Lola Montès à la Villa Médicis

Il y avait beaucoup de monde, vendredi soir 11 juillet à la Villa Médicis, sur les hauteurs de Rome, pour découvrir la version restaurée de Lola Montès, le film de Max Ophuls. Entre cinq et six cents personnes. Si bien qu’il fallut rajouter des chaises. Richard Peduzzi, l’encore directeur des lieux (Frédéric Mitterrand, qui lui succède, prendra ses fonctions le 1er septembre), n’en revenait pas, s’étant montré inquiet le jour même du fait de la chaleur qui s’abattait sur Rome et qui allait pousser les habitants à fuir la ville en ce début de week-end pour rejoindre les bords de mer. La projection du film de Max Ophuls, quelques jours auparavant à Bologne sur la piazza grande (quatre mille spectateurs !), dans le cadre du festival « Il Cinema ritrovato », avait sans doute eu pour effet d’attiser la curiosité des cinéphiles romains. Lili Hinstin, qui s’occupe des programmes cinématographiques de la Villa Médicis, avait conçu une impeccable programmation en plein air : hommage à Jacques Tati avec Mon Oncle et Les Vacances de monsieur Hulot ; autobiographie romaine de Fellini en trois films : La Dolce Vita, Fellini Roma et Intervista, plus une programmation de films en Cinémascope : Pat Garett et Billy the Kid de Sam Peckinpah, A Star is Born de George Cukor, North by Northwest d’Hitchcock et Mc Cabe and Mrs. Miller de Robert Altman.

Lola Montès venait conclure en beauté cette programmation « bigger than life ». Nous étions ravis d’être là, Séverine Wemaere (Fondation Thomson), Alejandra Skira Norembuena (Fonds Culturel Franco Américain) et moi, aux côtés de Richard Peduzzi, de Lili Hinstin et de Pascal Thomas, qui eut l’idée de proposer cette programmation de Lola Montès à Rome. La nuit est tombée vers 21h30 et la projection commença. Un grand écran posé contre la muraille dans la sublime cour de la Villa. Temps de rêve. Bruit assez doux et discret du projecteur 35 millimètres, ne gênant aucunement l’écoute et la vision du film, rappelant au passage le caractère éphémère et fragile du dispositif cinématographique (avec le nécessaire changement de bobine obligeant à une interruption, sorte d’entracte auxquels les spectateurs romains sont habitués depuis toujours).

Revoir Lola Montès dans ce sublime décor ajoute indéniablement à la beauté du film, qui lui-même traverse quelques jolis lieux en fonction des pérégrinations de la Comtesse de Lansfeld, dite Lola Montès (Martine Carol). Lorsqu’elle arrive en Italie avec son amant infatué, le beau Franz Liszt (Will Quadflieg), son cocher Maurice (Henri Guisol) ne peut s’empêcher de maugréer et de pester contre la nourriture italienne : ils mettent trop d’huile et mangent trop de pâtes… Ce qu’il est aisé de démentir. C’est la partie munichoise que je préfère dans le film d’Ophuls. J’adore la scène avec le roi Louis 1er de Bavière (Anton Walbrook), lorsque celui-ci, conquit par la beauté et le culot de cette courtisane, décide qu’elle restera le plus longtemps possible à sa portée. Il organise le choix du peintre qui fera d’elle son portrait, en visite plusieurs et finit par accorder cette faveur à celui qui mettra le plus de temps à réaliser son tableau, tableau que le roi lui-même fera en sorte qu’il soit le plus scandaleux possible, donc inmontrable.

