Archive pour le 11.10.2008

Dennis Hopper, l’ami américain

samedi 11 octobre 2008

 

Il est là. Il est parmi nous depuis le début de la semaine. Il vient chaque jour à la Cinémathèque française, monte directement au 5è étage dans l’espace réservé aux expositions temporaires. Après y avoir passé quelques longs moments, concentré sur l’accrochage des œuvres qui dessinent le parcours de l’exposition qui lui est consacrée, il redescend au rez-de-chaussée, croise des spectateurs qui fréquentent la Cinémathèque (et qui souvent n’en croient pas leurs yeux), pour se rendre dans un espace aménagé où il répond aux interviews de journalistes.

Dennis Hopper est à Paris depuis lundi dernier. Il est avec nous pour une quinzaine de jours, et il se donne à fond, avec un calme et une sérénité qu’il communique avec un regard doux et bleu, et une grande gentillesse. Le chantier de cette exposition est très actif, mais tout sera achevé dans les temps, c’est-à-dire ce week-end. Tout le monde s’affaire aujourd’hui encore autour de Dennis Hopper et de Matthieu Orléan, le commissaire de l’exposition. L’efficace équipe de production de la Cinémathèque réunie autour de Christine Drouin : Béatrice Abonyi, Fred Savioz en charge de l’audiovisuel (il y a plusieurs écrans dans cette expo, comme on peut s’en douter) ; l’équipe de la société LPA chargée de l’accrochage des oeuvres ; les peintres et la déco, les éclairagistes, etc. Il n’y a rien de plus excitant que de voir une exposition en train de se faire, au moment de l’accrochage. Cela ressemble assez à un tournage de film. Ici un peintre donne les derniers coups de peinture pour harmoniser l’ensemble du décor ; là on perce des trous pour accrocher une série de photographies en noir et blanc, magnifiques, réalisées par Dennis Hopper à partir des années soixante. On reconnaît Paul Newman, Dean Stockwell, Robert Rauschenberg, Roy Lichtenstein, Jane Fonda, Martin Luther King, Jasper Johns ou encore James Brown. Avant-hier, jeudi dans l’après-midi, alors qu’il est en plein travail, nous offrons à Dennis Hopper le premier exemplaire du catalogue qui vient d’être coédité par la Cinémathèque avec les éditions Skira Flammarion. Dennis Hopper l’ouvre avec précaution, le feuillette, il est ravi : l’impression est belle, la photogravure impeccable. Bel ouvrage.

Le plus dur aura été d’accrocher hier un immense billboard, ces huiles sur bâche en vinyle sur lesquelles Dennis Hopper reproduit quelques-unes de ses plus célèbres photos : un portrait de son ami Andy Warhol, un autre d’Ed Ruscha, son ami peintre qui vit comme lui à Venice, Californie. Celle qui demande le plus de travail à l’équipe de LPA s’intitule : Factory (Multi Image of Woman’s Face), très colorée. Sur les murs voisinent des oeuvres incroyables de Warhol, Lichtenstein, Robert Longo, Viggo Mortensen, David Salle, Rauschenberg, Ed Ruscha, Wallace Berman, un tableau de Franz Kline (Orleans, 1959) prêté par le musée d’Art contemporain de Los Angeles ; des peintures de Hopper des années récentes, et bien sur des écrans sur lesquels sont projetés des extraits de films, ceux qu’il a réalisés, et ceux dans lesquels il a joué – la liste est longue.

La scénographie a été confiée à Nathalie Crinière (Agence NC), assistée d’Hélène Lecarpentier : élégante, permettant une circulation fluide à travers différents espaces dévolus à un parcours proposé par Matthieu Orléan. Ce qui transparaît dans cette exposition, ce sont les différentes strates de la vie de Dennis Hopper, cette traversée de l’Amérique à différentes époques de son histoire, le parcours depuis sa jeunesse (beaucoup de photos et de documents s’y rapportent : les années cinquante de ses débuts au cinéma), avec des moments forts : La Fureur de vivre, le film de Nicholas Ray où il côtoie son ami James Dean, Easy Rider, le film mythique qui marque l’avènement du nouvel Hollywood, L’Ami américain, Apocalypse now, Blue Velvet, The Blackout, etc.. En un mot, ses rencontres décisives avec Wenders, Coppola, Lynch, Ferrara, et beaucoup d’autres cinéastes. La force de Dennis Hopper, c’est qu’à chaque foi il semble renaître, survivre aux expériences limites tel un acteur doué pour les métamorphoses, frôlant tous les dangers pour réapparaître dans d’autres paysages ou d’autres espaces, à la fois transfiguré et pourtant fidèle à lui-même.

