Archive pour le 30.06.2008

Tout le monde parle football

lundi 30 juin 2008

J’ai été en panne de blog pendant trois semaines. Je ne peux donner aucune explication valable. Aucune excuse, sinon que j’avais la tête ailleurs. Où ? Je n’en sais rien. J’aurais pu vous parler de Jean Delannoy…. Mais, désolé, aucune inspiration. Je reste sec. En tout cas je n’aurais pas dit la même chose que mon ami Edouard Waintrop qui, sur son blog accueilli par Libération, en profite pour régler des comptes un peu rances avec Truffaut et la Nouvelle Vague. Défendre Delannoy contre Truffaut ? Pas évident, mon cher Edouard. Ou de la mort de Jean Desailly. Je revoyais l’autre jour La Peau douce, où il est magnifique. Qu’est-ce qu’il s’est pris, le pauvre Desailly, au moment de la sortie du film en 1964 ! Truffaut lui avait demandé de jouer de manière neutre, comme chez Simenon (Desailly est tout aussi excellent dans cet autre film, La Mort de Belle, d’Edouard Molinaro, d’après un roman de Simenon). Qu’est-ce que cela veut dire, jouer neutre ? Il suffit de revoir La Peau douce pour comprendre. Jean Desailly interprète un personnage, Pierre Lachenay, à qui il arrive une aventure sentimentale, alors que sa vie est bien rangée : une femme (Nelly Benedetti), une fillette (Sabine Haudepin), un travail qui le passionne ; il est écrivain, s’occupe d’une revue (« Ratures »), fait des conférences et passe souvent à la télévision dans des émissions littéraires. Au cours d’un voyage à Lisbonne, il tombe amoureux d’une hôtesse de l’air, la sublime Françoise Dorléac. Pour Truffaut, tout consiste à effacer les sentiments, à les vivre, sans les exprimer à travers la psychologie. L’adultère (thème jusque-là rarement traité de manière aussi triviale et crue dans le cinéma français), Truffaut l’aborde à travers le découpage d’un film d’action : ça va vite, alors il filme le moindre détail, les ouvertures de portes, les gestes d’allumer ou d’éteindre, l’ascenseur qui monte très lentement lorsque Desailly et Dorléac s’y échangent leurs premiers regards, et qui redescend très vite, à la vitesse normale, lorsqu’il est vide. C’est le film le plus découpé de Truffaut (900 plans). Desailly est génial dans ce film, à la fois un peu mièvre, presque veule, mais fragile. L’homme fragile, c’est le grand thème du cinéma de Truffaut. Un autre disparu de juin : Claude Dityvon. Grand photographe. Il aurait pu avoir une carrière sublime, tellement il avait du talent. Mais sale caractère. Rétif, toujours méfiant. Dommage. Il avait fait de très belles photos de tournages de films, dans les années 80. Certaines avec Catherine Deneuve qui, dans mon souvenir, les avaient aimées. On va bientôt redécouvrir Dityvon. J’en fais le pari.

La grande affaire de ce mois de juin, ça a été l’Euro de football. Je vais peut-être en choquer plus d’un, mais le foot j’aime ça. Serge Daney ne comprenait absolument pas que l’on se passionne pour un sport où la règle de base interdit que l’on joue avec les mains. Pour lui, le foot était un sport bête. Il n’aimait que le tennis (où l’on ne joue pas avec les pieds). Plus que ça : il adorait. Il a d’ailleurs écrit sur le tennis dans Libération, je ne vous apprends rien. Moi aussi j’aime le tennis. Mais j’aime aussi le foot, depuis mon enfance. Le foot quand il est bien joué fait appel à des notions telles que : le style, le collectif, l’exploit individuel, l’endurance, la vista, le sens du jeu, la vitesse, etc. Parler foot, c’est parler de tout autre chose, qui se focalise sur un espace-temps et qui nécessite de faire appel à des mots, d’en inventer, pour comprendre. On peut regarder un match en muet (en enlevant le son), ou en le commentant soi-même, entre amis. L’expérience en vaut la peine.

