Le Parlement européen a décerné aujourd’hui le « Prix Sakharov 2012 » à Nasrin Sotoudeh et Jafar Panahi

En TGV, Strasbourg n’est plus qu’à 2h20 de Paris. Nous avons pris le train tôt ce matin, Costa-Gavras et moi, accompagnés par Élodie Dufour, l’efficace et sympathique attachée de presse de la Cinémathèque française, pour être à pied d’œuvre dès le milieu de la matinée. À peine arrivés à Strasbourg, nous sommes embarqués vers le Parlement européen, gigantesque bâtisse postmoderne qui abrite, durant chaque session hebdomadaire, les quelque 725 députés venus des vingt-sept pays de l’Union européenne. Le reste du temps, tout le parlement se transporte à Bruxelles, députés et personnel administratif, soit m’a-t-on dit sept mille personnes environ. Ainsi va la vie de cette instance européenne si souvent décriée, mais où se discute le sort de l’Europe. Aujourd’hui, avant de voter le budget du Parlement – ce qui explique la présence de très nombreux élus -, a lieu la cérémonie de remise du « Prix Andrei Sakharov pour la liberté de l’esprit 2012 », décerné cette année à Nasrin Sotoudeh, avocate et militante des droits de l’Homme dans son pays, et Jafar Panahi, cinéaste. Il est prévu que la cérémonie officielle commence à 12h30.

Tous deux victimes de la répression et de la censure dans leur pays, Nasrin Sotoudeh, condamnée à la prison et qui a mené une grève de la faim durant 49 jours, et Jafar Panahi, menacé d’une condamnation à six ans de prison ferme et contraint de demeurer chez lui, n’ont évidemment pas été autorisés à se déplacer. Aussi ont-ils confié à des personnalités amies le soin de recevoir leurs prix.

Nasrin Sotoudeh a choisi Shirin Ebadi, avocate et défenseur des droits de l’Homme, prix Nobel de la Paix en 2003, femme remarquable et engagée dans un combat contre le pouvoir en place. Je me souviens de son passage à la Cinémathèque en juin 2010, lors de la manifestation « Une journée à Téhéran », et de son dialogue avec Jean-Claude Carrière. Elle est accompagnée par M. Karim Lahidji, avocat et défenseur des droits de l’Homme, contraint de s’exiler en France dès 1982 après avoir fait deux ans de prison.

Jafar Panahi a confié à la Cinémathèque française le soin de le représenter en recevant le prix en son nom. Les deux lauréats ont envoyé des messages qui seront lus devant les parlementaires par Shirin Ebadi et Costa-Gavras.

Avant la cérémonie officielle, Martin Schulz, le président du Parlement européen, nous accueille avec chaleur dans un salon privé, on le sent concerné, sincèrement impliqué dans la défense des droits de l’Homme. Avec simplicité il règle avec nous le protocole, avant de nous conduire dans l’enceinte du Parlement. Son discours d’introduction est ferme, ses mots ont du poids, sa condamnation du régime iranien sans appel. Puis c’est au tour de Madame Ebadi de lire en persan le message adressé par Nasrin Sotoudeh, véritable réquisitoire dénonçant un système d’oppression installé depuis trente ans. Elle adresse ses salutations depuis la prison d’Evin où elle est enfermée. Ce prix Sakharov est pour elle « source de fierté et un encouragement à poursuivre ma lutte avec patience ». Elle dit son rêve, « un rêve de justice, car l’Iran a droit à des élections libres », dénonce les pressions subies par ses avocats, l’un d’eux ayant été condamné à treize ans de prison pour avoir défendu des militants des droits de l’Homme. « La voix de la démocratie est longue, aussi ne faut-il pas perdre l’espoir, malgré les difficultés ». Elle cite les noms de Martin Luther King, de Nelson Mandela, qui ont connu le sort que l’on sait. « La torche de la liberté ne s’éteindra jamais ». Les députés applaudissent et se lèvent. Mais pas tous, car je remarque en haut et à droite de l’hémicycle que ni Marine Le Pen ni son père, tous deux élus européens, n’ont applaudi ni daigné se lever. Ce combat n’est évidemment pas le leur.

