Archive pour le 17.10.2010

David Lynch, Prince du mystère

dimanche 17 octobre 2010

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Mercredi dernier, ce qui m’a le plus frappé en recevant David Lynch à la Cinémathèque, c’est sa sérénité. Son calme absolu. Et sa grande gentillesse. Il était manifestement heureux d’être là, à l’occasion de l’ouverture de la rétrospective qui lui est consacrée (jusqu’au 1er novembre). Je l’ai senti très détendu, lorsque nous nous sommes installés devant une salle Henri Langlois pleine à craquer, avec un public composé en majorité de jeunes spectateurs qui attendaient avec impatience de l’écouter et de lui poser des questions.

La conversation suivait la projection de ses premiers courts métrages : Six Men Getting Sick (1967), The Alphabet (1968), The Grandmother (1970) et The Amputee (1974). La Cinémathèque avait également programmé un court métrage de 22 minutes réalisé par Lynch en 1988, The Cow-boy and the Frenchman, une commande de Daniel Toscan du Plantier dans le cadre d’une série de films sur le thème Les Français vus par…, conçue pour le Figaro Magazine.

J’avais décidé d’axer cette « leçon de cinéma » sur les débuts de David Lynch, ses années de formation à Philadelphie lorsqu’il étudiait à l’école des Beaux-arts. Le faire parler de son enfance, de son goût pour le dessin, la forme première de son talent artistique. L’acte de naissance du cinéma de David Lynch n’est pas le réalisme, mais tire sa source première du dessin et du montage onirique. D’emblée, le cauchemar, le rêve éveillé, le goût pour le mystère. Et bien sûr l’enfance. L’être humain chez Lynch appartient à une forme dessinée qui lui préexiste. « Quand j’étais petit, je dessinais et je peignais tout le temps… je dessinais surtout des munitions, des pistolets et des avions de guerre… mon sujet favori, c’était les mitrailleuses Browning Automatic à refroidissement à eau », dit-il dans le passionnant livre d’entretiens mené par Chris Rodley (éditions Cahiers du cinéma).

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David Lynch & Serge Toubiana

Pendant plus d’une heure, David Lynch a parlé avec précision et chaleur de cette période de sa vie où le cinéma n’occupait pas encore une place centrale. Peu à peu, l’image fixe devient une image mouvement. Ce phénomène, Lynch l’a ressenti physiquement, émotionnellement, et il s’est laissé entraîné. Cela l’a mené à poursuivre une œuvre parmi les plus importantes et les plus singulières de notre temps. Le moment où il a parlé de sa première caméra 16mm, puis de l’achat d’une Bolex, objet sacré découvert en vitrine d’une boutique à Philadelphie, était particulièrement savoureux. Il évoqua aussi sa première bourse, obtenue auprès de l’American Film Institute, d’un montant de 7200 dollars, qui lui permit la réalisation de The Grandmother : première reconnaissance de la part d’une institution dédiée au cinéma. Ses peintres de prédilection sont Bacon et Edward Hopper (ce dernier pour ses cadrages cinématographiques). À ma question sur l’influence du surréalisme, David Lynch répond en citant Magritte, mais sans trop approfondir. Il n’en demeure pas moins que toute son œuvre est traversée par une idée forte, une obsession des mondes parallèles ou des surfaces parallèles. « Il y a de la bonté dans les ciels bleus et les fleurs, mais une autre force – une douleur folle et une pourriture – accompagne toute chose dans le même temps », dit-il à Chris Rodley. Ce qui frappe chez Lynch, c’est son goût pour les idées, sa croyance première dans l’idée : l’idée vient d’elle même, et elle est source d’une œuvre à venir. D’une matière en devenir. Cette dimension poétique et métaphysique est chez lui intacte, cela se sentait très fort lors de cette conversation publique.

