vient d’ailleurs. D’où ? Des structures, des modes de financement, du déséquilibre entre les puissants et les faibles, ou encore les Indépendants. Dès lors, comment diagnostiquer ce malaise ? C’est toute l’intention du rapport. Et il n’est pas certain qu’il parvienne à dissiper certains malentendus.

Prenons les choses dans l’ordre, du moins dans celui qui nous est proposé.

Le scénario. Les auteurs du rapport constatent que le statut du scénariste en France n’est pas assez considéré. Sur tous les plans : symbolique et financier. Plus encore : que le triangle producteur, réalisateur, scénariste n’est pas (plus) assez opérant. C’est vrai. Le rapport développe de nombreux arguments, tous justes. Les producteurs sont moins disponibles durant cette phase d’écriture, car déjà préoccupés par la recherche de financements. Côté réalisateurs, la pression est déjà là, celle des financeurs des chaînes de télévision… Page 20, le rapport note par exemple que l’on constate « une inflation des auteurs et des versions », ce qui veut dire qu’il y aurait un plus grand nombre d’auteurs à travailler sur un même scénario. Doit-on s’en plaindre ? Doit-on rappeler par exemple que le cinéma italien des années 60 à 80, celui de la fameuse « Comédie à l’italienne », avec les films des Risi, Comencini, Monicelli, Germi, Scola, voire Fellini et autres, était un cinéma écrit à plusieurs mains. Pourquoi s’en plaindre ? Le rapport a raison de pointer le malaise du scénario français. Mais il n’est pas certain que la visée soit juste. Ce qui pose problème, c’est semble-t-il que l’atelier d’écriture à la française connaisse des problèmes d’adaptation, avec des sujets pas assez éprouvés, mal travaillés, qui ne vont pas au fond de leur potentiel narratif. Faute de temps, faute d’argent, faute de liberté et d’exigence dans l’imagination et l’écriture. Faut-il également rappeler que très souvent, les grands films s’écrivent « contre le système », dans les marges, de manière quasi clandestine. Voir le dernier Doillon, Le Premier venu, exemple même du film dont à peu près personne ne voulait. 

La production. Le rapport constate la multiplication des guichets, ce qui est une évidence dans le système complexe du financement du cinéma en France. Le travail des producteurs s’en trouve évidemment affecté. Globalement, le producteur d’un film travaille sous dépendance, celle des chaînes de télévision sans qui le financement des films est quasi impossible. On assiste ainsi à un processus inéluctable tendant à faire des producteurs les salariés ou les employés d’un système dont ils ne sont plus qu’un des rouages, maîtres d’œuvre de projets dont ils ne détiennent plus les droits ni les clés. Avec l’obligation, quoi qu’il en coûte, de se plier aux exigences télévisuelles (formatage des sujets, soucis de programmation à des heures de grande écoute, castings conforme aux modes en vigueur…). De page en page, le rapport pointe les symptômes de cette dégradation qui affecte la production. Dans le contexte que décrivent les rapporteurs, la situation des producteurs indépendants est évidemment la moins enviable: manque de fonds propres, accès difficile aux financements audiovisuels, etc.

A la page  82, le rapport ose poser la question fatidique : « Trop de films produits ? ».  C’est la question qui fait mal. Et si le cinéma français souffrait aussi d’une surabondance de films produits – 240 en 2005, niveau record.  L’augmentatio
n du nombre de films produits en France accompagne la progression des sommes investies. On est passé de 385 M€ en 1996, à 900 M€ en 2006. En dix ans, une hausse de 230 % dans le financement des films dits d’initiative française. On en connaît beaucoup qui ne s’en plaindraient pas. De manière corollaire, le nombre de films est passé de 134 (en 1996), à 203 (en 2006). Mais l’écart s’est considérablement creusé entre les films à petit budget (moins de 2 M€), et les films riches à plus de 10M€. Un chiffre, un seul : 39 films à moins de 2M€ en 1996, 63 en 2006. De même, 6 films à plus de 10 M€ de budget en 1996, contre 24 en 2006. L’argent du cinéma va de plus en plus à l’argent. Le financement des films « cher » est plus facile, voilà un des paradoxes du cinéma français, que celui des films à budget  moyen ou très réduit. Et le « film du milieu » (notion récurrente du rapport) s’en trouve lui aussi affecté. Le cinéma français est devenu un cinéma à deux vitesses, constate avec justesse le rapport des 13. Avec des modes de financement disparates, selon le niveau de financement des films, qui n’a rien à voir ou presque avec le niveau d’exigence artistique.

