Archive pour le 10.2008

Pierre Etaix, suite

mercredi 29 octobre 2008

Pierre Etaix m’informe que le procès qui l’oppose, ainsi que Jean-Claude Carrière, à la société Gavroche Productions (qui détient les droits exclusifs d’exploitation de ses films) aura lieu ce vendredi 31 octobre 2008, à 9 heures du matin. L’audience se tiendra à la 3è chambre du tribunal de grande instance de Paris (entrée au 6, Boulevard du Palais).

«Amis cinéphiles, artistes, circassiens, musiciens, comédiens, journalistes, réalisateurs, techniciens du grand et du petit écran, votre présence (certes matinale) témoignera avec force de votre soutien à ces deux grands artistes injustement dépossédés de leurs œuvres. Et puis, à quelques jours des quatre-vingts printemps de Pierre Etaix, venez ! Votre présence sera le plus beau des cadeaux d’anniversaire».

C’est donc le moment de témoigner, par notre présence, de notre attachement au respect de l’oeuvre de Pierre Etaix, et notre désir profond de revoir ses films au plus vite.

Pour plus d’informations : lesfilmsdetaix@gmail.com

En souvenir de Jacques Doniol-Valcroze

lundi 27 octobre 2008

Jeudi dernier, Nicole Berckmans-Doniol-Valcroze est venue m’interviewer à propos de son défunt mari, Jacques Doniol-Valcroze. Monteuse et réalisatrice, elle entreprend un documentaire sur cet homme disparu le 6 octobre 1989, et malheureusement oublié.

Doniol est mort dans des conditions à peine croyables, alors qu’il assistait à la projection d’un film de télévision dans le cadre du FIPA (festival de télévision, dont il était cette année-là le président du jury). La scène se déroule à Cannes dans la salle où se tient chaque année en mai le Festival de Cannes. Le film qu’il est en train de regarder, avant de succomber à une rupture d’anévrisme, est réalisé par Serge Leroy, Une saison de feuilles. Jacques Doniol-Valcroze y interprétait, aux côtés de Delphine Seyrig et Evelyne Bouix, le rôle d’un réalisateur… C’est à ne pas y croire : mourir en regardant un film dans lequel on joue soi-même le rôle d’un cinéaste, alors qu’on a longtemps été critique de cinéma (rappelons que Doniol-Valcroze fonda en 1951 les Cahiers du cinéma avec son ami André Bazin), puis réalisateur, relève de la fiction pure. Ou de la mise en abyme. C’est pourtant la vérité. Doniol n’avait que soixante-neuf ans.

Si Nicole Berckmans est venue m’interroger, c’est pour que je lui parle du Doniol-Valcroze que j’ai connu, il y a plus de trente ans, lorsque je faisais mes débuts comme critique et rédacteur aux Cahiers du cinéma. C’était en 1974. Fin de la période dite maoïste des Cahiers du cinéma. C’est une chance que j’ai pu connaître Jacques, qui n’aurait jamais dû être encore là. Quoique n’écrivant plus depuis des années, il était encore gérant et directeur de la publication. Tout le paradoxe, disons la dimension comique de la période la plus mouvementée, la plus radicale, la plus absurde aussi de cette revue, c’est que Doniol en ait encore été le gérant. « Si quelqu’un doit aller en prison, disait-il, en cas de plaintes ou de litiges, je préfère que ce soit moi ». Jacques avait un incroyable sens de l’humour et de la dérision.

Pour comprendre ce paradoxe, il faut remonter à la séquence précédente, celle qui, en octobre 1969, amène à un conflit ouvert entre la rédaction des Cahiers et le propriétaire, Daniel Filipacchi. Ce dernier, n’étant plus d’accord avec l’orientation rédactionnelle, décide de « faire grève », empêchant la parution du mensuel. Branle-bas de combat. Truffaut et Doniol mobilisent leurs amis et rachètent le titre à Filipacchi. La revue ne paraît pas entre novembre 69 et mars 70. Lorsque la revue paraît à nouveau, en mars 70, Doniol en est le directeur de la publication. Et il va le rester jusqu’en octobre 1978, date à laquelle nous lui avons succédé, Serge Daney et moi. Durant presque toutes ces années soixante-dix, il a continué d’assumer son rôle, protégeant en quelque sorte la revue contre elle-même, et contre ses dérives ultra gauchistes, alors qu’il n’en partageait aucun des partis pris.    

Il y a là une part d’insouciance, à n’en pas douter. J’y vois davantage le sens de la continuité et la fidélité aux origines.

