Belmondo

Belle soirée mercredi à la Cinémathèque avec l’ouverture du cycle consacré aux acteurs de la Nouvelle Vague. Pierrot le fou restauré dans ses couleurs d’origine. Le film fut tourné en 1965 en Techniscope, sur émulsion Eastmancolor. Le Techniscope était fréquemment utilisé à l’époque, notamment par souci d’économie de pellicule car l’image n’occupait que deux perforations par photogramme. Je ne vais pas m’embrouiller dans des considérations techniques, sauf pour dire que la restauration entreprise par StudioCanal (Béatrice Valbin-Constant) et la Cinémathèque française (Camille Blot-Wellens), avec l’aide de Fonds culturel franco-américain, a résidé dans l’établissement d’un nouveau négatif issu du négatif de tournage, après un traitement numérique de l’image. Ce qui a permis de retrouver les splendides couleurs de l’élément original, à savoir le négatif de tournage en Techniscope. Restauration numérique avec retour sur pellicule argentique, si bien que le film est disponible dans ces deux supports, film et élément numérique, ce qui est un exigence vitale et essentielle pour la Cinémathèque (condition pour pouvoir projeter des films en 35mm).

Raoul Coutard, le directeur de la photographie de Godard (il a aussi travaillé avec Truffaut) était présent dans la salle, tout comme Jean-Pierre Léaud qui apparaît dans un plan du film (lorsque Pierrot, alias Ferdinand, se rend dans une salle de cinéma à Toulon). Léaud était assistant de Godard sur le tournage de Pierrot le fou, job de vacances qui l’occupait entre deux films (il tournera dans Masculin Féminin l’année suivante). Et Jean-Paul Belmondo, comme il nous l’avait promis. L’acteur fut accueilli avec des applaudissements chaleureux. Anna Karina, qui s’est blessée à la cheville il y a une semaine en tombant dans les escaliers, m’avait dit au téléphone combien elle regrettait de ne pouvoir assister à cette soirée. J’ai transmis à la salle son message, et nous prendrons régulièrement de ses nouvelles.

La Nouvelle Vague par ses acteurs : telle est notre entrée, notre approche, pour redécouvrir ce moment très particulier du cinéma français. Chaque metteur en scène de la Nouvelle Vague « invente » ses acteurs, et surtout ses actrices. Malle avait commencé avec Ascenseur pour l’échafaud avec Jeanne Moreau, déjà vedette de cinéma. Malle et Decae, son chef opérateur, s’emploient à filmer l’actrice autrement, avec un minimum de lumière et en jouant sur l’éclairage artificiel, celui des néons des vitrines des Champs-Élysées dans la célèbre séquence accompagnée musicalement par Miles Davis. Godard et Karina, combien de films ensemble ? Je compte de mémoire : Le Petit soldat, Une femme est une femme (premier film en couleur de JLG, avec Belmondo et Karina + Brialy), Vivre sa vie, Bande à part, Alphaville, Pierrot le fou, et Made in USA. À ce compte-là on peut dire qu’une actrice inspire son metteur en scène. C’est visible à l’œil nu dans Pierrot le fou où Karina chante et danse, fait la moue, regarde le spectateur dans les yeux. Le charme et la beauté à l’état pur. Et Belmondo, d’où vient-il ? Godard, raconte la légende, le croise devant le drugstore Saint-Germain (aujourd’hui boutique Armani), et l’engage pour un court métrage (Charlotte et son jules). Godard le double lors de la post-synchronisation, quand Belmondo effectue son service militaire.Le cinéaste lui promet des retrouvailles. Mais c’est Chabrol qui, le premier, confiera à Belmondo un vrai rôle dans un long-métrage : À double tour. On connaît la suite : À bout de souffle… Costa-Gavras l’a dit hier en présentant Belmondo au public : personne ne jouait comme lui à cette époque. Mauvais élève au conservatoire, Belmondo invente un style de jeu inouï, d’une liberté totale, en jouant avec son corps, faisant la moue, plissant les yeux, la voix légèrement nasillarde. Nouvelle Vague par le style et la légèreté du ton et de l’écriture cinématographique. Mais Nouvelle Vague aussi par le charme de ses acteurs. Et de ses actrices. Demy fait tourner Anouk Aimée dans Lola. Sans doute l’a-t-il repérée chez Franju (La Tête contre les murs), ou chez Becker (Montparnasse 19). Dans La Tête contre les murs, elle a Jean-Pierre Mocky comme partenaire, qui la dirigera l’année suivante dans Les Dragueurs. Chabrol tourne ses premiers films avec Brialy, Blain, Bernadette Lafont. Mais c’est Truffaut qui le premier proposera à la jeune nîmoise de faire de la comédie : Les Mistons en 1957. Pour Chabrol, ce sera ensuite sa décennie avec Stéphane Audran, géniale dans Les Bonnes femmes, Les Biches, Le Boucher, Juste avant la nuit, La Femme infidèle, Les Noces rouges. Entre acteurs et metteurs en scène de la NV, il y eut des croisements, des transferts (comme au foot, mais avec infiniment plus de grâce), des petites trahisons et des grandes ruptures. Kast et Doniol-Valcroze font tourner tour à tour ou en même temps Françoise Brion et Alexandra Stewart – lequel est amoureux de l’une, lequel de l’autre ? C’est un manège incessant, qui va à un rythme fou (les films se comptent par dizaines), et ça joue vite et bien. Les films se font avec amour, c’est cela qui compte. Le cinéma se fait en sautillant sur une jambe, ce qui agacera les professionnels de la professions.

