Archive pour le 27.09.2008

La Magnani aurait cent ans

samedi 27 septembre 2008

Lundi dernier, l’Istituto Italiano di Cultura de Paris (50 rue de Varenne-75007 Paris) organisait une rencontre sur le thème : Néoréalisme et Nouvelle Vague, dans le cadre d’un hommage à l’actrice Anna Magnani « L’insurgée » – dont on célèbre cette année le centenaire. Conviés par Rossana Rummo, la directrice, nous étions cinq à participer à ce débat : Jean A. Gili (universitaire, spécialiste du cinéma italien et délégué artistique du Festival de cinéma italien d’Annecy),  Giancarlo Governi (auteur d’un livre sur Anna Magnani : Nanarella), Vittorio Giacci (historien et critique de cinéma), Gilles Jacob (président du Festival de Cannes) et ma pomme.

Comment parler du lien entre Néoréalisme et Nouvelle Vague, sans évoquer Rossellini ? On peut considérer le Néoréalisme comme un mouvement esthétique, une manière de retourner vers la réalité, celle d’un pays détruit par la guerre, et d’imposer cette réalité sur l’écran. Mais le Néoréalisme fut aussi un geste politique radical, j’ose dire moral. Les films de Rossellini, De Sica, Visconti, De Santis, ont contribué à « sauver » l’image d’un pays qui, au sortir de la guerre, fut déchiré par la guerre civile et anéanti par le fascisme mussolinien. Le Néoréalisme fut en quelque sorte la projection morale et mentale qu’un peuple ou qu’une nation se donne pour, disons le mot, sauver la face. Ces cinéastes ont osé regarder la réalité en face sans tricher. Des films comme Rome ville ouverte, Ossessione ou La Terra trema ont regardé l’Italie défaite et lui ont apporté un supplément d’âme. Ce supplément d’âme était d’abord un supplément de réalité. D’où le terme de « néoréalisme ». C’est ainsi que l’Italie a retrouvé le chemin du grand cinéma.

La Nouvelle Vague, cela n’a rien à voir. Le point de passage, me semble-t-il, c’est Rossellini. Cela a d’abord fonctionné au charme. Les jeunes Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette, sont tombés sous le charme de Rossellini. Et bien sûr de ses films (on sait l’impact qu’eut Voyage en Italie sur Rivette et Godard). En relisant la Correspondance de Truffaut (éditions Hatier, 1988), on le sent bien lorsque, de Venise où il couvre la Mostra pour les Cahiers du cinéma et surtout pour l’hebdomadaire Arts, Truffaut écrit à ses amis Rohmer et Charles Bitsch pour leur dire qu’il se rendra directement à Rome chez Rossellini, pour travailler à ses côtés. Rossellini, outre le charme, c’était le goût de la vitesse – ce dernier roulait en Ferrari, me confirme Vittorio Giacci -, le goût des belles actrices (Magnani, puis Ingrid Bergman), la culture, et bien sûr le talent et l’intelligence. Dans les années 50, son influence intellectuelle et artistique est énorme auprès de la jeune critique des Cahiers. Le paradoxe veut que cela coïncide avec une période où son influence est moindre en Italie. Mal aimé dans son pays, adulé en France. Je vous recommande de lire l’énorme biographie que Tag Gallagher : Les aventures de Roberto Rossellini, parue aux Éditions Léo Scheer dans la collection « Cinéma ». Des années et des années de travail, de recherches, de collecte de témoignage… Une somme.

La discussion fut agréable lundi dernier à l’Istituto, le courant passait bien, chacun apportant sa touche personnelle, avec un brin de nostalgie, pour rendre compte de l’histoire incroyablement féconde des relations entre le cinéma italien et le cinéma français. Plus de 2000 coproductions, rendez-vous compte ! Ce chiffre en dit long sur cette histoire d’amour qui passe par des visages d’acteurs. Marcello Mastroianni, Michel Piccoli, Catherine Deneuve, Monica Vitti, Jeanne Moreau, Jean-Louis Trintignant, Annie Girardot, Claudia Cardinale, Alain Delon, Jacques Perrin, Philippe Noiret, Gina Lollobrigida, Sophia Loren, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman, Elsa Martinelli, Silvana Mangano, Jacqueline Sassard, Renato Salvatori, Marina Vlady, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Belmondo, Ventura, Anouck Aimée, Raf Vallone, Magali Noël, Bernard Blier, Jean Sorel, Catherine Spaak, Lea Massari, Serge Reggiani, Pierre Clémenti, etc., etc. Tous passaient la frontière des Alpes, dans un sens et dans l’autre, avec une facilité déconcertante. Période bénie. N’oublions pas que les films italiens étaient alors exclusivement postsynchronisés, ce qui facilitait les choses… Les producteurs italiens et français (Carlo Ponti, Georges de Beauregard, Anatole Dauman, Franco Cristaldi, Dino De Laurentis, Serge Silberman, Angelo Rizzoli, Pierre Braunberger, etc.) aimaient partager les risques… Temps béni des coproductions : Le Guépard, Le Mépris, mais aussi Fanfan la tulipe, Don Camillo, Le Carrosse d’or, La Dolce Vita, La Ciociara, Rocco et ses frères, La notte ou encore La Fille à la valise. Cette histoire de la coproduction franco-italienne, qui traverse les genres et les styles et couvre plus de cinquante ans d’histoire du cinéma, fait l’objet d’un livre conçu par Vittorio Giacci : Ciné (éditions Gallucci, avec le soutien de Cinecittà Holding), très illustré, avec des contributions de Gilles Jacob, Jean Gili, Jean-Michel Frodon, Vittorio Giacci…

Le soir même la Cinémathèque ouvrait l’hommage à Anna Magnani avec la projection du Carrosse d’or de Jean Renoir, en présence de Claudia Cardinale et du ministre italien de la culture. Gilles Jacob présentait un court film de montage d’extraits de films avec Magnani, Louve romaine, où l’actrice se montre tour à tour rieuse, belle, grave, en colère, chantante, éclatante, douloureuse, séductrice… Cet hommage se poursuit jusqu’au 28 octobre, à l’Istituto Italiano di Cultura et au cinéma Le Latina. Voir programmation complète sur : www.iicparigi.esteri.it