Archive pour le 21.05.2008

You make my day!

mercredi 21 mai 2008

La projection de la version restaurée de Lola Montès, l’autre soir à Cannes (sélection « Cannes Classics »), fut magique. Tous ceux qui connaissent le film de Max Ophuls ont eu comme moi le sentiment de le redécouvrir. Comme une sorte de renaissance. La restauration initiée par la Cinémathèque française est exemplaire à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle s’est évertuée à retrouver la version d’origine du film, voulue par son auteur. Lors de sa sortie le 23 décembre 1955, Lola Montès connut des fortunes diverses. La critique dans sa majorité refusa le film avec violence. Tout comme le public. C’est tout juste si l’on ne se moquait pas de Max Ophuls. Le producteur décida alors de faire des coupes, puis de revoir le montage, charcutant le film conçu, rêvé et mis en scène par Ophuls. En son temps, Lola Montès était une entreprise sacrément audacieuse. Ophuls tournait alors son premier film en couleur, selon le procédé Technicolor. Martine Carol était la vedette la plus populaire du cinéma français, juste avant d’être détrônée par Brigitte Bardot. Lola Montès est une sorte de feu d’artifice visuel jouant sur toutes les nuances, les tonalités et les saisons, rouges sang, jaunes ou bleus nuit. Décors, costumes, parades, jeux de cirque, le film traverse toute l’Europe, s’adapte à chaque situation en développant une sorte de féérie sombre. Le sujet l’impose. Lola Montès raconte l’histoire d’une femme à scandale, une courtisane transformée en objet de foire, morceau de choix d’une société du spectacle. Sa bravoure se mesure à une capacité d’accepter son statut de femme maudite, bafouée. Les spectateurs de cirque venaient et payaient pour voir Lola, mise en scène par un monsieur Loyal interprété par Peter Ustinov.

Mais les spectateurs de cinéma, eux, ne sont pas venus nombreux voir le film de Max Ophuls. Jeune critique, Truffaut s’empara de l’affaire. Dans Arts, il remonta les bretelles d’une presse académique et frileuse. Trop tard. Le mal était fait. La version restaurée présentée à Cannes est hautement fidèle au film d’origine. Le travail de restauration entrepris chez Technicolor à Los Angeles a permis de retrouver les sublimes couleurs d’origine.  Somptueuses. La plupart des spectateurs présents dans la salle n’en revenaient pas l’autre soir à Cannes. D’où leur émotion. Certains disaient même que si le film de Max Ophuls aurait pu faire l’ouverture du 61è festival…  C’est dire. Présent, Marcel Ophuls était sans doute le plus ému d’entre nous. Cela se comprend. Jeune homme, il était deuxième assistant de son père en 1955, présent à ses côtés au moment de la sortie désastreuse du film. Je ne crois pas que l’on puisse réparer les grands échecs commerciaux qui touchent les chefs d’œuvre du cinéma. Mais Lola Montès existe, intact dans sa splendeur d’origine. De nouveaux spectateurs vont bientôt pouvoir le découvrir. Nous le montrerons à la Cinémathèque début juillet. Laurence Braunberger, qui détient les droits du film et qui nous a permis de travailler à cette restauration (avec la Fondation Thomson, le Fonds Culturel Franco Américain, grâce au soutien de L’Oréal et de agnès b.) prépare maintenant la ressortie de Lola en salles.

Hier soir avait lieu la projection du nouveau film de Clint Eastwood, L’échange. Eastwood jouit d’un statut exceptionnel en France où on le considère comme un auteur de film, au sens classique du terme. Il n’en a pas toujours été ainsi. La critique a changé d’avis sur ses films vers la fin des années soixante-dix. Jusqu’alors, on le considérait encore comme un acteur faisant des films, et son idéologie était considérée comme douteuse – Eastwood ne cachant pas ses préférences républicaines. Aux Cahiers du cinéma, Olivier Assayas fut le premier à défendre Eastwood. C’était en 1980 : Honkytonk Man. J’ai eu le privilège de rencontrer plusieurs fois ce cinéaste dont j’admire à peu près toute l’œuvre. Mon plus beau souvenir de journaliste date de 2000. Avec mon ami Nicolas Saada, nous fîmes le voyage de San Francisco jusqu’à Carmel (Californie), pour interviewer longuement Clint Eastwood. C’était pour les Cahiers du cinéma – ma dernière contribution à cette revue. L’entretien dura trois ou quatre heures. Passionnant et précis. Eastwood venait de terminer Space Cowboys. Lorsqu’il aborde son travail de cinéaste, Eastwood parle en artisan avec beaucoup de modestie. Il sait ce qu’il doit aux cinéastes de l’âge classique qu’il admire : Hawks, Walsh, Ford, William Wellman. Son sourire d’une douceur extrême ne quitte pas ses lèvres. Difficile de ne pas tomber sous le charme. L’entretien terminé, il nous demanda quel était notre programme. Nous lui répondîmes que nous allions à Los Angeles, poursuivre nos entretiens, cette fois avec ses principaux collaborateurs de Malpaso, sa maison de production. Comment comptez-vous vous y rendre, nous demanda Eastwood. Si vous voulez, je vous emmène en avion… Nicolas et moi, nous fîmes le voyage assis en face de Clint Eastwood, dans l’avion privé de la Warner mis à sa disposition. À Burbank où nous atterrîmes, nous quittâmes Eastwood en lui donnant rendez-vous le lendemain à son bureau. Nous passâmes ainsi trois jours avec Clint Eastwood et ses principaux collaborateurs : Joel Cox son fidèle monteur, Jack N. Green et Tom Stern, ses directeurs de la photographie, Lennie Niehaus son musicien, Henry Bumstead son décorateur. Eastwood est un véritable gentleman. Son élégance est évidente, avec sa manière de se tenir droit mais légèrement courbé, comme pour s’excuser d’être si grand. Il sourit, prend son temps, enchaîne film sur film. Les sujets changent, mais il y a une continuité stylistique et bien sûr thématique. Sa mise en scène est faite d’élégance et de retenue. Regardez sa filmographie d’acteur et de réalisateur : l’œuvre est là, évidente, foisonnante. J’étais ému après la projection d’être convié au dîner offert par Universal, parmi de nombreux journalistes, critiques et cinéphiles venus de tous les horizons. Quelle ne fut ma surprise lorsque l’hôtesse m’annonça que j’étais à la table de Clint Eastwood, de Angelina Jolie et de Brad Pitt… Merci à Pierre Rissient, que je soupçonne d’avoir fait le plan de table. Difficile de ne pas devenir un groupie !

Un détail qui prouve que Clint Eastwood a de la classe, c’était sa présence lors de l’hommage que rendait, avant-hier, le Festival de Cannes à Manoel de Oliveira pour célébrer son centenaire. Cela donnait encore raison à Claude Lanzmann : Oui, le cinéma est (encore) la maison qui abrite aussi bien Clint Eastwood que le vétéran des cinéastes, le malicieux Manoel de Oliveira. Excellent discours de Gilles Jacob, réellement admiratif envers le cinéaste portugais. Réponse de celui-ci très fine, pleine d’humour. Rien de solennel ou d’académique dans cette cérémonie au cours de laquelle toute la salle ressentit passer le souffle de l’histoire du cinéma. Manoel de Oliveira évoqua Chaplin qu’il admira tant. Mais aussi Henri Langlois et la Cinémathèque française. Il esquissa un pas de danse, le cinéma avait l’air de retrouver sa jeunesse.