En revoyant pour la nième fois Pierrot le fou, je suis épaté par le jeu physique de Jean-Paul Belmondo et Anna Karina. Godard les fait sauter, danser, se déguiser et prendre des risques comme dans des jeux d’enfants. Quand ils s’embrassent, c’est comme des enfants, avec tact et pudeur. Et dieu sait si le couple est beau à l’écran ! Ils ont vingt ans à peine et leur jeunesse crève la toile. Et puis, je n’avais pas remarqué à quel point Belmondo, comme ce sera le cas trois ans plus tard dans La Sirène du Mississippi de Truffaut, incarne un homme faible ou fragile qui, par amour et goût de l’aventure, se laisse mener par le bout du nez par la belle Marianne. Cette Marianne de Renoir est duelle, elle a déjà au début du film une idée du déroulement final, tragique, vers quoi les mène cette histoire de trafic d’armes au bord de la Méditerranée. Si bien que Pierrot, durant tout le film, est un personnage innocent et candide, toujours avec un petit temps de retard sur elle, un rôle dans lequel Belmondo, qu’on croyait être un balaise du cinéma, excelle. Il joue avec d’infinies nuances, une sensibilité incroyable, à fleur de peau, cet homme qui ne sait pas s’il s’appelle Pierrot ou Ferdinand.

À la fin de la projection hier, toute la salle s’est levée et a ovationné l’acteur pendant dix bonnes minutes. Il souriait, l’air heureux, ému de cet accueil si chaleureux. La Cinémathèque était aux anges.

Quelques informations.

Pierrot le fou, copie neuve, sort le 30 septembre à la Filmothèque du Quartier latin (9, rue Champollion). Distribué par Ciné Classic, qui programmera ensuite le film dans des salles de province.

StudioCanal édite deux coffrets DVD à l’occasion des 50 ans de la Nouvelle Vague (en partenariat avec la Cinémathèque française). Le premier contient 6 films : À bout de souffle, Le Mépris et Pierrot le fou (restauré), Les Bonnes femmes (Chabrol), L’Année dernière à Marienbad (Resnais) et Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (Rivette).

Le deuxième coffret est consacré à Belmondo avec 5 films : À bout de souffle et Pierrot le fou, Moderato Cantabile (Peter Brook), Léon Morin prêtre et Le Doulos (Melville). En vente à partir du 13 octobre, mais déjà disponibles à la librairie de la Cinémathèque française.

Informations concernant la programmation « Acteurs de la Nouvelle Vague » qui se tient jusqu’au 18 octobre.

Ce jeudi 24 septembre, Bernadette Lafont présentera Le Beau Serge de Claude Chabrol.

Samedi 26 septembre à 19h, Jean-Pierre Léaud viendra présenter Les Quatre Cents Coups de François Truffaut.

Dimanche 27 à 19h30, Nicole D-V Berckmans présentera son documentaire, Jacques Doniol-Valcroze, les cahiers d’un cinéaste (à voir !). En compagnie d’Alexandra Stewart et Françoise Brion, qui présenteront Le Bel âge de Pierre Kast à 17h.

Macha Méril viendra présenter Une femme mariée de Godard, jeudi 1er octobre à 19h.