C’est lui, Doniol, qui avait inventé le titre Cahiers du cinéma ; il nous avait d’ailleurs dit que cela n’avait emballé personne, à l’origine. Extraits de son journal :

Moi : Je propose : « Cahiers du cinéma ».

Bazin : Hum…

Keigel : Pourquoi : cahiers ?

Moi : Pourquoi pas ?

Keigel : C’est un truc d’écolier, pas un titre de journal.

Moi : Un cahier, c’est un assemblage de feuilles de papier réunies ensemble. Eh bien, nous, nous réunirons des feuilles sur le cinéma.

Bazin : Hum… évidemment, ce n’est pas un titre répandu.

Moi : Il y a eu les « Cahiers de la Pléiade » à la NRF.

Bazin : Il y a eu les « Cahiers de la Quinzaine » de Péguy.

Keigel : Ah…

Moi : Alors ?

Keigel : Non. Ce n’est pas une bonne idée. Désolé.

Bazin : Je ne suis pas chaud, chaud. Je me demande si… si « Cinématographe » n’est pas mieux.

Keigel : Ça fait scientifique… Pas commode à vendre.

Moi : Donc, vous refusez « Cahiers ».

Bazin : Ben… écoute, Jacques, on va réfléchir, en parler à Lo (Duca)… On a encore quelques jours…

Fin du dialogue. On en est là ».

Doniol partagea avec Bazin la responsabilité éditoriale. Davantage que Bazin, car celui-ci était souvent contraint d’aller soigner en sanatorium du fait de sa santé fragile. Et puis, les « Jeunes Turcs » sont arrivés, les Truffaut, Godard, Rivette et autres. Doniol fut sans doute désarçonné, décontenancé, agacé, par les partis pris critiques de la nouvelle génération. Né en 1920, il avait fait ses humanités – études de droit. Famille bourgeoise et protestante, culture littéraire qui le pousse à devenir écrivain. Un roman parut en 1955 chez Denoël : Les portes du Baptistère, qu’il dédie à son parrain, Philippe Fauré-Frémiet, philosophe et fils du compositeur Gabriel Fauré.  Auparavant, Doniol travaille aux côtés de Jean George Auriol à La Revue du cinéma, publiée par Gaston Gallimard. Auriol meurt lors d’un accident de voiture en 1948. C’est la fin de La Revue du cinéma. Doniol fréquente le Festival du Film Maudit créé à Biarritz par Cocteau, René Clément, Bazin et quelques autres. C’est sans doute là qu’il rencontre pour la première fois le jeune Truffaut, dix-huit ans à peine, protégé par Bazin. Quelques mois plus tard, en avril 1951 paraît le premier numéro des Cahiers, là où La revue du cinéma avait laissé un vide. Doniol et Bazin codirigent la revue. Deux ans plus tard, ils décident d’un commun accord de ne pas faire paraître le brûlot écrit par Truffaut : Une certaine tendance du cinéma français. Ils le jugent trop sévère envers des cinéastes considérés comme amis ou proches des Cahiers tels René Clément, Jean Grémillon ou Yves Allégret. Le texte demeure plusieurs mois dans un tiroir. Jusqu’à ce qu’il paraisse en janvier 1954, créant un choc critique absolument inédit.

Si l’on se reporte à ces Cahiers du cinéma de janvier 1954 (n° 31), il est bon de relire l’éditorial, non signé mais qui, à coup sûr, reflète la position et le style de Jacques Doniol-Valcroze (lequel fait paraître en ouverture de ce même numéro un long texte intitulé Déshabilla
ge d’une petite bourgeoise sentimentale
, consacré à l‘image timoré de la femme dans le cinéma français). Que dit cet éditorial ? Il dit exactement ceci : « On nous accusera peut-être d’injustice ou de lèse-majesté à l’égard de certains des artisans les plus réputés du cinéma. Et certes, il y a toujours quelque injustice à mettre en jugement le « travail » des autres. C’est pourquoi nous n’entendons pas déprécier ce « travail » ou méconnaître le talent mais, en prenant quelque altitude, connaître des intentions et peser les influences.