Puis c’est au tour de Costa-Gavras de prendre la parole pour rappeler la mobilisation du Festival de Cannes en 2010 (la chaise vide avec le nom de Jafar Panahi invité à faire partie du jury), de la Cinémathèque française, de la SACD, de la SRF, de l’ARP, de la Scam, et de nombreux festivals internationaux (Berlin, Venise, Locarno, Toronto), d’associations culturelles, d’organisations professionnelles, la signature d’une pétition par des centaines et des centaines de cinéastes et acteurs du monde entier, soutenant Jafar Panahi et d’autres cinéastes, acteurs et producteurs iraniens emprisonnés. Costa-Gavras lit ensuite le message de Jafar Panahi, un texte impeccable et d’une grande dignité. Quelle est la signification pour Jafar Panahi, d’être privé du droit d’exercer la seule chose qu’il sache faire et qu’il aime : filmer ?

Je mets son message en annexe, afin que chacun puisse en prendre connaissance et le faire circuler. J’ai ressenti durant toute la cérémonie une réelle émotion, un sentiment d’une prise de conscience commune. J’ai vu les députés interrompre la lecture des messages par leurs applaudissements. Le seul fait de pouvoir ainsi s’exprimer devant les élus de toute l’Europe me paraît être quelque chose de très significatif. Le fait que le Parlement européen accorde ce prix Sakharov à deux personnalités soumises à des conditions de vie insupportables, l’une en prison, l’autre menacé chaque jour de devoir y retourner, est un message de haute portée symbolique et politique. Après cela nous rejoignons la salle de presse pour répondre aux questions des journalistes. Le temps passe, tout est minuté, partout dans le vaste Parlement, des affiches du « Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit 2012 », accordé à Nasrin Sotoudeh et Jafar Panahi, sont apposées. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est un honneur pour la Cinémathèque française de recevoir ce prix, et que nous avons hâte de le remettre en mains propres à Jafar Panahi. Dès que possible. Vite. Dès qu’il sera libre de mouvement. Libre de faire des films.

Costa-Gavras

Texte du discours de Jafar Panahi lu par Costa-Gavras

Ladies, Gentlemen,

First, I would like to express my apology for not being among you today, in spite of my desire. However, I am not sure who should be apologizing here: me or others!

Therefore, I would like to express my gratitude to the founders and the organisers of the Prize ans salute Andrei Sakharov, whose fight for human rights and freedoms became an excellent opportunity to talk about human beings and their basic rights…

Two years ago, upon receiving my sentence, a friend asked me if I knew what the exact meaning of the sentence was. According to this friend, the message carried by the sentence was for me to run from my country and never come back. I still don’t know if his interpretation was correct. However, if it was, I never understood why I had to leave my country that I loved dearly. This love goes way beyond the geographical boundaries. Am I not a film maker with societal concerns?

As a film maker, I am inspired by the society I live in. My creation is the result of a personal perception of facts of life and ontological experiences in a specific society, during a lifetime. Run or live with the sword of Damocles above my head? That was the question. Evidently, I chose to stay, even though I knew that I could no longer take my camera into the heart of the society and do the only thing that I know how to do: film making… Not making films is a slow death for a film maker.

And whenever I decided to prevent this, anxiously and hidden, make a movie in a closed secret space, I knew that I had to face all the consequences.

Now the question is: why the governments, the all mighty and the powerful, become more intolerant every day? History is the narrative of a few, making the life of many miserable, while using the most unacceptable excuses: difference of race, sex, language, religion and political ideas.

Unfortunately, the authorities in my country are becoming so intolerant that they can’t even stand an independent journalist or a film maker. These last few days, Safar Beheshti, a blogger whose weblog had only 8 visitors, was imprisoned, and after a few days his family was asked to collect his body. He shared the unfortunate fate of the student of cinema Amir Javadifar, and others, after the silent march of protest few years back.

Many lawyers were imprisoned for defending the imprisoned demonstrators. Nasrine Sotoudeh is the outstanding example of such a situation.

Sadly enough, we can go on mentioning many cases of extreme injustice in Iran and in many other countries all around the world. However, this is not my intention today.

Right at the moment, my fears go beyond concerns about basic human rights. I fear war and I want to depict a vision that speaks to this fear. Imagine a time when any form of artistic work or practice has vanished and, instead, all you have is an array of weapons confronting bewildered humans.

Perhaps this image seems unrealistic to some. However, it can easily become a tangible reality that we all reconcile ourselves to. I am saying this because right now the spectre of war is haunting our world – to an extent we have never seen before, world powers have become more intolerant every day and almost appear to have a conscious determination to spread ugliness.