Anouk Aimée présentera Lola de Jacques Demy, dimanche 11 octobre à 19h.

4 Réponses à “Belmondo”

  1. roubinet Pascal a écrit :

    Bonjour,
    Tout d’abord, bravo pour avoir mis ces belles photos de Jean-Paul Belmondo ! J’ai pu prendre des photos de lui lors de son arrivée à la Cinémathèque. C’était la première fois que je le voyais et j’espère que ce ne sera pas la dernière ! Le troisième film vu au cinéma depuis que j’y vais, c’était  » L’As des as  » à sa sortie. J’avais treize ans. J’ai vu beaucoup de films avec Belmondo, j’ en ai quatorze en DVD. De plus j’ai pu avoir son autographe, grâce à mon ami Eric Moreau. Enfin, pour finir sur Jean-Paul Belmondo qui, grâce à  » A bout de souffle « , est devenu du jour au lendemain une vedette, j’associerai son inoubliable partenaire, la regrettée mais si jolie Jean Seberg et son délicieux accent américain. Ah j’oubliais, quel dommage que Jean-Paul Belmondo et Costa-Gavras, le si sympathique président de la Cinémathèque, n’aient jamais tourné ensemble !
    Enfin sur ma photo avec Jean-Paul Belmondo et Costa-Gavras, il y a Jean-Pierre Mocky avec qui j’ai fait deux fois de la figuration dans ses
    films: quelle pêche et quel dynamisme il a toujours ! Je le reverrai avec plaisir quand il viendra présenter  » La Tête contre les murs  » , grand film sur l’univers psychiatrique avec Charles Aznavour, Anouk Aimée et Pierre Brasseur.

  2. eric moreau a écrit :

    Une fois de plus (et une des plus belles), la Cinémathèque pouvait réunir dans une salle, actrices et acteurs, techniciens, personnel de la Cinémathèque comme Camille, la talentueuse et sympathique « restauratrice » du chef-d’oeuvre de Godard, intermittents et cinéphiles de toutes générations, pour une standing ovation, avant et après la projection, d’un homme (je l’ai écrit dans le recueil ciné-poétique « cinéma cinéma, liberté d’aimer ») que tout un pays aime à la folie : Jean-Paul Belmondo, acteur de la nouvelle vague bien sûr, mais aussi et surtout immense star aux dizaines de succès publics et commerciaux. Surtout, cet homme « invulnérable » au cinéma et au courage « indestructible » dans la vie, homme de séduction aussi bien à la ville qu’à l’Écran. Quel grand bonheur quand le président de la Cinémathèque, « notre » cher Costa-Gavras a accueilli Jean-Paul Belmondo sur scène en rappelant ses souvenirs de jeune assistant d’Henri Verneuil sur « Un singe en hiver » et la rencontre du jeune Belmondo avec le « vieux », « notre » légendaire Jean Gabin !
    Que la projection fut belle et que le propos et les allusions de « Pierrot le fou » peuvent être encore d’actualité aujourd’hui !
    La soirée fut mythologique et que fut drôle (on était nombreux à en parler et à en sourire) le départ de Jean-Paul Belmondo avec sa belle compagne en voiture, où, au dernier moment, on put voir « notre » célébrissime et incontournable acteur-réalisateur Jean-Pierre Mocky « profiter » aussi du véhicule ! Quel immense personnage aussi « haut en couleurs » que ce cinéaste « en marge » de tous les autres, avec qui tout est vraiment possible! On peut même imaginer dans un avenir proche un futur MOCKY avec BELMONDO, si c’était le cas ce serait une conclusion inoubliable à une soirée inscrite déjà dans les annales de la réussite absolue, que seule l’ambiance de la cinémathèque faite de franchise, de chaleur humaine et de sincère passion peut procurer en même temps à plusieurs centaines de personnes à la fois, acteurs et spectateurs.
    Un clin d’oeil (toute compassion mise de côté) à Serge Toubiana pour la qualité à la fois de son blog et la vraie beauté et spontanéité de sa présentation liée à ses souvenirs d’adolescent cinéphile; je tenais à dire avoir fait partie des spectateurs dans la salle très ému par sa « prestation »…