Cette exposition témoigne, œuvres et preuves à l’appui, d’une capacité inouïe de vivre et de survivre, porté par une force intérieure que cet homme a su calmer, endiguer, pour la mettre tout entière au service de son art et de son goût des rencontres.

Bref rappel. Au printemps 2006, Dennis Hopper était venu visiter l’exposition consacrée à Pedro Almodovar à la Cinémathèque. Elle lui avait plu. Il avait aussi beaucoup aimé la scénographie. Nous lui avions présenté Nathalie Crinière, et il était clair pour Dennis Hopper que ce serait elle qui assumerait la sienne, au moment où notre projet prendrait corps. « Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood ». L’ouverture au public est prévue mercredi prochain, le 15 octobre.

Comment tout cela est-il arrivé ? J’ai rencontré Dennis Hopper il y a quelques années, grâce à mon ami Pierre Edelman. Nous étions à Los Angeles, Nicolas Saada et moi, pour interviewer David Lynch pour les Cahiers du cinéma (sur son film The Straight Story). Nous avions pu nous rendre sur le tournage de Space Cowboy que Clint Eastwood tournait dans un des studios de Warner. En vérifiant auprès de Nicolas Saada, c’était plus précisément en octobre 1999. Un voyage incroyable. Pierre Edelman nous demande de l’accompagner à une soirée chez Hopper donnée pour l’anniversaire de sa femme Victoria. Ne connaissant personne, j’ai passé mon temps le nez en l’air à regarder les nombreuses toiles accrochées aux murs de la grande maison située à Venice. Des Warhol, un magnifique Basquiat, des peintures de son ami Julian Schnabel, d’autres d’Ed Ruscha, un magnifique ready made cosigné par Dennis Hopper et Marcel Duchamp (Hopper avait rencontré Duchamp lors d’une exposition à Pasadena en 1963). Entre autres. Et, posées parterre contre les murs, des dizaines et des dizaines de photos les unes contre les autres. Dans les toilettes, une photo absolument mythique : assis côte à côte sur un grand lit, Dennis Hopper, John Huston et John Ford (cette photo sera dans l’expo de la Cinémathèque). Je suis revenu à Paris avec l’idée d’organiser, un jour ou l’autre, une exposition dédiée à Dennis Hopper.

Le temps a fait son travail. Quelques années plus tard je suis retourné à Venice chez Dennis Hopper, avec Pierre Edelman, et avec Matthieu Orléan à qui je voulais confier le rôle de commissaire d’exposition. Même accueil chaleureux et amical, confiant. Et le travail a commencé, pas à pas, pour aboutir à cette exposition que vous allez pouvoir découvrir dans trois jours.

Ce qui me plaît dans cette aventure c’est d’abord la rencontre avec un homme, un acteur, un cinéaste, un artiste. Ce qu’on appelle une légende du cinéma américain. Vu de plus près, c’est avant tout la disponibilité de Dennis Hopper qui m’enchante. Il nous l’a dit, il est très fier de cette exposition, honoré qu’elle ait lieu en France, à Paris, à la Cinémathèque française. Dans sa bouche ces mots ont une valeur. J’ai le sentiment que nous avons eu cette chance, cette opportunité de le croiser un jo
ur sur notre chemin, et que, par le travail effectué avec lui, agréable et amical, une fenêtre s’est ouverte sur une dimension importante du cinéma contemporain. Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood : ce n’est pas rien de faire se croiser dans l’espace d’une exposition autant d’œuvres qui mêlent la photographie, les arts plastiques, le cinéma, la musique, les objets et documents, où se jouent à la fois l’incroyable trajectoire d’un homme et un moment si particulier et intense de la modernité artistique.

« Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood » : l’exposition ouvre le 15 octobre et dure jusqu’au 19 janvier 2009 à la Cinémathèque française (avec le mécénat de CANAL +). En parallèle : une programmation de films de et avec Dennis Hopper.

Dennis Hopper donnera une conférence de presse à la Cinémathèque lundi 13 octobre à 11 heures. Il sera également présent mercredi à 17h30 à la Fnac des Ternes pour une rencontre avec le public, puis à 20 heures à la Cinémathèque pour présenter Out of the Blue (copie neuve tirée grâce au partenariat technique de la Fondation Thomson). Présent encore vendredi 17 octobre à 19 heures à la Cinémathèque, avec Wim Wenders, pour une discussion qui suivra la projection de L’Ami américain. Enfin, samedi 18 octobre à 14h30, Dennis Hopper donnera une « Leçon de cinéma » (salle Langlois).