La distribution. Ce secteur d’activité, essentielle dans l’économie du film, a connu ces dernières années un phénomène incroyable de concentration. Les sociétés de distributions sont nombreuses, multiples et variées dans leur taille, mais seules les plus grosses ont un poids réel dans le secteur. D’un côté, les majors américaines (Warner,  Fox, Walt Disney Studio,  Paramount Pictures France, Sony Pictures-ex Columbia), de l’autre les filiales des chaines de télévision, avec Studio Canal Distribution, TFM Distribution (filiale de TF 1), et SND, la filiale de M6. En plus de cela, les 4 sociétés possédant des circuits de salles : Gaumont, Pathé, UGC et MK2. Pour le reste, les distributeurs indépendants se répartissant entre structures puissantes (type EuropaCorp ou Wild Bunch), moyennes (Pyramide, les Films du Losange, Rezo Films, Diaphana, Bac Films, ARP  Sélection, Haut et Court…), enfin les plus petites (Pierre Grise, Shellac, Sophie Dulac Distribution, etc.). Qu’est-ce que dit le rapport des 13 ? Qu’en 2006, les dix premières sociétés de distribution ont sorti 39 % des films en obtenant une part de marché cumulé de 83,3 %. L’autre phénomène important c’est l’accroissement du nombre de films qui sortent chaque mercredi. Il faut savoir qu’en 2006, 589 films nouveaux sont sortis dans les salles en France. Cela fait une moyenne de 11 films par semaine, avec des pointes à 15 voire plus. L’offre de films en France a progressé de 40% en 10 ans. Richesse du cinéma dans notre beau pays ! France, terre de la cinéphilie. Mais à quel prix. Les films se bousculent sur les écrans, les mieux lotis étant les plus soutenus par les distributeurs, ceux qui bénéficient de budgets promotionnels les plus conséquents. Là encore, l’argent va à l’argent. Le nombre de copies est exponentiel, les films les plus « fragiles » sont en général les plus menacés. Encore un chiffre fourni par le rapport : 149 films français en 2006 (63% de la production nationale) ont réalisé moins de 100.000 entrées en France, et 91 films (38% de la production française) moins de 20.000 entrées.

L’exploitation. L’effet multiplexes joue à fond dans l’économie de ce secteur. Le temps d’exposition des films est de plus en plus court. Il faut donc s’accommoder d’une économie où les films sont « bombardés » sur un très grand nombre d’écrans, pour faire en un minimum de temps le plus grand nombre d’entrées. Le cinéma devient un produit de consommation courante. Du moins ceux qui peuvent se permettre de courir dans cette catégorie. Les autres se contenteront de petites sorties, avec de faibles moyens : peu de copies, pas d’argent pour la pub, et l’espoir de durer dans des salles classées Art et Essai. Là aussi, phénomène d’hyper concentration, accélération des processus, durée de vie écourtée des films sur les écrans. Le rapport fait le relevé détaillé des avatars de l’exploitation des films en France, avec un régime de domination des circuits qui se manifeste par ne tendance à l’uniformisation des programmations. Ce rapport a été pensé et écrit avant le phénomène des Ch’tis, le film de Dany Boon qui vient d’atteindre en cinq semaines d’exploitation la barre des 17 millions de spectateurs. Tout le monde s’en réjouit. Mais que penser du fait que dans tel ou tel multiplexe, celui par exemple de Lomme, près de Lille, le film ait tourné à plein régime :  dans huit salles à la fois pendant quinze jours, et à guichets fermés. Ce n’est plus de l’exploitation, cela devient de l’audimat !