Nous acceptons volontiers de voir récuser la forme pamphlétaire de certaines appréciations mais nous espérons qu’au-delà du ton, qui n’engage que les auteurs, et en dépit peut-être de tels jugements particuliers, toujours individuellement contestables et sur lesquels nous sommes loin d’être tous en accord, on reconnaîtra au moins une orientation critique, mieux : le point de convergence théorique qui est le nôtre. »

Doniol-Valcroze sera plus précis, des années plus tard, et surtout plus lucide. Quoique en désaccord avec le texte de Truffaut, il décide avec Bazin de le faire paraître, conscient que ce texte serait décisif pour l’avenir des Cahiers. Toute la position de Doniol-Valcroze se résume là. Tout en n’étant pas d’accord, il assume. Et il permet. Cela lui compliquera la vie, mais il sait que le tournant polémique que prend dès lors la revue la sauve du même coup, en lui assurant un meilleur avenir commercial. Cela n’est pas entièrement de son goût, lui, l’homme cultivé et courtois, en un mot stendhalien ; mais il couvre et va couvrir tout au long de ces années tumultueuses le nouveau courant critique des Cahiers du cinéma.

En 1989, à la mort de Doniol, Eric Rohmer écrivit un beau texte, juste et élégant. Je le cite (Cahiers du cinéma n°425, novembre 1989): « Il avait un vrai talent de diplomate, et aurait pu faire une belle carrière, dans la Carrière avec un grand C, comme Gary ou Régis-Bastide. Il avait toutes les qualités requises : une extrême politesse, une extrême distinction, un art de concilier. Si j’emploie le mot diplomate, c’est sans connotation péjorative : il n’y avait rien de rusé ni d’hypocrite chez lui. Cette tolérance faisait qu’il savait parler aux gens, elle lui permettait d’aimer des choses très différentes de lui. Son ami Pierre Kast, avec qui il partageait beaucoup d’idées, était plus dogmatique. Il avait une très grande amitié pour Truffaut, ainsi que pour Godard dont, je crois, il connaissait la famille.

Diplomate et courtois, élégant et plein d’humour, généreux et gros travailleur (durant des années, c’est lui qui fabriquait les Cahiers, avec l’aide de sa première femme, Lydie Mahias), écrivain au style stendhalien, cinéaste (L’Eau à la bouche, Le Viol, La Dénonciation, La Maison des Bories ou encore L’Homme au cerveau greffé), et homme de télévision, acteur dans de nombreux films (chez Kast et Robbe-Grillet, entre autres), signataire du « Manifeste des 121 » pendant la Guerre d’Algérie, mendésiste sur le plan des idées politiques, défenseur de Langlois, fondateur en 1968 de la SRF et l’année suivante de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, Jacques Doniol-Valcroze était un véritable honnête homme. Ce qu’il a fait tout au long de sa vie mérite d’être redécouvert. J’ai eu la chance de le connaître et de l’apprécier. Plus que ça : je l’ai aimé.

 

 

 

Guillaume le conquérant

mardi 14 octobre 2008

C’est hier, entre 18h15 et 18h30, à la Cinémathèque française. Jour de fête avec la visite privée de l’exposition consacrée à Dennis Hopper, aux côtés de la ministre de la culture, Christine Albanel. En avant goût de l’ouverture de cette belle exposition. Dennis et Victoria Hopper, leur fils Henry, Julian Schnabel, Costa Gavras, Jean-Paul Rappeneau, Véronique Cayla, Bertrand Méheut, Agnès b., Pierre Rissient, Jean-Michel Arnold, Martine Offrroy, Sophie Seydoux, et beaucoup d’autres amis et personnalités. Et puis, la nouvelle commence à circuler tout bas : Guillaume Depardieu est mort ! Quelque chose comme le temps qui s’arrête. Dans l’euphorie d’une visite d’exposition, mélange de cohue et de plaisir, où chacun tente de se frayer un chemin parmi les caméras et les photographes, un véritable coup d’arrêt. A quoi bon ces rites, si l’on sait qu’ailleurs dans la ville, à Paris ou pas loin, un drame vient de se produire, qui nous touche et qui foudroie des gens, une famille, des personnes que l’on estime et admire. Les Depardieu.

Des quatre Depardieu, Guillaume était le seul que je ne connaissais pas. Mais je connaissais comme vous l’acteur. Et l’acteur était peut-être la meilleure partie de lui-même. Un être de chair et de sang, à vif. Un écorché. Il n’avait suivi aucune école de jeu, sauf celle qui consiste à se heurter aux murs, la tête en avant. Parcours atypique au possible, du genre à vous éviter à tout jamais la moindre tentation académique. Sa « méthode » – elle n’appartenait qu’à lui – a donné de beaux résultats. Car mine de rien, en moins de vingt ans à peine : une vraie filmographie. Quelques belles fidélités : Pierre Salvadori, Leos Carax, Josée Dayan… Un film unique : Ne touchez pas à la hache de Jacques Rivette. Le dernier film que j’ai vu de Guillaume Depardieu était réalisé par Pierre Schoeller : Versailles (sorti tout récemment). Premier film impressionnant, avec des personnages venus d’un autre monde. Des mutants. Ou alors des qui vivent totalement en marge du monde, dans la forêt, et qui s’inventent leurs propres règles. Chaque fois qu’ils essaient de passer de l’autre côté, de quitter l’âge de pierre pour revenir vers nous, quelque chose de plus fort qu’eux les en empêche. Beau film sombre.

