Archive pour le 25.06.2009

Frédéric Mitterrand, cinéphile et ministre

jeudi 25 juin 2009

Je n’ai rien « posté » sur mon blog depuis le dernier, qui concernait Pedro Almodóvar. Vous allez imaginer que j’étais en vacances quelque part, à ne rien foutre. Faux, archi-faux ! Je bossais, essayant de mettre un peu d’ordre dans ma tête et dans mes affaires. En juin, j’ai fait un détour par Vienne, en Autriche, pour présenter Lola Montès restauré et parler de la cinéphilie aujourd’hui. Par l’Institut Lumière, à Lyon, pour parler de Truffaut devant un public chaleureux et enthousiaste. Renouer avec mon blog aujourd’hui m’impose de commenter la nomination de Frédéric Mitterrand hier comme ministre de la culture et de la communication. J’ai tout d’abord une pensée amicale envers Christine Albanel, qui a toujours fait preuve d’une grande sympathie et de ses encouragements envers la Cinémathèque française. Sa dernière visite rue de Bercy était motivée par son désir de découvrir l’exposition consacrée à Jacques Tati (elle dure jusqu’au 2 août, pour les retardataires). La ministre l’avait trouvée remarquable et je ne doute pas de sa sincérité. Elle n’a pas eu la tâche aisée, d’abord avec la réforme de l’audiovisuel public, ensuite avec la préparation de la loi Hadopi contre le téléchargement illégal, présentée devant l’Assemblée et recalée, puis adoptée et à nouveau en partie recalée, cette fois sur décision du Conseil constitutionnel. Etre ministre de la culture n’est pas (ou plus) une sinécure ; cela implique d’accepter ce genre de CDD de deux ans maximum. Depuis 2002, trois ministres se sont succédé à ce poste – Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres et Christine Albanel – et leur mandat respectif n’a pas excédé deux années. Or l’impulsion culturelle mériterait une longévité plus ample, le temps de mettre en chantier quelques projets, de les accompagner et de les voir émerger. Sans quoi tout n’est qu’éphémère. Mais le temps politique s’est considérablement raccourci, pour se caler sur le temps médiatique : effets d’annonce, gestion délicate de dossiers difficiles ou impopulaires (tel celui concernant le téléchargement illégal), recyclage au bon vouloir d’un président omniprésent, et calé sur l’air du temps et le niveau des côtes de popularité.Frédéric Mitterrand est un homme très fin et cultivé, et j’ai pour lui la plus grande sympathie. Nos chemins se sont souvent croisés depuis la fin des années soixante-dix, du temps où il s’occupait de manière militante et obstinée de salles Art et Essai dans le 14è arrondissement – les « Olympic » – et qu’il distribuait des films indépendants, comme ceux de Werner Schroeter. C’est un cinéphile ouvert et éclectique, dont les horizons s’élargissaient au cinéma égyptien des années 40 et 50 ou aux films de Sara Montiel, à qui nous avions ensemble rendu hommage dans le cadre du Festival d’automne en 1982. Cette même année il y avait une intégrale Luis Buñuel (la même que celle qui se tient en ce moment à la Cinémathèque française, jusqu’au 2 août), une autre consacrée à Hans-Jürgen Syberberg. Mais l’expérience professionnelle de Frédéric Mitterrand dépasse le seul cinéma. Il a réalisé quelques films (on se souvient de Lettres d’amour en Somalie ou de son Madame Butterfly, produit par Toscan du Plantier), des émissions de télévision sur le cinéma (« Étoiles et toiles »), des émissions de variétés, il est passé par la radio (d’abord Europe 1, puis France Culture), il a écrit des livres, réalisé des documentaires télévisés, etc. Pour avoir été reçu quelques fois dans ses émissions, je garde le souvenir de sa gentillesse, de sa passion et de son écoute. Il est, au bon sens du terme, un touche-à-tout, c’est-à-dire un curieux. J’ose dire un aventurier. Rarement un ministre de la culture aura présenté un tel pedigree.

Devenir ministre, il le sait mieux que quiconque, implique d’endosser un autre costume (politique), pour être à même de défendre une certaine idée de la culture et pour relever de sérieux défis : protéger le film, le livre ou le disque, des terribles dangers qui les menacent d’une simple disparition. On lui souhaite sincèrement bonne chance. Frédéric s’appelle Mitterrand. Le patronyme a valeur symbolique, pour lui davantage que pour quiconque. Il est assez lucide pour le savoir, et déjouer le piège du « nom du père » (en l’occurrence, celui de son oncle). Il a du pain sur la planche et cela va l’occuper avec ardeur. Et du style. L’homme n’en manque pas.