L’exportation. Sur les 200 et quelque films français produits chaque année, un dixième seulement connaissent des recettes à l’exportation dignes de ce nom. C’est faible. Le rapport pointe là encore un paradoxe, à savoir que les films d’auteurs (dont l’identité est nécessairement plus forte, plus reconnaissable) se vendent mieux que les grosses machines commerciales, avant tout conçues pour le marché intérieur et les télévisions. Il y a bien sûr des exceptions, d’un côté comme de l’autre. Et c’est tant mieux. Mais, globalement, la part du cinéma français à l’étranger baisse, c’est le cas au Japon et dans d’autres pays. 

Tout rapport finit toujours par des propositions. Le Groupe des 13 en propose 12, qui se résument en deux pages.

1. L’intégralité du Fonds de soutien automatique Production généré par un film revient au seul producteur délégué.

2. 7,5 % de ce Fonds de soutien est réservé à l’écriture de scénarios.

3. Modification du barème de répartition du Fonds de soutien automatique production.

4. Doublement de la dotation de l’Avance sur recettes. Elle est aujourd’hui de 22 M€, les 13 proposent qu’elle passe à 40. Avec la recommandation de ne pas aider plus de films.

5. Majoration de 25% du Fonds de soutien automatique Distribution pour les distributeurs investissant un Minimum Garanti dans les films agréés français produits sans chaîne de télévision coproductrice.

6. Suppression du Fonds de soutien automatique Distribution pour les sociétés adossées à un diffuseur.

7. Création d’un label « Distributeur indépendant » et réservation des aides sélectives du CNC et de la contribution Canal+ aux distributeurs ayant obtenu ce label.

8. Création d’une taxe de 5?5% sur toutes les marges arrière (confiserie, écrans publicitaires, promotion des films dans les salles) venant abonder l’assiette du CNC et l’équipement numérique des salles indépendantes et la dotation de l’Avances sur recettes. Ce qui veut dire: vous achetez du pop corn au cinéma, eh bien 5,5% de la recette ira financer l’avance sur recettes…

9. Indexation du prix référence sur l’augmentation du prix des cartes d’abonnement illimitées à l’achat et partage des recettes 50/50 entre exploitants et ayants droit les trois premières semaines d’exploitation.

10. Modification du calcul de l’
Aide sélective à l’Art et Essai et valorisation des meilleures pratiques d’accompagnement des films dans les salles.

11. Création d’un Fonds de soutien automatique à l’export au sein du CNC.

12. Création d’une prime au succès pour les réalisateurs, calculée sur le nombre de territoires vendus à l’international.

Ce rapport va circuler, être discuté, faire l’objet de polémiques on s’en doute, ou d’engouement. Certaines mesures qu’il préconise seront peut-être reprises par le CNC, ce qui suppose l’aval du ministère de la culture. Hum… Les producteurs vont réagir, de même que les sociétés d’auteurs, et bien sûr les patrons de chaînes… Grosso modo, le rapport plaide pour améliorer le circuit de l’argent et des recettes à l’intérieur du cinéma français, une meilleure répartition entre les gros ou les puissants d’un côté, et les moins gros ou les faibles de l’autre, à l’intérieur du vaste périmètre qui inclut nécessairement, on l’a vu, les chaînes de télévision et les fournisseurs d’accès Internet. Il faut donc attendre la suite.

En attendant, il faut saluer ce travail, cette expertise collective d’un cinéma qui a besoin de s’interroger ou de remettre en question ses principes même d’organisation, qui font que les processus ou les réglementations qui le régissent tournent à vide, ou ne produisent plus les effets escomptés.