Guillaume Depardieu était un enfant de Jean Cocteau. Un enfant terrible, et un chevalier sur sa monture. Erreur de paternité. On a trop dit de choses mesquines sur ses relations difficiles avec son père, notre grand Gérard. Pas envie de me mêler de cela. C’est leur histoire. J’aime trop les Depardieu, Gérard, Elisabeth et Julie, ces enfants de la balle pour… Juste envie de les serrer dans mes bras. Dans nos petits bras ridicules de cinéphiles.

Dennis Hopper, l’ami américain

samedi 11 octobre 2008

 

Il est là. Il est parmi nous depuis le début de la semaine. Il vient chaque jour à la Cinémathèque française, monte directement au 5è étage dans l’espace réservé aux expositions temporaires. Après y avoir passé quelques longs moments, concentré sur l’accrochage des œuvres qui dessinent le parcours de l’exposition qui lui est consacrée, il redescend au rez-de-chaussée, croise des spectateurs qui fréquentent la Cinémathèque (et qui souvent n’en croient pas leurs yeux), pour se rendre dans un espace aménagé où il répond aux interviews de journalistes.

Dennis Hopper est à Paris depuis lundi dernier. Il est avec nous pour une quinzaine de jours, et il se donne à fond, avec un calme et une sérénité qu’il communique avec un regard doux et bleu, et une grande gentillesse. Le chantier de cette exposition est très actif, mais tout sera achevé dans les temps, c’est-à-dire ce week-end. Tout le monde s’affaire aujourd’hui encore autour de Dennis Hopper et de Matthieu Orléan, le commissaire de l’exposition. L’efficace équipe de production de la Cinémathèque réunie autour de Christine Drouin : Béatrice Abonyi, Fred Savioz en charge de l’audiovisuel (il y a plusieurs écrans dans cette expo, comme on peut s’en douter) ; l’équipe de la société LPA chargée de l’accrochage des oeuvres ; les peintres et la déco, les éclairagistes, etc. Il n’y a rien de plus excitant que de voir une exposition en train de se faire, au moment de l’accrochage. Cela ressemble assez à un tournage de film. Ici un peintre donne les derniers coups de peinture pour harmoniser l’ensemble du décor ; là on perce des trous pour accrocher une série de photographies en noir et blanc, magnifiques, réalisées par Dennis Hopper à partir des années soixante. On reconnaît Paul Newman, Dean Stockwell, Robert Rauschenberg, Roy Lichtenstein, Jane Fonda, Martin Luther King, Jasper Johns ou encore James Brown. Avant-hier, jeudi dans l’après-midi, alors qu’il est en plein travail, nous offrons à Dennis Hopper le premier exemplaire du catalogue qui vient d’être coédité par la Cinémathèque avec les éditions Skira Flammarion. Dennis Hopper l’ouvre avec précaution, le feuillette, il est ravi : l’impression est belle, la photogravure impeccable. Bel ouvrage.

Le plus dur aura été d’accrocher hier un immense billboard, ces huiles sur bâche en vinyle sur lesquelles Dennis Hopper reproduit quelques-unes de ses plus célèbres photos : un portrait de son ami Andy Warhol, un autre d’Ed Ruscha, son ami peintre qui vit comme lui à Venice, Californie. Celle qui demande le plus de travail à l’équipe de LPA s’intitule : Factory (Multi Image of Woman’s Face), très colorée. Sur les murs voisinent des oeuvres incroyables de Warhol, Lichtenstein, Robert Longo, Viggo Mortensen, David Salle, Rauschenberg, Ed Ruscha, Wallace Berman, un tableau de Franz Kline (Orleans, 1959) prêté par le musée d’Art contemporain de Los Angeles ; des peintures de Hopper des années récentes, et bien sur des écrans sur lesquels sont projetés des extraits de films, ceux qu’il a réalisés, et ceux dans lesquels il a joué – la liste est longue.