Le film d’Ophuls connut l’échec lors de sa sortie en décembre 1955. On peut dire que le cinéaste ne s’en remit pas. D’ailleurs il mourut moins de deux ans plus tard. On peut s’interroger : est-ce qu’un film « maudit » porte encore les traces de son échec, un demi siècle plus tard ? Je l’ignore. Mais je crois être sincère en disant que je revois ce film avec un œil différent, sachant qu’il a connu l’injustice et les amputations successives. Je le revois avec l’envie de le sauver, de lui redonner pleinement et majestueusement sa chance. En même temps, j’essaie de voir ce que le public d’alors refusa de voir : la construction du récit en gigogne, fait de flashbacks, le caractère scandaleux et amoral du personnage incarné par Martine Carol (actrice très populaire, jusqu’à ce qu’elle soit « détrônée » par Brigitte Bardot). Ce qui est frappant, et nous le voyons d’autant mieux aujourd’hui que cette magnifique restauration redonne toute leur splendeur aux couleurs et aux décors, c’est le décalage entre la mise en scène d’Ophuls, allègre et pour ainsi dire rythmée et toute en arabesque, et la tristesse de cette histoire d’une femme exhibée comme un animal de foire, que le public paye pour voir et toucher. Société du spectacle. Oui, Ophuls avait tout compris de cette société du spectacle, et peut-être s’attendait-il à ce que le public ne fasse pas honneur à son film, à son œuvre. Qui le saura jamais ?

Bonne nouvelle pour terminer : Lola Montès sortira en salle à Paris début décembre. Ce ne sera pas en plein air, mais dans de bonnes salles, sans doute à l’Arlequin et au Publicis.           

 

10 Réponses à “Lola Montès à la Villa Médicis”

  1. bernard a écrit :

    Cette soirée devait être magnifique… Vous nous annoncez la sortie à Paris et peut-être aussi en province.
    A bordeaux au Jean Vigo ? à l’Utopia ou encore à Pessac au Jean Eustache ?
    Merci de votre réponse !

  2. SR a écrit :

    Lola Montes au parc de Bercy, c’était pas mal non plus. Le cinéma en plein air c’est frais, c’est venteux, c’est revigorant. Pourquoi ne pas programmer plus de scéances de ce genre ?

  3. mhr a écrit :

    North by Northwest : en Vistavision, non?

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Oui, en Vistavision, vous avez raison. S.T.

  5. Vince Vint@ge a écrit :

    Pour moi, Vistavision, c’est  » Hasta la vista(vision) Baby  » ! Mais ça n’engage que moi.
    Le ‘Lola Montès’ d’Ophuls est une splendeur, au même titre qu’un Michael Powell (‘Les Chaussons rouges’), qu’un Douglas Sirk (‘Ecrits sur du vent’) ou qu’un Todd Haynes (‘Loin du paradis’). Quel putain de coloriste, mamma mia !

  6. Vince Vint@ge a écrit :

    Serge, vous étiez aux ‘Cahiers’ à une époque, comme ‘rédac-chef’ je crois, si mes souvenirs cinéfils sont bons. Cette revue est en difficultés financières et ‘éditoriales’… Certains veulent la racheter. L’ancien PDG de ‘Première’, paraît-il, on parle aussi d’un BHL (!!!) ou encore d’une reprise interne bicéphale avec Emmanuel Burdeau-Thierry Lounas, deux plumes déjà en place. Quel est votre sentiment sur tout ça ? Comment voyez-vous évoluer cette revue historique, marquée au sceau de la Nouvelle Vague ? Pensez-vous, comme certains l’envisagent, que c’est en augmentant son marketing et son aspect ’boutique’ (accrôitre le vivier de DVD, la publication de livres, les T-Shirts estampillés ‘Cahiers du cinéma’, les films autoproduits distribués on line…) qu’elle pourra sortir la tête de l’eau et de la forêt bariolée d’Internet offrant mille et un visages à la critique cinéma des années 2000 et suivantes ? Merci pour votre réponse. Person, je pense même que cette interrogation quant à l’avenir des ‘Cahiers’ mériterait de votre part un post à part entière. Bien cordialement.

  7. Serge Toubiana a écrit :

    Il m’est difficile de vous répondre. Lorsque j’ai quitté les Cahiers du cinéma en 2000 (j’étais à la fois directeur de la rédaction et gérant), je me suis tenu de ne pas porter de jugement sur cette revue, à laquelle j’ai collaboré pendant plus de 25 ans.
    Je peux quand même vous dire qu’une revue, celle-là comme d’autres, est amenée à évoluer. Parce que le cinéma évolue, aussi bien ses techniques que ses modes de diffusion. Il faut donc s’ouvrir, essayer de comprendre ces évolutions, rester vigilant, défendre les beaux films, faire preuve de curiosité, voyager, etc. Sans parler d’Internet qui bouscule tout sur son passage, et notamment la relation avec l’écrit.
    Les Cahiers du cinéma connaissent des difficultés aujourd’hui, du fait que leur actionnaire majoritaire (très largement majoritaire), le Groupe Le Monde, a décidé de céder les parts qu’il détient dans les Editions de l’Etoile, la société qui édite la revue. Il y a en effet plusieurs candidats à la reprise, ce qui me paraît une bonne chose. La décision sera prise après l’été. On y verra plus clair dans quelques semaines. Mais, honnêtement, je n’ai pas de réponse à toutes vos interrogations. Il s’agit de définir un projet, et ce n’est pas à moi de le faire, pour les raisons que j’ai dites plus haut. je vous souhaite de bonnes vacances. S.T.