Toutefois, des questions sont curieusement absentes. Oubliées, non prises en compte, alors qu’il se pourrait bien qu’elles aient quelque importance pour aider à cerner le point de départ de ce rapport : la faiblesse constatée du cinéma français actuel. Celles par exemple qui touchent à la formation des professionnels. Qu’il s’agisse des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs ou exploitants, de tous ces « talents » qui concourent à la fabrication du cinéma français. Là-dessus, le rapport ne dit rien : d’où viennent-ils, quelle filière ont-ils suivie, comment sont-ils formés ou pas formés du tout… De même, la mémoire du cinéma : quel rapport le cinéma français entretient-il avec la mémoire (esthétique et économique) du passé ? Qu’est-ce qui fait que tant de films nous donnent le sentiment de ne venir de nulle part, de n’avoir aucun style, de méconnaître ou de se foutre complètement de ces questions pourtant essentielles: le style, le récit, la violence de l’écriture, la vérité des sentiments et de la mise en scène. Cette violence-là est nécessaire, c’est elle qui fait le prix du cinéma. Trop souvent, c’est le vide absolu, l’absence de passion, le désir mou. Autre question cruellement absente : la culture cinématographique en France à travers ses mille et un festivals ou manifestations dédiés au cinéma. Quel impact ? Quels publics ? Quelle « seconde chance » pour tant de films qui n’ont pas trouvé leur place, toute leur place, dans les salles d’exploitation, où les cycles sont trop rapides, les temps d’exposition raccourcis. Quelle est la place de cette économie culturelle, dans le grand Tout du cinéma français ? Qu’est-ce qui se transmet, ou qui ne se transmet plus ? Le grand absent du rapport, c’est peut-être le public. Ne faut-il pas repenser le Public ? Celui qui répond présent dans les salles. Mais aussi l’autre, celui qui les a désertées (mais qui continue à voir des films sur d’autres supports : DVD, VOD, Internet). Ou encore cet autre public, invisible, qui ne manifeste plus aucun intérêt, sauf exception, envers les films d’où qu’ils viennent, et quel qu’en soit le support. Ce public qui a tiré un trait, peut-être définitif sur le cinéma, tout particulièrement le cinéma français. Il faudrait en parler, s’interroger, s’en inquiéter. Mémoire, formation, culture, reconquête des publics. Et cette terrible idée d’un monde sans le cinéma, qui se profile… Certes, il est très important de réviser ou de réparer les mécanismes du Fonds de soutien, pour atteindre à un meilleur équilibre. Avec les conséquences positives que cela pourrait avoir sur la santé et la qualité des films français. Mais à trop vouloir réformer le système dans son ensemble, et à ne le penser que de l’intérieur de lui-même, on en vient à oublier certains aspects souvent cruciaux, qui mettent les choses dans une perspective plus large.   

 

12 Réponses à “Malaise dans le cinéma français.”

  1. jmf a écrit :

    Excellente synthèse, y compris avec les réserves qu’elle émet – il y a d’étranges relents idéologiques dans le vocabulaire utilisé parfois par le rapport, et une idée d’un âge d’or révolu un peu naïve et parfois rétrograde. Mais le texte est extrêmement instructif, et beaucoup des propositions sont utiles. Il faut lire et faire circuler le rapport du Club des 13, il faut le critiquer ET l’accompagner, en faire un outil de changement.

  2. zepheniah a écrit :

    FINI LE CINEMA FRANÇAIS

    Le cinéma français semble ne plus pouvoir se dire et se discuter autrement que dans un registre pragmatique, mercantile et à l’aide de « catégories financières ».
    On déplore « la faille » existante entre les films à gros budget et les autres, ceux d’un autre type dits « du milieu », on déclare vouloir colmater, en finir avec cette tendance à la bipolarisation de la production ou encore, impulser une « réforme » ?