  3. Vince Vint@ge a écrit :

    Hello, on sent à vous lire (les deux posts + le texte de S.Toubiana) que c’était une très belle soirée à la Tek, pleine de rêveries cinéphiles et d’échappements libres en pagaille. Belmondo est une star attachante, avec une liberté de jeu d’une grande modernité à l’orée des sixties. Ce qu’il fait chez Godard (‘A bout de souffle’, ‘Pierrot le Fou’…) est encore dans toutes les mémoires.
    Bébel ou l’art du décalage, du  » pas de retrait  » dans le je(u), façon boxe anglaise, qui fait mouche.
    Bébel ou l’acteur au capital sympathie XXL.
    Bébel, le grand rival de Delon, l’autre grand soleil du cinéma populaire français.
    Bébel, c’est notre jeunesse, notre dimanche soir devant la téloche, notre adolescence vagabonde, notre plaisir – gourmand – d’identification au cinéma. Se faire, pendant 1h30 dans une salle obscure,  » Flic ou voyou « , ou  » Professionnel « ,  » Marginal « ,  » Incorrigible « ,  » Animal,  » Solitaire « ,  » Marié de l’An II « , Guignolo « ,  » Morfalou « ,  » Magnifique « ,  » As des As  » et on en passe…

    Et quelle chance pour les nouvelles générations de pouvoir découvrir des films avec Jean-Paul Belmondo, dont certains ont fait date dans l’Histoire du cinéma. Puis, Belmondo, c’est aussi le fils respectueux de son père (le sculpteur Paul Belmondo, académique mais talentueux quand même, en tout cas  » Professionnel « …), c’est l’imitateur hors pair, sur le divan rouge de Drucker, de Michel Simon !, c’est la classe tous risques !, le tombeur de ces dames!, et c’est, en vrac, Carné, Corbucci, Becker, Chabrol, Lattuada, Huston, Sautet, Clément, De Broca, Rappeneau, Resnais, Truffaut, Verneuil, Giovanni, Deray, Lelouch, Oury, Varda, Malle et… Melville.  » Le Doulos « , quel putain de film !

    Alors, un MOCKY-BELMONDO, pourquoi pas ! Même si on sait Bébel, fort diminué par son accident vasculaire d’il y a quelques années, ne pas vouloir reprendre les plateaux de cinéma suite à sa prestation dans un échec commercial cuisant :  » Un homme et son chien  » de Francis Huster. Selon Bébel, il a déclaré que les spectateurs ne voulaient plus payer pour voir l’idole de leur jeunesse, usée et abîmée par la vie et ses dommages collatéraux (la maladie…), sur un écran de cinéma.

    Par hasard, Serge Toubiana, avez-vous pu en discuter avec Jean-Paul Belmondo ? Est-ce que son retrait du cinéma est définitif ? Et Bébel vous a-t-il promis qu’il reviendrait à la Tek un de ces quatre ?

    En tout cas, bravo pour cette soirée de toute évidence magique. Mon seul regret : l’avoir loupée !
    Enfin, quel plaisir de voir réunis sur une photo deux acteurs aux trajectoires complètement différentes comme Léaud et Belmondo. D’un côté, un acteur  » de la marge  » et qui y est resté (Léaud), et de l’autre, un acteur, jeune marginal à ses débuts devenu l’immense star populaire que l’on sait (Belmondo). Certes, ils ont des points d’attache (la Nouvelle Vague de Godard, Truffaut et Chabrol), mais voir ces deux  » trajectoires « , à l’extrême, réunies en une seule photo, ça laisse songeur, on imagine un film qui aurait pu ou pourrait se faire avec eux, dirigés par un Kaurismaki peut-être, ou par Godard (THE come back !!! dans un film narratif d’antan), ou par… Mocky, l’électron libre et  » voiture-balai  » * du cinéma français ! J’achète ! Pas vous ? Imaginez un  » LEAUD-BELMONDO  » écrit en lettres rouges sur fon blanc à la devanture d’un Gaumont, sur les Champs, quel programme surréaliste alléchant !
    Ciao.

    * dans le sens non-péjoratif de faire feu de tout bois, avec le système D pour école de la vie

  4. Nekhoul a écrit :

    J’ai admiré Jean-Paul Belmondo, ses films culturels, son itinéraire, son ascension et tous les artistes avec qui il a composé : le choix des acteurs est extraordinairement fait. Et la rencontre du jeune Belmondo avec notre vieux légendaire Jean Gabin. Propos et Allusions de Pierrot le fou sont d’actualité aujourd’hui, Resnais et Suzanne Simonin « la religieuse  » Diderot (Rivette).