La scénographie a été confiée à Nathalie Crinière (Agence NC), assistée d’Hélène Lecarpentier : élégante, permettant une circulation fluide à travers différents espaces dévolus à un parcours proposé par Matthieu Orléan. Ce qui transparaît dans cette exposition, ce sont les différentes strates de la vie de Dennis Hopper, cette traversée de l’Amérique à différentes époques de son histoire, le parcours depuis sa jeunesse (beaucoup de photos et de documents s’y rapportent : les années cinquante de ses débuts au cinéma), avec des moments forts : La Fureur de vivre, le film de Nicholas Ray où il côtoie son ami James Dean, Easy Rider, le film mythique qui marque l’avènement du nouvel Hollywood, L’Ami américain, Apocalypse now, Blue Velvet, The Blackout, etc.. En un mot, ses rencontres décisives avec Wenders, Coppola, Lynch, Ferrara, et beaucoup d’autres cinéastes. La force de Dennis Hopper, c’est qu’à chaque foi il semble renaître, survivre aux expériences limites tel un acteur doué pour les métamorphoses, frôlant tous les dangers pour réapparaître dans d’autres paysages ou d’autres espaces, à la fois transfiguré et pourtant fidèle à lui-même.

Cette exposition témoigne, œuvres et preuves à l’appui, d’une capacité inouïe de vivre et de survivre, porté par une force intérieure que cet homme a su calmer, endiguer, pour la mettre tout entière au service de son art et de son goût des rencontres.

Bref rappel. Au printemps 2006, Dennis Hopper était venu visiter l’exposition consacrée à Pedro Almodovar à la Cinémathèque. Elle lui avait plu. Il avait aussi beaucoup aimé la scénographie. Nous lui avions présenté Nathalie Crinière, et il était clair pour Dennis Hopper que ce serait elle qui assumerait la sienne, au moment où notre projet prendrait corps. « Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood ». L’ouverture au public est prévue mercredi prochain, le 15 octobre.

Comment tout cela est-il arrivé ? J’ai rencontré Dennis Hopper il y a quelques années, grâce à mon ami Pierre Edelman. Nous étions à Los Angeles, Nicolas Saada et moi, pour interviewer David Lynch pour les Cahiers du cinéma (sur son film The Straight Story). Nous avions pu nous rendre sur le tournage de Space Cowboy que Clint Eastwood tournait dans un des studios de Warner. En vérifiant auprès de Nicolas Saada, c’était plus précisément en octobre 1999. Un voyage incroyable. Pierre Edelman nous demande de l’accompagner à une soirée chez Hopper donnée pour l’anniversaire de sa femme Victoria. Ne connaissant personne, j’ai passé mon temps le nez en l’air à regarder les nombreuses toiles accrochées aux murs de la grande maison située à Venice. Des Warhol, un magnifique Basquiat, des peintures de son ami Julian Schnabel, d’autres d’Ed Ruscha, un magnifique ready made cosigné par Dennis Hopper et Marcel Duchamp (Hopper avait rencontré Duchamp lors d’une exposition à Pasadena en 1963). Entre autres. Et, posées parterre contre les murs, des dizaines et des dizaines de photos les unes contre les autres. Dans les toilettes, une photo absolument mythique : assis côte à côte sur un grand lit, Dennis Hopper, John Huston et John Ford (cette photo sera dans l’expo de la Cinémathèque). Je suis revenu à Paris avec l’idée d’organiser, un jour ou l’autre, une exposition dédiée à Dennis Hopper.

Le temps a fait son travail. Quelques années plus tard je suis retourné à Venice chez Dennis Hopper, avec Pierre Edelman, et avec Matthieu Orléan à qui je voulais confier le rôle de commissaire d’exposition. Même accueil chaleureux et amical, confiant. Et le travail a commencé, pas à pas, pour aboutir à cette exposition que vous allez pouvoir découvrir dans trois jours.

Ce qui me plaît dans cette aventure c’est d’abord la rencontre avec un homme, un acteur, un cinéaste, un artiste. Ce qu’on appelle une légende du cinéma américain. Vu de plus près, c’est avant tout la disponibilité de Dennis Hopper qui m’enchante. Il nous l’a dit, il est très fier de cette exposition, honoré qu’elle ait lieu en France, à Paris, à la Cinémathèque française. Dans sa bouche ces mots ont une valeur. J’ai le sentiment que nous avons eu cette chance, cette opportunité de le croiser un jo
ur sur notre chemin, et que, par le travail effectué avec lui, agréable et amical, une fenêtre s’est ouverte sur une dimension importante du cinéma contemporain. Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood : ce n’est pas rien de faire se croiser dans l’espace d’une exposition autant d’œuvres qui mêlent la photographie, les arts plastiques, le cinéma, la musique, les objets et documents, où se jouent à la fois l’incroyable trajectoire d’un homme et un moment si particulier et intense de la modernité artistique.

« Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood » : l’exposition ouvre le 15 octobre et dure jusqu’au 19 janvier 2009 à la Cinémathèque française (avec le mécénat de CANAL +). En parallèle : une programmation de films de et avec Dennis Hopper.

Dennis Hopper donnera une conférence de presse à la Cinémathèque lundi 13 octobre à 11 heures. Il sera également présent mercredi à 17h30 à la Fnac des Ternes pour une rencontre avec le public, puis à 20 heures à la Cinémathèque pour présenter Out of the Blue (copie neuve tirée grâce au partenariat technique de la Fondation Thomson). Présent encore vendredi 17 octobre à 19 heures à la Cinémathèque, avec Wim Wenders, pour une discussion qui suivra la projection de L’Ami américain. Enfin, samedi 18 octobre à 14h30, Dennis Hopper donnera une « Leçon de cinéma » (salle Langlois).

Lola, toujours plus haut, à New York

mercredi 8 octobre 2008

Quelques mots à propos de la projection de Lola Montès, qui s’est tenue samedi 4 octobre à 11h15 dans la matinée au Ziegfeld Theatre, une belle salle de 1200 places au style légèrement rococo. Environ un millier de spectateurs assistent à la projection (parmi lesquels Jonathan Demme et Pedro Almodovar).

Richard Peña, directeur du New York Film Festival, présente le film, rejoint sur scène par Andrew Sarris, critique de cinéma très connu dont on fête les quatre-vingts ans. Lorsque le vieil homme apparaît, la salle se lève pour une standing ovation. Sarris fut un critique important à partir des années soixante aux Etats-Unis, l’un de ceux qui « importa » la politique des auteurs made in France. Il fut aussi à l’origine de la publication d’une édition américaine des Cahiers du cinéma dans ces mêmes années, qui ne fut malheureusement qu’éphémère. « Lola Montès is in my unhumble opinion the greatest film of all time, and I am willing to stake my critical reputation, such as it is, on this one proposition above all others », a t-il déclaré. Il évoque sa première vision du film, en 1961 à Paris, puis demande à ceux qui n’avaient jamais vu le film d’Ophuls de lever la main, découvrant qu’une large majorité des spectateurs présents s’apprêtent à découvrir Lola Montès. Puis Sarris osa une comparaison très paradoxale entre Lola Montès et Sarah Palin, deux femmes creuses devenues des emblèmes publiques. Rires dans la salle.

Durant la projection, j’ai trouvé le public new-yorkais très réactif, riant souvent ; on sentait presque physiquement que le film passait bien. Ensuite, Laurence Braunberger, Andrew Sarris, Richard Peňa et moi avons participé à un « Q and A », qui dura un peu plus d’une demi-heure. Questions sur la restauration et sur les différentes versions du film, sur l’accueil critique de Lola Montès à sa sortie en 1955, sur le rôle de Truffaut critique, etc. De toutes les projections auxquelles j’ai assisté depuis la restauration du film, celle de New York m’a paru la plus vibrante. Bon augure pour la suite.

Lola Montès est-elle aussi creuse que Sarah Palin ? Le débat est intéressant. Je me contenterai de parler de Lola Montès, que je connais mieux que la colistière de John McCain. Lola Montès est un phénomène de foire, une femme à scandales qu’on exhibe dans un cirque – et il est important de souligner que ce cirque, le Mammoth Circus, est américain. Les spectateurs qui assistent à la représentation où l’on dévoile, scène après scène, les différents épisodes de la vie de
la Comtesse Lola, payent en dollars. La Lola que nous découvrons au début du film est une femme usée, fatiguée, malade. Elle n’a plus la splendeur de sa jeunesse, et sa beauté est fanée. Le film de Max Ophuls s’ouvre avec cette dimension-là, profondément mélancolique. Tout le film oscille dès lors entre la fausse énergie d’une représentation rythmée, découpée en autant de tableaux vivants qu’il y a d’épisodes marquants et de scandales dans la vie de cette femme, et la tristesse même du spectacle d’une femme vaincue, résignée à donner de sa vie une représentation marchande. Le personnage interprété par Peter Ustinov est essentiel, car il est celui qui s’adresse directement au spectateur, tout en parlant à voix basse, en aparté, à Lola. Ustinov est une sorte de « passeur » entre l’écran et la salle, entre le cirque et les spectateurs qui assistent à ce triste spectacle. Il est le narrateur, celui qui, à coups de fouet, donne au film son rythme, et souvent son faux rythme. Vous allez voir ce que vous allez voir !… Eh bien, ce que l’on voie, c’est une femme au bout du rouleau. Le film consiste en une entreprise de re-mise en scène, donnant de manière volontaire, presque mécanique, l’illusion d’une vie pleine de splendeur. Lola Montès, c’est grandeur et décadence d’une courtisane. Une scène, parmi les plus belles du film (et elles sont nombreuses) m’est apparue toujours aussi mystérieuse : celle où, dans un flash back, Peter Ustinov vient chez Lola pour tenter de l’engager dans son cirque. Elle refuse la proposition, il lui laisse sur une table un contrat prêt à être signé. Et elle lui dit à peu près cette phrase : « Ne soyez pas aussi bête que les autres ». Soudain, par cet abyme, nous découvrons une Lola Montès lucide, intelligente, sachant parfaitement quel est son rôle et comment les hommes l’utilisent en la mettant au centre de la société du spectacle.

