Pipe au bec !

Il s’est passé quelque chose d’important, la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Les députés de la Commission des affaires culturelles ont voté à la quasi unanimité une proposition de loi de Didier Mathus et du groupe SRC (socialistes, radicaux et citoyens), visant à « adopter une approche plus souple » de l’application de la loi Evin, la fameuse loi anti-tabac, « afin de concilier les exigences de la loi votée le 10 janvier 1991 avec la protection de la culture ». Cette proposition de loi sera donc prochainement soumise au parlement.

On se souvient de l’affaire de la pipe de Monsieur Hulot, en 2008, au moment de l’exposition que la Cinémathèque française avait consacrée à Jacques Tati (conçue par Macha Makeïeff, commissaire et scénographe, et Stéphane Goudet). L’affiche montrait Hulot sur son solex, pipe à la bouche, avec derrière lui son neveu. Conçue à partir d’un photogramme de Mon Oncle, l’affiche avait été refusée par Métrobus, la société gérant l’affichage dans le réseau du métro. Nous avions dû gommer cette pipe et la remplacer par un moulinet à vent. Cela avait déclenché débats et polémiques, beaucoup s’indignant que l’on retouche ainsi une image. Hulot et sa pipe, pourrait-on dire, est une image patrimoniale, qui appartient à la légende du personnage créé par Tati. On constate aujourd’hui que cela a eu un effet très positif, puisqu’une loi est en sur le point d’être votée, fondée sur un esprit de tolérance.

D’autres interdictions ou censures récentes sont encore en mémoire. La photographie de Jean-Paul Sartre, prise en 1946 lors d’une répétition au théâtre de La P… respectueuse (photo Lipnitzki), utilisée pour l’affiche et la couverture du catalogue de l’exposition organisée par la Bibliothèque Nationale de France en 2005, à l’occasion du centenaire du philosophe : la cigarette que l’écrivain tenait entre ses doigts avait été gommée. Le timbre à l’effigie d’André Malraux, d’après une photo de Gisèle Freund : la cigarette avait été effacée de la bouche de l’écrivain. Il y a quelques mois encore, l’affiche de Coco avant Chanel, réalisé par Anne Fontaine, interdite de métro du fait qu’Audrey Tautou fumait une cigarette. Censure pure et simple, doublée d’une atteinte au droit moral des auteurs.

M. Mathus a fait valoir que si l’intention de la loi anti-tabac était légitime, elle avait été interprétée de « manière extensive. Au-delà de la publicité sur le tabac, ce sont les œuvres culturelles qui ont été remises en cause », a-t-il précisé. Bien lui en a pris. Car on se doute bien qu’il n’entre aucunement dans ces projets culturels, exposition, timbre ou film, de vanter le tabagisme. Mais l’application d’une loi ne doit pas être rétroactive, et son exercice « légal » ne doit pas s’accomplir au moyen d’un acte contrevenant au droit d’auteur. Nous sommes donc sur le bon chemin : Monsieur Hulot pourra de nouveau  circuler la pipe au bec ! Il nous reste à remercier M. Mathus et les membres de la Commission d’avoir ainsi fait preuve de bon sens et d’intelligence.

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