    Confortant l’aspect économique du problème, un rapport spécifique a été rédigé par un groupe d’hommes autoproclamé « le club des 13 » et insatisfaits, pour administrer autrement certains pans de l’industrie cinématographique.

    Que signifie cette retraduction, en des « catégories gestionnaires », intéressées aux gains, de la question du cinéma français ?
    Cette réduction à des éléments comptables mérite précisément d’être interrogée, car elle constitue une manière de penser le problème qui se répercute sur la définition même de ce rapport et des propositions subséquentes.

    Désormais, il convient de laisser derrière soi ces insignifiantes et ministres compétitions de sous-produits ainsi que les réjouissances de leur médiocrité entre grossistes, petits commerçants naïfs, bref entre tièdes boutiquiers imbéciles, totalement aliénés, soumis à l’économie et conditionnés à la faiblarde pensée et l’amollissement généralisé.
    Par ce rapport, cette imitation de conflit, cette lutte altérée, sensationnelle, des figures concurrentes (venant du même périmètre, de la même aire viciée) de l’industrie cinématographique, des hommes insatisfaits érigent fièrement leur colère en même temps qu’ils concèdent et définissent par leur raisonnement contrefait, par la débilité de leur réaction, leur propre participation au pouvoir économique.
    Le système se mettant en ce moment à resserrer l’investissement ces suiveurs auraient-ils la politesse de se taire ? Ils ont la misère de donner leur opinion. Comment leur impuissance, leurs têtes inclinées, se trouveraient-elles en meilleure posture ?
    Ces éconduits de l’économie s’imaginent-ils donc pouvoir parler en faisant oublier d’où ils parlent, eux les préposés aux comptes du système et leurs ambitieux espoirs d’opérer une retenue sur les marges arrières des dealeurs de pop-corn ?
    Ces compromis, ces rapporteurs à la pensée obscurcie, ont-ils pu se croire homologués pour donner leur position et apprécier tranquillement le mal comme si, sinon la destruction du moins l’appréhension de ce système était question d’opinion ?

    Il y a des gens qui saisissent et d’autres qui ne saisissent pas qu’il ne s’agit pas de la scène et des salons feutrés du cinéma, qu’il ne s’agit pas d’un simple désaccord sur des conceptions managériales différentes de l’industrie cinématographique, qu’il ne s’agit pas non plus « du milieu » mais en vérité certes de « faille » mais consubstantielle à la figure générale de la division des classes, organe de la domination s’exhibant sans inquiétude à la ville.

  3. Serge Toubiana a écrit :

    Cher camarade, Votre texte est brillant mais peu en prise avec les réalités du cinéma. Tout ramener à la Lutte des Classes, comme vous le faites, crée certes des effets de style (Situationnisme « relooké » à la mode Badiou), mais n’aide en rien à mieux comprendre le malaise réel qui sévit dans le cinéma français. Et prendre de haut les auteurs du fameux Rapport ne me paraît pas non plus très productif. Mais j’imagine que pour vous, l’idée même d’être « productif » est un leurre, une absurdité… Merci d’avoir contribué au débat. S.T.

  4. Jason a écrit :

    Bonjour,
    Depuis la parution de ce rapport, je cherche des personnes à interroger sur le sens de certains points énoncés.
    Peut-être accepterez-vous de m’aider ?
    Tout d’abord, et fort simplement, en préambule, il est indiqué par les rapporteurs : » groupe de travail transversal et indépendant »…, pour qualifier leur travail.
    Quelques lignes plus bas : « Véronique Cayla répond favorablement à notre demande à la double condition que… ».
    Sans ergoter, il me semble quand même étrange que des personnes indépendantes se placent sous « double condition »…
    Cet élément en soi jette à mes yeux un discrédit total sur ce document.
    Accepter de se placer sous condition, et pas de n’importe qui (la directrice du CNC) indique pour moi clairement que ce rapport possède le dessein, avant toute chose, d’être une revendication de ses auteurs auprès du CNC.
    Ce qui jette un trouble quant à son intérêt.
    Je reprends de vos propos, Monsieur, le fait qu’écrire un rapport prétendument économique, mais qui repose sur des options esthétiques et économiques fortes (le cinéma français est mauvais – à l’exception de celui que font les rapporteurs, bien évidemment-, et les films de qualité doivent avoir un budget moyen -vision bouchère et comptable de la création-).
    Surtout, surtout, quelqu’un pourrait-il m’aider à comprendre la dernière proposition du rapport :
    12. Création d’une prime au succès pour les réalisateurs, calculée sur le nombre de territoires vendus à l’international.
    Que signifie vendre un territoire à l’international ? Envahir l’Irak ???
    Cordialement…