Andrew Sarris, lors du « Q and A », prit la défense de Martine Carol, actrice principale du film d’Ophuls. On sait que ce n’est pas l’avis de tous, d’aucuns lui reprochant d’être inexpressive, peu sexy, et trop ordinaire pour interpréter ce rôle magnifique pour lequel on imaginerait une Ava Gardner. Sarris plaida en faveur de Martine Carol, en se servant d’un seul argument : elle est au diapason d’un personnage ordinaire plongé dans une vie extraordinaire. Il est de toutes les manières impossible de revenir sur le choix d’Ophuls. Tout juste peut-on s’interroger sur le fait de savoir si Martine Carol ne faisait pas partie du « deal » ou de la commande passée à Ophuls, de réaliser un film à gros budget (environ 700 millions de francs de l’époque), avec une actrice très populaire et sur un sujet pouvant s’approcher du mélodrame. Ce qui est évident à revoir le film, c’est que l’intérêt ou le plaisir d’Ophuls se porte autant, pour ne pas dire plus, sur la mise en place des dispositifs scéniques – tour à tour : tableaux vivants, longues séquences en flash back, ou scènes en temps réel dans le cirque – que sur le « focus » sur Lola Montès dont il est censé dessiner le portrait. C’est cette mécanique, à double détente et dont les rouages sont complexe, qui fait aussi la beauté mystérieuse de Lola Montès. A la toute fin, le personnage féminin est figé, momifié, la caméra s’éloigne lentement dans un travelling arrière : les gens font la queue pour payer, pour toucher cette femme momifiée. Pas pour cent dollars, par pour dix dollars. Pour un seul dollar. C’est-à-dire pour rien.

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Biden against Palin

samedi 4 octobre 2008

Hier soir, j’ai regardé dès 21 heures, heure de New York, le débat qui opposait les deux candidats à la vice-présidence américaine. D’un côté la Gouverneur Sarah Palin, de l’autre le Sénateur Joseph R. Biden. C’était un peu particulier. Arrivé à mon hôtel à 19h, je dépose mes affaires et descends illico dans la rue, sur Central Park. Je vais boire un verre au coin de la 6th Avenue. Par la vitre j’aperçois Olivier Assayas, de l’autre côté de la rue, en train de téléphoner. Le hasard fait qu’il est justement en train d’essayer de me joindre. Heureuse coïncidence. Ensemble nous allons retrouver Jean-Pierre Gorin, Kent Jones et d’autres amis. La soirée commence à prendre forme.

