Retour de Cannes

J’ai vécu un Festival de Cannes serein, ponctué de découvertes cinématographiques intéressantes, certaines passionnantes. Faire partie du jury « Un Certain Regard », aux côtés de Claire Denis (présidente du jury) et de trois personnes délicieuses et sympathiques : Helena Lindblad, journaliste suédoise, Patrick Ferla, journaliste à la Radio télévision suisse, et M. KIM Dongho, directeur du Festival international de Pusan en Corée du Sud, fut une expérience sincèrement enrichissante, humainement très agréable. Les dix-neuf films à voir provenant de dix-neuf pays différents, nous ont offert un tour d’horizon esthétique et narratif original, sans précédent. Réunis samedi matin dès 9 heures, notre ultime délibération fut amicale et permit une discussion profonde où chacun écoutait les arguments de l’autre. Si bien que nous parvînmes en deux heures à un accord équilibré et unanime.

Notre jury s’est mis d’accord pour accorder le Prix « Un Certain Regard » au film de HONG Sangsoo Ha Ha Ha. À l’unanimité. C’est un film joyeux et gai, du Rohmer coréen. Situations comiques, plaisir des dialogues, jeux de séduction et quiproquos : un film enchanteur. Notre prix du jury est allé à Octubre de Daniel et Diego Vega, et nous avons eu envie d’accorder un prix d’interprétation aux trois actrices du film Los Labios (Les Lèvres), de Ivan Fund et Santiago Loza : Adela Sanchez, Eva Bianco et Victoria Raposo. D’autres films ont retenu notre attention, par exemple celui de Pablo Trapero, Carancho, avec la belle Martina Gusman et un acteur argentin de grand talent, Ricardo Darin. L’histoire est forte (un trafic d’assurances sur la mort), la mise en scène énergique, le rythme haletant. Le cinéma en Amérique Latine se porte bien, que ce soit en Argentine, au Mexique et ailleurs. C’est une des bonnes nouvelles de ce 63è Festival de Cannes.  

Il y a plein de manières de vivre le festival. À mes yeux la plus intéressante consiste à suivre une section de A à Z, et de faire des incursions quotidiennes dans les autres, de voir des films programmés dans la compétition officielle, ou d’aller faire un tour à la Quinzaine des Réalisateurs, à la Semaine de la Critique, ou encore de revoir quelques films restaurés dans « Cannes Classics ». J’ai vu plus de trente films, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. L’exercice peut s’avérer périlleux, car les films finissent par s’empiler les uns sur les autres au point de s’effacer. Mais au bout de douze jours, les meilleurs reviennent et ne vous lâchent plus, pour s’inscrire dans votre mémoire pour longtemps.

Il y a eu des polémiques, mais trop souvent extérieures au cinéma, montées de toutes pièces pour alimenter la chronique. L’émotion, la vraie, naît lorsqu’un film provoque en vous un véritable choc esthétique. Cela m’est arrivé cette année avec le film de Manoel de Oliveira, L’Étrange affaire de Angelica, où l’on sent revenir le fantôme d’un cinéma ancien et primitif, où les vivants et les morts coexistent dans un univers surnaturel et féérique. Plus que centenaire, Oliveira s’amuse à traverser le cinéma de part en part, du réalisme primitif et fantasmagorique des années vingt, au récit romanesque et littéraire plus contemporain. La réalité et le rêve coexistent de manière unique et magique dans ce film, comme d’ailleurs dans le beau film qui a reçu hier soir la Palme d’or : Oncle Boonme qui se souvient de ses vies antérieures, d’Apichatpong Weerasethakul.

On ne se défait pas aisément de Film Socialisme de Jean-Luc Godard, justement parce que la vision du film nous surprend tellement, nous désarçonne à tel point que, nécessairement, les plans et les sons, leur beauté et leur étrangeté, leur agencement ou leur composition ne nous laissent pas en paix. Mais, peu à peu, le film revient à la surface, plus apaisé que lors de la vision première où l’impression de chaos prédomine. Quelque chose du film vient frapper à votre porte, plusieurs jours plus tard, et ne vous laisse plus tranquille. N’est-ce pas ce qu’on attend d’un film ? Inutile de chercher à tout comprendre, ni à suivre Godard dans tous les recoins de sa pensée, souvent faite de citations. Mieux vaut se laisser guider par la poésie tumultueuse qui agite son film. 

2 Réponses à “Retour de Cannes”

  1. Gérard Henry a écrit :

    Merci de ce regard vu de l’intérieur sur le fonctionnement du jury. On se rend compte que le jugement n’est pas tant celui de l’expert en cinéma à même de juger toute la technicité de l’oeuvre, que celui de l’homme sensible autant intellectuellement que sur le plan des sens, et qu’en fait , c’est le film qui s’impose de lui-même, un peu comme un bon vin doit se laisser décanter. Il semble que le facteur temps joue énormément. Arrive-t-il qu’un film séduise d’abord le jury mais que dans les jours suivants, son intérêt s’estompe ?

  2. Jean-Luc Godard sulla Costa Concordia. Film Socialisme | Rapporto Confidenziale a écrit :

    […] 20 • On ne se défait pas aisément de Film Socialisme de Jean-Luc Godard, justement parce que la vision du film nous surprend tellement, nous désarçonne à tel point que, nécessairement, les plans et les sons, leur beauté et leur étrangeté, leur agencement ou leur composition ne nous laissent pas en paix. Mais, peu à peu, le film revient à la surface, plus apaisé que lors de la vision première où l’impression de chaos prédomine. Quelque chose du film vient frapper à votre porte, plusieurs jours plus tard, et ne vous laisse plus tranquille. N’est-ce pas ce qu’on attend d’un film ? Inutile de chercher à tout comprendre, ni à suivre Godard dans tous les recoins de sa pensée, souvent faite de citations. Mieux vaut se laisser guider par la poésie tumultueuse qui agite son film. Serge Toubiana | La cinémathèque Française * […]