  5. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Jason, je vous réponds volontiers. Ce rapport a été pensé et écrit de manière totalement indépendante. le fait que le groupe ait été « abrité » par le CNC n’a pas de signification particulière. A mon sens, cela ne fait aucun doute et ne jette aucune ombre sur ce rapport qu’il faut lire.
    le point 12 concerne en effet les ventes à l’étranger: un film se vend par pays, et les mandats sont cédés à des « vendeurs à l’étranger », qui touchent des commissions. Le rapport préconise que les réalisateurs puissent être intéressés au succès de leurs films, lorsque ceux-ci sont distribués dans tel ou tel pays. Cordialement, S.T.

  6. Jason a écrit :

    Merci de votre réponse.
    En vérité néanmoins, j’attirais avant tout votre attention sur une question formelle (qui me semble importante concernant la rédaction d’un rapport).
    Le point 12 indique donc : création d’une prime au succès pour les réalisateurs, calculée sur le nombre de territoires vendus à l’international.
    J’espérais qu’il s’agissait d’un terme de technolangue. Vous semblez dire que non.
    Il s’agit donc d’une faute : il fallait lire : création d’une prime au succès pour les réalisateurs, calculée sur le nombre de territoires étrangers où le film est vendu. Le sens est clair, concernant la proposition. Je constate juste que les rapporteurs ont laissé fourché leur plume.
    Mais je vous remercie de votre réponse concernant l’indépendance de la commission.
    Ne connaissant pas les usages de votre profession, je conçois que mes doutes n’étaient peut-être pas justifiés.
    (Imaginez un groupe de travail de responsables syndicaux se réunissant à l’Élysée, on pourrait les envisager comme des « jaunes », n’est-ce pas ?).
    Merci encore. Cordialement.

  7. DIDIER RODIER a écrit :

    avant toute chose, le malaise dans le cinéma français est la perte en qualité des acteurs. Se contenter d’un million d’entrées pour entrer dans son argent, et refaire une daube derrière. Le monopole des suites à la con, comme les OSS 117, l’impression de revenir aux Charlots, et encore c’était mieux.
    Le souci provient des contrats d’agent avec les productions, bloquant l’indépendance des scénaristes et des réalisateurs qui sont obligés de créer des films avec des pantins qui ne les inspirent pas. C’est comme si on demandait à un grand cuisto de faire un succulent repas avec du congelé.
    Les gds acteurs comme BOHRINGER ou LANOUX sont mis de côté pour leur caractère, leur inmaniabilité: le talent ne se dirige pas, on le suit on le comprends, on doit l’aimer, l’accepter.
    Des gds acteurs comme DEPARDIEU s’abaissent à faire n’importe quoi, se laisser diriger pour faire plaisir, et assurer leur prochain cachets, ne pas se faire griller par le système.
    La réponse se trouve dans le succès de la vente des dvd de LAUTNER, des films avec VENTURA et GABIN… Les dvd René Chateau, c’est un message comme le succès des Ch’tis, un rappel de la cuite des Tontons et l’échange région, dans la cuisine au beurre et l’âge ingrat.
    Aujourd’hui, vous écrivez un film, reprenez un scènar d’autrefois, vous serez accusé de plagier les Ch’tis.
    Les Américains réussissent car ils ont continué ce que les Français ont lâché: LES ACTEURS. Et il y a des baffes à donner dans ce domaine, des acteurs comme moi, DJO AUGUSTAN, gênent, font peur, car le cinéma est monopolisé par des nuls, et avec un moindre budget, petit film, il y a des leçons à donner.
    Le monde du septième art se doit d’être franc et objectif : arrêtez de baisser le froc devant des nuls. Pour moi, il n’y a pas besoin de gd budget pour faire un bon film, une villa, une église, un bois, une prison, un tribunal, un bar et 8 acteurs, un milieu rural, et le tour est joué.
    Les artifices, parodies à la noix : Y EN A MARRE.
    Cordialement,
    DIDIER RODIERl