L’autre soir, dans un taxi, pendant le match entre l’Espagne et la Russie. Le chauffeur met la radio à fond. Poli il me demande si ça me gêne. Je lui réponds que non, au contraire. Il écoute RMC, pour lui il n’y a pas mieux pour les commentaires. Les deux types qui commentent s’en donnent à cœur joie, hurlent presque, en suivant le ballon à la trace. Surchauffe vocale. Passion orale, née d’une pulsion visuelle. Ils ne prennent guère le temps de prendre leur respiration. Je dis au chauffeur : Vous ne trouvez pas cela étrange qu’ils parlent aussi fort et autant. Il me répond : Faut bien qu’ils hurlent pour capter notre attention ! Ils n’ont que leur voix pour nous faire voir et sentir l’intensité du match… En plein dans le mille ! Je lui dis : vous avez raison, et ça nous change de Thierry Roland et Franck Lebœuf sur M6, qui commentent comme des bofs, à un rythme de sénateurs. On croirait presque que Lebœuf n’a jamais été footballeur… Avec ce chauffeur sympathique on a fait un bout de chemin ensemble, jusqu’au métro Abbesses. Je me suis rarement autant senti à l’aise dans un taxi parisien. Ce soir-là j’ai raté le match Espagne-Russie, préférant dîner avec des amis. Pendant tout le dîner Raoul, le fils d’une amie, faisait des allers et retours pour me renseigner sur le score. 1 à 0 pour l’Espagne. Puis 2. Puis 3 à 0. Les Russes, pourtant impressionnants lors du match précédent, écrasés.

J’ai suivi cet Euro de manière un peu épisodique. Avec intérêt mais sans passion. L’élimination rapide de l’équipe de France ne m’a pas trop surpris. Elle m’a laissé presque indifférent. Après tout, c’est de la faute des joueurs. On tape à tire-larigot sur ce pauvre Raymond Domenech, le sélectionneur ; c’est vrai qu’il a fait quelques belles erreurs de « casting ». Faire jouer Thuram en est une : trop vieux ! Plus assez en jambes ! Sagnol : pas totalement remis de ses blessures. Et Domenech a eu tort de pas faire vraiment confiance à la nouvelle génération des Benzema et Nasri, oublié de sélectionner Mexès. Cela en fait, des erreurs. Mais ce n’est pas le plus grave. Il y a dans cette équipe de France, depuis dix ans (1998 : le sacre de Zidane et ses potes) un état d’esprit déplorable, disons de « caïds ». Cela se sent chez les « anciens ». Ayant déjà tout gagné, ils voient les choses de (top) haut. La grosse tête ! Cela se sent dans leur manière de jouer. Manque de vitesse, d’inspiration. A côté les Hollandais et les Russes font figure d’artistes, de virtuoses. Sans parler de la Turquie. Là, on sent l’inspiration, l’envie de se donner à fond, de vivre ensemble une belle aventure. Côté français, on joue de manière précautionneuse, comme des gens qui se soucient uniquement de leur prestige. Pour ou contre Domenech ? J’avoue ne pas avoir d’opinion. Il y a une telle pression pour le dégommer qu’on a envie de le défendre. Son « cas » tombe à pic, avec cette manie sur internet d’en appeler au lynchage. Domenech est le parfait bouc émissaire de notre époque, où il faut à tout bout de champ un coupable, quelqu’un sur qui on peut taper à bras raccourcis. Moi, je lui laisserais encore sa chance. A condition qu’il la saisisse et rajeunisse les cadres.

Ce qu’il y a eu de bien avec cet Euro, c’est qu’on a pu regarder du très bon football sans le moindre esprit partisan. Ce n’est pas rien. Est-ce que cela a fait progresser l’idée européenne dans la tête des gens ? Pas sûr, à lire les derniers sondages. Moi je me suis senti à l’aise en aimant tour à tour voir jouer les Hollandais, les Portugais, les Turcs ou les Russes. Et bien sûr les Espagnols. Hier
ils ont battu les Allemands, ce qui n’est pas rien.

Le football est sans doute le sport qui correspond le plus à l’état du monde actuel, sous l’angle de la mondialisation. Le foot est une énorme machine à fric et à images. La publicité y règne, les joueurs sont des valeurs marchandes qui s’échangent à des prix pharamineux. La culture mercenaire et transfrontière fait la loi. Tout cela est à vous dégoûter de tout. Il n’empêche qu’il y a de beaux moments, quand ça joue bien. Le foot et le monde, c’est pareil ! Parler de foot c’est nécessairement parler du monde tel qu’il va, et surtout tel qu’il ne va pas.