Si David Lynch séjourne si régulièrement à Paris, c’est pour une raison simple. Voilà trois ans qu’il est tombé amoureux d’un lieu, la galerie Idem, une imprimerie d’art sise rue du Montparnasse. Ce lieu est magique, habité. Demeuré intact, malgré le passage du temps. Quand vous y pénétrez, quelque chose du passé vous étreint et ne vous quitte pas. Rien n’a bougé depuis que Picasso, Matisse, Miró et beaucoup d’autres artistes, il y a près d’un siècle, y ont réalisé des lithographies sur de grosses pierres qui sont toujours là, et sur lesquelles des artistes contemporains, parmi lesquels David Lynch, réalisent leurs propres œuvres aujourd’hui. Chez Idem, les fantômes rôdent, mais ils ne sont pas inquiétants. David Lynch a découvert le lieu grâce à Hervé Chandès, de la Fondation Cartier, à l’occasion de l’exposition qui se tint boulevard Raspail en 2007. « J’ai vu ce lieu incroyable, et on m’a donné l’occasion d’y travailler. Tout cela a été comme un rêve ! Cela m’a permis d’accéder à ce nouveau monde de la lithographie et à la magie des pierres ».

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Costa-Gavras, David Lynch et Alain Sarde

Il y a tout juste deux ans, en octobre 2008, lorsque Dennis Hopper était à Paris pour inaugurer son exposition à la Cinémathèque française, Pierre Edelman, Matthieu Orléan et moi-même nous l’accompagnèrent rue du Montparnasse, pour qu’il rende visite à son ami David Lynch. Nous fûmes très émus de voir Dennis Hopper et David Lynch se retrouver et se congratuler, dans ce lieu à l’atmosphère unique. Revêtu d’un tablier bleu sur une chemise blanche qu’il a coutume de boutonner jusqu’au cou, Lynch était seul dans cet immense atelier à travailler la pierre noire. Patrice Forest, qui dirige l’imprimerie Idem, veillait sur tout. Si vous avez la curiosité de vouloir découvrir ce travail lithographique de David Lynch, il vous suffit d’acheter un beau livre qui vient d’être édité par Patrice Forest chez un éditeur allemand, Hatje Cantz : David Lynch – Lithos 2007-2009. Dans un entretien avec Dominique Païni, David Lynch dit ceci : « Chez Idem, j’ai probablement trouvé le bon lieu, les bonnes personnes et la bonne atmosphère pour saisir ces idées qui me viennent. Dominique, lorsque vous feuilletiez les pages, vous ne tourniez pas les pages d’un livre, vous tourniez des lithographies imprimées sur un papier fabriqué au Japon selon un procédé ancien. Il a cette texture magnifique, ce toucher et cette couleur si particuliers, et même si vous portiez vos gants, vous avez pu en apprécier la finesse. Comme la lithographie, ce papier, c’est un procédé. Il y a une part de magie dans chaque procédé, comme la photographie, vous découvrez ce que fait la lentille, ce que fait l’émulsion ou ce que fait le capteur numérique. La lithographie est un procédé qui vous donne le temps de penser sur la pierre. Une fois le dessin réalisé sur la pierre, avant qu’il soit imprimé sur ce papier, l’image va passer par différentes étapes. Il y a cette impatience de découvrir la chose finie. C’est une chose vraiment excitante, si belle et organique. »

Nul doute qu’en attendant que chaque dessin sorti de son imaginaire ne s’imprime sur les feuilles blanches venues du Japon, David Lynch se laisse aller à de nouvelles idées qui naissent dans son cerveau d’artiste en vue d’un prochain film. C’est ce qu’il nous a dit, lors de cette douce et apaisante « leçon de cinéma », mercredi dernier à la Cinémathèque, juste avant la projection de Mulholland Drive. Après tout, sa vie d’artiste a commencé avec le dessin et l’image fixe. De ce retour au source, nul doute que bientôt le cinéma rejaillira.

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La rétrospective que la Cinémathèque française consacre à David Lynch dure jusqu’au 1er novembre 2010. À noter samedi 30 octobre : une nuit Twin Peaks (saison 1) à partir de 22 heures. L’édition intégrale de Twin Peaks bénéficie d’une version remastérisée en France. Coffret de 29 épisodes + le pilote de la série, chez TF1 Vidéo.

David Lynch – Lithos, 2007-2009, 192 pages, 250 illustrations.  Edité par Patrice Forest. Item éditions, Musée du Dessin et de l’Estampe Originale (Gravelines), Hatje Cantz. Introduction de Paul Ripoche. Entretien avec David Lynch par Dominique Païni. Essai de Chihiro Minato.

David Lynch, Entretiens avec Chris Rodley (Cahiers du cinéma), 2004. Traduit de l’anglais par Serge Grünberg et Charlotte Garson.