  8. Djemaa Pascal a écrit :

    Bonsoir, merci de nous faire ce rappel important. Pascal Djemaa, journaliste.

  9. manuel gil fernandes a écrit :

    Bonjour… Je m´appelle Manuel Gil Fernandes et je suis journaliste portugais. Hier, j´ai vu « Un Prophète » de Jacques Audiard et j´ai pensé a
    inclure le « rapport sur le Cinéma Français », élaboré par le Groupe des 13, duquel fait partie ce cinéaste.
    J´ai commencé à écrire un livre sur la « récupération du cinéma français, parmi les grandes cinématographies mondiales et surtout en comparaison
    avec les EUA » et je pense qu´une petite interview par « e-mail » avec Jacques Audiard pourrait améliorer beaucoup mon travail.
    Comment serait-il possible, pour moi, d’établir une liaison par Internet avec monsieur Jacques Audiard ? Ou, davantage, avec sa secrétaire pour lui
    faire suivre par « e-mail » mes 3 ou 4 questions ? Mon « e-mail » est :
    manuelgilfernandes@net.sapo.pt
    Quel serait le meilleur contact pour monsieur Audiard ?

    Merci bien de votre aimable aide.

    Manuel Gil Fernandes

    Lisbonne le 3 Janvier 2010

  10. Serge Toubiana a écrit :

    Vous pouvez essayer d’entrer en contact avec Jacques Audiard par l’intermédiaire de son producteur, Why Not productions, en écrivant à :
    whynot@wanadoo.fr
    Ou à l’adresse :
    Why Not Productions
    3, rue Paillet
    75005 Paris.

  11. manuel gil fernandes a écrit :

    Allo Mr Serge Toubiana, c´est un plaisir de participer dans votre blog.
    Sur le « malaise du cinéma français », je suis intéressé à montrer ici au Portugal, avec le livre que je suis en train d´écrire, « Allo Paris, adieu Hollywood », que cette ambiance négative n´empêche pas quelques films de faire d’excellents « box-offices », surtout internement.
    Serait-t-il possible d’avoir les contacts avec les producteurs de : Isabelle Adjani, Dany Boon et Daniel Auteuil ? Avec le succès de leurs récents films,
    ça serait intéressant de savoir comment ils pensent le futur du cinéma français…
    Merci infiniment

    Manuel Gil Fernandes, Lisbonne le 31 Janvier

  12. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Manuel Gil Fernandes, je ne suis pas en mesure de vous donner ces renseignements, car je n’ai pas les coordonnées des producteurs des films que vous citez. Le mieux serait de vous adresser au CNC, qui détient les renseignements sur la production de films français, les chiffres de fréquentation annuels, etc. Vous trouverez facilement sur internet les renseignements utiles pour accéder au CNC. Désolé de ne pas vous aider plus concrètement. Comme vous le savez, 2009 a été une année record en termes de fréquentation du cinéma dans les salles en France, avec plus de 200 millions de spectateurs, niveau qui n’avait pas été atteint depuis 1982. La part du cinéma français a baissé, elle est de l’ordre de 35% je crois. Tout dépend en fait du succès de quelques films, qui font évoluer ce pourcentage. S.T.