Archive pour le 12.05.2010

Cannes, J moins…

mercredi 12 mai 2010

C’est J moins… Comme d’autres, je m’apprête à rejoindre la Côté d’Azur pour l’ouverture du 63è Festival de Cannes. Comme d’autres, j’y vais pour découvrir des films du monde entier, avec l’espoir d’être secoué, excité, émerveillé, inquiété, bouleversé, agacé. Mais ce n’est pas une année comme une autre, du fait que Roman Polanski est prisonnier dans son chalet suisse. Comme chaque année, le Festival de Cannes célèbre le cinéma en grandes pompes, tandis qu’un des cinéastes les plus importants de notre époque, qui obtint il y a quelques années la Palme d’or avec son film Le Pianiste, est assigné à résidence. Et que l’incertitude la plus totale entoure son sort. Tout dépend désormais des autorités suisses. A elles de le livrer pieds et poings liés à la justice américaine, ou de décider de lui redonner enfin sa liberté de mouvement.

Il y a quelques jours dans Le Monde, Milan Kundera, dans un texte bref où chaque mot est pesé, a dit exactement ce que je ressens, depuis l’arrestation le 26 septembre 2009 à Zurich du cinéaste alors qu’il répondait à l’invitation officielle du Festival de Zurich qui devait lui rendre un hommage. Kundera dit ceci : « Pourtant, sans le connaître personnellement, je ne pense, dans les huit derniers mois, à personne d’autre plus qu’à lui. »

J’ai la même appréhension, sachant Roman Polanski enfermé et impuissant, vivant une situation absurde du fait de l’acharnement d’une justice californienne en mal de spectacle. J’ai lu et relu le texte publié par Roman Polanski (Libération du 3 mai 2010, également paru sur le site internet de La Règle du jeu, la revue dirigée par Bernard-Henri Lévy) intitulé « Je ne peux plus me taire ». Texte concis, précis, loyal, d’une incroyable sobriété, dépassionné. Le cinéaste y rappelle avec précision l’engrenage dans lequel il est pris depuis plus de trente ans, les rebondissements et changements d’attitude des différents juges californiens en charge du dossier, leur acharnement à le rouvrir alors que toutes les personnes concernées souhaitent qu’il soit refermé. Coupable et victime.

Faut-il continuer d’être aveugle, faut-il continuer de ne pas lire et ne pas voir où se situe la vérité ? Aujourd’hui même, jour d’ouverture du Festival, un appel de cinéastes qui seront présents avec leurs films cette année à Cannes, à l’initiative de B-H Lévy et Jean-Luc Godard, qui manifestent une fois encore leur soutien à Polanski, qui « en appellent aux autorités helvétiques en les adjurant de ne pas croire sur parole le gouverneur Schwarzenegger et ses procureurs ». Espérons que cet appel sera entendu !

Le festival n’est pas encore ouvert, que déjà il suscite des polémiques qui surviennent ici ou là. Signe que le cinéma est vivant, peut-être dérangeant, et qu’à ce titre il fait réagir. À moins que les journalistes soient en mal de sujets. On optera pour la patience : voyons d’abord les films, les empoignades pour plus tard… Faisant partie du jury « Un Certain Regard » présidé par Claire Denis, me voilà contraint à un « devoir de réserve ». C’est la moindre des choses que de garder son point de vue, pour en débattre sereinement au sein d’une petite communauté de cinq personnes qui s’apprête à vivre ensemble au quotidien durant une douzaines de jours.

Au programme d’« Un Certain Regard », les films de Manoel de Oliveira, Jean-Luc Godard, Hong Sangsoo, Jia Zhangke, Lodge Kerrigan, Pablo Trapero, Hideo Nakata, David Verbeek, Daniel et Diego Vega, Cristi Puiu, Radu Muntean, Àgnes Kocsis, Christoph Hochhäusler, Vikramaditya Motwane, Oliver Schmitz, Fabrice Gobert, Ivan Fund et Santiago Loza, Derek Cianfrance et Xavier Dolan. 19 films à voir en dix jours. Sans compter les autres, en compétition officielle, à la Quinzaine des Réalisateurs, ou encore à la Semaine de la critique : le programme s’annonce chargé. Il y a aussi « Cannes Classics », où la Cinémathèque présentera lundi 17 (0 14h45, salle du 6Oè) la version restaurée du film de Pierre Schoendoerffer, La 317è Section, qui obtient à Cannes en 1965 le prix du meilleur scénario. Initiée par StudioCanal et la Cinémathèque française, avec le soutien du Fonds Culturel Franco-Américain, cette restauration a été supervisée par Raoul Coutard, qui fut le directeur de la photographie de ce film tourné dans des conditions difficiles au Cambodge, et par le réalisateur Pierre Schoendoerffer. On y reviendra.