Intolerance and then war will pave the way for this. Perhaps Andrei Sakharov imagined a scene like my ‘unreal’ vision when he decided to oppose war upon awareness of the destructive potential of the hydrogen bomb. We must keep in mind that a small war now can lead to many and bigger wars in future. If this happens, human rights will not matter a iota.

Thank you for your patience.

Jafar Panahi

November 2012

 

Extrait vidéo de la cérémonie de remise du Prix Andreï Sakharov, le 12 décembre 2012

7 Réponses à “Le Parlement européen a décerné aujourd’hui le « Prix Sakharov 2012 » à Nasrin Sotoudeh et Jafar Panahi”

  1. Jean-Michel DUFOUR a écrit :

    COSTA-GAVRAS et vous même, Monsieur TOUBIANA étiez à votre juste place lors de cette cérémonie .
    C’est une constante,vous portez haut l’image de la cinémathèque et contribuez ainsi par votre humanisme, à positionner notre pays à l’endroit où il doit être, et qu’il ne devrait jamais quitter; celui du front des combattants pour la liberté d’expression.
    Merci de la part d’un obscur cinéphile de base, qui dit que la Cinémathèque Française est un puissant phare, dont les gardiens sont précieux.

  2. Filmer !? a écrit :

    Belle confiance donnée par un cinéaste à l’institution Cinémathèque qui, au-delà des mondanités sans doutes obligatoires, sait rester vigilante et se transformer en porte parole d’un créateur privé de ses droits les plus fondamentaux. En espérant que très vite la raison l’emporte et que Jafar Panahi reprenne ses activités de talentueux LIBRE FILMEUR
    Merci à vous
    Sophie

  3. Renato Gabrielli-Ramirez a écrit :

    « Élodie Dufour, l’efficace et sympathique attachée de presse de la Cinémathèque française, »
    BRAVO ELODIE !

    PS : quelle déception que le dernier Costa-Gavras. Le Capital. Aussi mauvais que Cosmopolis. C’est dire ! Et aussi virulent qu’un Bisounours égaré dans un monde de prédateurs…

  4. serge toubiana a écrit :

    Oui, bravo Élodie ! Mais pas d’accord avec vous, et si vous comparez Le Capital à Cosmopolis, en les mettant dans le même sac, alors moi je prends tout le sac. Ces films, de manière très différente, à tous les niveaux, esthétique et narratif, rendent compte de l’état du monde et de ce qui se trame dans l’opacité économico-financière. Ce sont des films-processus, et à ce titre ils m’intéressent beaucoup. Les deux ont curieusement été maltraités par la critique. Dommage !

  5. Yves a écrit :

    Serge, bonjour, certes, ce n’est pas le sujet de votre post, mais celui-ci est à teneur politique, et l’art, dont le cinéma qui s’inscrit pleinement dans le champ social et la conscience collective, est politique. Or l’affaire dont je veux parler a pris la forme d’une boutade pour s’orienter vers le fait politique : bref, que pensez-vous de l’affaire Gérard Depardieu ?

    (Le tout mélangeant Ayrault, la Belgique, la France, Obélix, Cyrano, impôts, bons Français, mauvais Français, riches et pauvres, Bardot, Torreton, Libé, Luchini, etc.).

    Une table ronde sur le sujet est-elle possible à la Cinémathèque ?

  6. serge toubiana a écrit :

    Une table ronde? Sûrement pas. Pour juger Gérard Depardieu, et immanquablement faire son procès? Pas question ! Le connaissant depuis longtemps, j’ai plutôt envie de me taire, de ne rien dire. J’entends trop de commentaires, dans tous les sens, la plupart se permettant de porter un jugement moral sur l’homme et sur l’acteur. Depardieu, il fait ce qu’il veut. Je n’approuve pas son choix, pour une raison d’ailleurs banale : cet homme est excessif, il l’est en toutes choses. Il ne tient pas en place. Boulimique. Il vit à cent à l’heure, et va souvent droit dans le mur. Il tombe et se relève. En Belgique il va s’ennuyer ferme, ne pas tenir en place. Je fais le pari qu’il reviendra en France, où d’ailleurs il séjourne très peu, juste quelques mois dans l’année. Le reste du temps il est ailleurs, là où le vent (et les affaires) l’entraîne(nt). On oublie (trop) aussi qu’il est un acteur génial, le plus grand que le cinéma français ait sans doute connu. Voilà, je n’ai rien à dire de plus. Je sais aussi qu’il est capable du meilleur. Là, dans la dernière séquence, il a été nettement moins bon… Mais ça reviendra. S.T.