Le New York Film Festival (ce pour quoi les uns et les autres nous sommes là) programme à 21h le film d’Olivier Assayas, L’Heure d’été. C’est la deuxième projection du film dans le cadre du festival, la première s’est très bien passée, le film plaît beaucoup (sortie prévue en mars prochain aux Etats-Unis). Pendant la projection, il est prévu que nous regardions en compagnie d’autres amis du festival le fameux débat des colistiers. Générique de l’émission, plan sur la scène vide, les deux pupitres sont placés de part et d’autre. Mise en scène très classique, une journaliste, installée au centre, pose des questions tour à tour à l’un puis à l’autre des deux colistiers. Le thème central concerne l’économie, la crise financière, la guerre en Irak. Temps de parole également répart. Mais l’on note que les premières questions sont posées à Joseph Biden, ce qui laisse à Sarah Palin une minute à peine (de répit) pour caler son speech. Elle regarde fixement la caméra, comme une automate, tandis que Joseph Biden s’adresse à la journaliste (regard en biais). Il mettra du temps à modifier l’axe de son regard, pour s’adresser directement à la caméra, cet œil froid par lequel des millions et des millions d’Américains sont pris à témoin. Sarah Palin, à force de regarder fixement la caméra, dégage quelque chose de scolaire ; elle sourit à peu près tout le temps, mais son sourire n’a rien d’engageant. Elle semble demander par avance qu’on l’excuse, au cas où sa langue fourcherait ou si elle venait à mal prononcer le nom d’un dirigeant étranger, ou même d’un commandant militaire américain en Afghanistan (ce qu’elle fit !). Toute sa stratégie consiste à éviter les faux-pas. Elle y parvient semble-t-il, et c’est tout le sens de sa campagne sur le thème : je suis une femme simple issue de la middle class, j’élève mes enfants, je dirige un État telle une bonne ménagère, je suis prêt à assumer mes responsabilités au plus haut niveau aux côtés de John McCain…

Voici ce qu’écrit ce vendredi matin le New York Times à la une : « Gov. Sarah Palin made it through the vice-presidential debate on Thursday without doing any obvious damage to the Republican presidential ticket. By surviving her encounter with Senator Joseph R. Biden Jr and quelling  some of the talk about her basic qualifications for high office, she may even have done Senator John McCain a bit of good, freeing him to focus on the other troubles shadowing his campaign. » Sarah Palin a donc sauvé les meubles. Pour le camp républicain, c’est donc une victoire. Pour eux, ne pas perdre équivaut à gagner, c’est dire. Car Sarah Palin a enchaîné bévue sur bévue, ces derniers jours, souvent prise de cours par les rebondissements quotidiens de la crise financière. Pour beaucoup d’Américains, le fait que la colistière de McCain n’ait aucune expérience du monde, qu’elle n’ait à peu près jamais mis les pieds en dehors de son Alaska, puisse devenir la vice-présidente d’un si grand pays, serait purement catastrophique. En face, Joseph R. Biden apparaît comme un bon routier de la politique américaine, élégant et courtois, n’hésitant pas montrer son éclatant sourire. Il manie et surtout martèle des chiffres, attaque la politique de Bush en Irak, au Pakistan et en Afghanistan, en pointant les connivences entre Bush et McCain. Au fur et à mesure que le débat se poursuit, j’ai eu le sentiment qu’il prenait l’ascendant sur elle. Bref, qu’il gagnait aux points. Mais rien n’est fini, il reste encore un mois de campagne avec les élections du 4 novembre. Pour le moment, Barack Obama tient la corde, mais son avance sera-t-elle suffisante ? C’est toute la question. En revenant vers mon hôtel, je croise Pedro Almodovar sur la 6th Avenue en compagnie de son frère AgustÌn et de quelques amis. En pleine forme, il vient de terminer son nouveau film, Los abrazos rotos. Il me promet de venir voir Lola Montès samedi matin.

Qu’est-ce que je fais à New York ? Je réponds volontiers à cette question qu’aucun de mes fidèles internautes ne me pose. Je suis là parce que Lola Montès est présenté samedi 4 octobre au Ziegfeld Theatre, dans le cadre du New York Film Festival. Laurence Braunberger et moi avons d’abord fait un détour par Los Angeles, où le film de Max Ophuls était présenté mercredi 1er octobre dans la magnifique salle de la Directors Guild of America. 300 spectateurs environ. Discours d’ouverture de Michael Mann, puis de Howard  A. Rodman de la Writers Guild, puis de David Martinon, le Consul général de France à Los Angeles. Enfin nous trois : Séverine Wemaere de la Fondation Thomson, Laurence Braunberger (dont le père, Pierre Braunberger, avait acquis les droits du film d’Ophuls en 1966) et moi-même. La restauration de Lola Montès a été possible grâce au concours du Fonds Culturel Franco-Américain, qui recouvre la Directors Guild, la Writers Guild, la Motion Picture Association et la Sacem. A ce titre il était tout à fait normal de présenter le film à la DGA, en avant-première américaine. La meilleure nouvelle, c’est que Lola Montès sort en salle dans une dizaine de villes américaines, et ce, dès le 10 octobre. Le distributeur est Rialto Pictures, qui jouit d’une excellente réputation. Le film sera à l’affiche au Film Forum, une des meilleures salles de NY, pendant quatre semaines. Tout s’annonce bien pour la carrière américaine du film. Je rappelle que Lola Montès sort à Paris le 3 décembre.