  8. Vince Vint@ge a écrit :

    ST, merci pour votre réponse. Je souhaitais de votre part une réponse plus précise, plus  » personnelle « , mais, en même temps, je me doute très bien que votre position (directeur de la Cinémathèque, ex-dir. de la rédaction et gérant des ‘Cahiers’) ne vous facilite pas la tâche pour une parole totalement libre, d’autant plus qu’ici, votre blog, à l’instar d’une radio ou d’un passage TV, le débat n’est point sur un mode privé (entre les murs…), il est aussitôt – ou presque (le temps de cautionner et de diffuser les posts issus des lecteurs de ce blog) – public : je vous lis, vous me lisez, journal extime et non pas intime, nous nous lisons et nous lisons les autres, tout en lisant ‘Les Cahiers’ chaque mois de manière plus ou moins assidue, plus ou moins intense. Selon ce qui s’y écrit et s’y pense…

    Je suis intéressé pae deux points que vous exprimez :

    –  » Sans parler d’Internet qui bouscule tout sur son passage, et notamment la relation avec l’écrit.  » (ST)

    C’est vrai. Le Net est une révolution de l’écrit et des modes de diffusion des infos, des discours, des états critiques, des sons de cloche, de la distribution des cartes. Un film remarquable comme ‘Diary of the Dead  » (‘Chronique des morts vivants) de Romero ne parle que de ça : qui filme ? On filme ou on tire (to shoot) ? L’esthétique sans éthique n’est-elle que cosmétique ? L’avez-vous vu ? J’aimerais votre sentiment sur ce film sociétal et bien sûr politique, comme tous les films zombés signés Romero, de 1968, année très mouvementée en Europe et dans le monde, à aujourd’hui. On vit dans du Deleuze désormais…

    Autre point :  » Les Cahiers du cinéma connaissent des difficultés aujourd’hui, du fait que leur actionnaire majoritaire (très largement majoritaire), le Groupe Le Monde, a décidé de céder les parts qu’il détient dans les Editions de l’Etoile, la société qui édite la revue. Il y a en effet plusieurs candidats à la reprise, ce qui me paraît une bonne chose. La décision sera prise après l’été. On y verra plus clair dans quelques semaines.  » (ST)

    Oui, on a hâte de savoir. Malheureusement, on a l’impression d’un statu quo, voire d’un no man’s land… of the dead ! Rien ne sort des ‘Cahiers du cinéma’ ou si peu. On a l’impression qu’ils nous regardent d’une meurtrière d’un blockhaus comme la couve Avril 2008 Numéro 633 – image du film ‘Le Premier venu’ de Jacques Doillon. Couve prémonitoire ? Méfiance ? Garde rapprochée ? Dédain manifeste ? Est-ce qu’on sentirait le gaz !?! Qu’en pensez-vous ?
    ST, bonnes vacances, et… longue vie aux ‘Cahiers’. Enfin, ceux qu’on aime, hum hum…

  9. Serge Toubiana a écrit :

    Je n’ai pas vu le film de George Romero. Je vais le voir avant de partir en vacances. Sur le reste, je vous laisse volontiers la parole. S.T.

  10. Frontere a écrit :

    J’ai vu Lola Montès récemment. C’est vrai que le film paraît très en avance pour son époque et que le public n’a pas reconnu la Martine Carol qu’il adulait. Je reste cependant assez partagé, il y a des aspects assez kitsch et d’autres, notamment les flash-back (mot invariable), plus modernes. Par contre, vous avez raison, Serge, l’anticipation de la société du spectacle est remarquable !
    P.S. : j’ai adoré votre biographie de François Truffaut