  7. Frank AIDAN a écrit :

    Cher Serge TOUBIANA,

    Actuellement, c’est vrai, il y a Noël, le nouvel an qui approche et… DEPARDIEU. Tout le monde en parle et il y a comme un redoublement, une multiplication de l’homme par cette période de fêtes où l’excès est le bienvenu. Bien sûr que DEPARDIEU fait ce qu’il veut et même si l’on pense le contraire, cela ne l’empêche pas de faire ce qu’il veut.

    Plutôt que de parler de son lieu de vie actuel et futur, je poste ici deux suggestions précises, l’une que l’on peut mettre en oeuvre sans délai et l’autre qui est aussi un voeu.

    D’abord, aller voir « L’ODYSSÉE DE PIE » de Ang LEE où, lorsque l’on repère le nom de DEPARDIEU au générique, on se dit deux fois : « non ?! ». D’abord parce que l’on se demande à quel moment du film il va apparaître (dans les plans au présent en INDE ? sur l’arche entre le zèbre et le tigre ?) ; ensuite, parce que l’on sait que le film est truffé d’effets numériques et qu’il ne restera quasiment aucune place pour le corps, pourtant massif, de l’un de nos acteurs préférés.

    Nous voici maintenant dans le cargo qui transporte PI (incise : PI tient son prénom, PISCINE MOLITOR, de l’amour de son ascendance pour la FRANCE et les piscines françaises (sic)), sa famille, son père, sa mère et son frère et tous les animaux du zoo que l’on transbahute vers le CANADA. Arrive l’heure du repas et le cuisinier qui sert à la cantine est français. La mère de PI veut du végétarien mais le cuisinier est coriace, ce qu’il sert est mangeable, à la guerre comme à la guerre, etc. En une poignée de plans et l’on n’en croit pas ses yeux, Gérard DEPARDIEU, corps et voix (c’est bien la sienne, en anglais) existe, malgré la brièveté du rôle, malgré la dictature des effets numériques, malgré la 3D, malgré, malgré… Il y a des années de cela, plus d’une trentaine, dans une de ses chansons, « MANIVELLE », Alain SOUCHON avait associé Gérard DEPARDIEU et l’hélicoptère et puis tout de suite après, Isadora DUNCAN et le latécoère.

    Je commence à comprendre.

    Pour en finir avec le film d’Ang LEE, j’ajoute qu’un peu plus loin dans l’histoire, le personnage du cuisinier est assimilé à une hyène, autre personnage du film et incarnation du Mal. Mais ce qui court dans cette superproduction qui aurait mobilisé 14.000 personnes est un fil rouge plus subtil que Ang LEE réussit par miracle à préserver et qui tient, pour le dire vite, en un jeu sur la francité (onomastique, lieux typiques, nos piscines…) d’abord un peu moquée, voire ridiculisée et finalement respectée. PI suit d’ailleurs ce trajet : son prénom de piscine dans PONDICHERY peuplée de FRANCE, d’abord vulgairement connoté en anglais, génère les railleries de ses condisciples avant que PI ne se fasse respecter en abrégeant son prénom renvoyant alors à un chiffre magique et qu’il ne devienne lui-même un personnage de magicien ou quasi, tout entier tourné vers l’imaginaire au point que les Japonais n’en croient pas leurs oreilles (c’est aussi dans le film).

    Donc « L’ODYSSÉE DE PI » est à voir, d’abord pour GD et ensuite pour tout le reste.

    Et la deuxième suggestion en forme de voeu est, non pas bien entendu, une table ronde sur je ne sais quel thème singulier (?!), mais bien une rétrospective intégrale des films de l’un des plus grands créateurs de l’histoire du cinéma, donc Gérard DEPARDIEU, où l’on découvrirait aussi certains films qu’il a tournés tellement vite, tellement en catimini, que l’on n’a pas vu passer l’hélicoptère aussitôt reparti à la verticale.

    Amitiés cinéphiles et de très belles fêtes de fin d’année pour vous et les fidèles de ce blog.