Archive pour le 3.07.2009

Éloge de Michael Mann

vendredi 3 juillet 2009

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Hier soir la Cinémathèque accueillait Michael Mann, venu présenter son nouveau film en avant-première : Public Enemies (sortie le 8 juillet). Costa-Gavras prononça quelques mots de bienvenue et évoqua la personnalité d’un cinéaste dont la réputation à Hollywood est très forte, celle d’un homme de caractère sinon à poigne, reconnu pour son talent et son exigence méticuleuse. Le meilleur cinéaste américain en activité, selon Costa. Je partage cet avis. Mann est un cinéaste parmi les plus importants de notre époque, par la qualité de ses films, leur style, leur mise en scène, leur puissance et leur émotion visuelles. Par le fait aussi que ses films (Heat, The Insider, Collateral ou Miami Vice, pour n’en citer que quatre), renvoient  de manière magistrale, vive et poétique, une image du monde contemporain, à travers la vitesse, la violence, la projection mentale qui habite chacun des personnages.

Autrefois on employait le mot « maître » pour parler de cinéastes comme Hitchcock, Preminger ou Kubrick. Et en France : René Clément, Julien Duvivier ou Henri-Georges Clouzot. Des cinéastes dont la technique était infaillible, et qui pouvaient imposer leur vue à des producteurs encombrants ou velléitaires. Plus tard on a employé le mot « auteur », dans une vision plus moderne de l’écriture cinématographique. Aujourd’hui Michael Mann incarne les deux, car il est à la fois un maître et un auteur. Un classique et un moderne qui parvient à réunir deux tendances du cinéma qui ne se confondent pas souvent : la maîtrise de la mise en scène, le sens aigu du rythme et du montage, de la composition de l’image et du plan (c’est un excellent cadreur), et l’écriture, le regard, une certaine vision mélancolique et tragique du monde, le sentiment de solitude de ses personnages qui naviguent dans le chaos et la violence, la nuit et l’hallucination, le rêve qui se transforme en cauchemar. Mann est celui qui, dans le monde, filme le mieux les grandes métropoles, le jour et la nuit, avec des images bleutées, hyper cadrées, sur les échangeurs d’autoroutes, les tours métalliques éclairées de néons, les reflets défilant sur des vitres teintées de voitures rutilantes. Dans ses films la ville est une forme, un cube qui prend facilement la taille de l’écran.

J’ai rencontré Michael Mann à Los Angeles en septembre 2008, chez son ami John Landis. Je me souviens de leurs discussions ferventes, passionnées, inquiètes aussi,  à propos de la campagne électorale américaine, et des chances qu’avait Barack Obama de l’emporter. Ils y croyaient mais le suspense était entier. Ce soir-là j’ai osé proposer à Michael Mann de nous rendre visite à la Cinémathèque. Il a hésité, venant juste d’achever le tournage de Public Enemies ; il a fini par dire oui, tout en sachant qu’il devait entreprendre un nouveau film probablement durant l’été 2009. On a réussi à caler cette rétrospective au moment de la sortie en France de son film, Michael Mann tenant beaucoup à ce que l’hommage à la Cinémathèque précède de huit jours la sortie de Public Enemies.

Mann est un obsédé du travail. Cela passe avant tout, et avant les honneurs. C’est là une dimension essentielle de sa personnalité, l’obsession du contrôle – comme Hitchcock ou Kubrick. En Amérique on le considère comme un excellent film-maker, car il est un technicien hors pair. Du cinéma Michael Mann connaît tous les rouages. En France on le considère tout simplement comme un grand artiste du cinéma. Ce n’est pas exactement la même chose, même si cela revient à peu près au même : on l’admire et on le respecte. Et on attend avec impatience chacun de ses films.

Qu’est-ce qui fait la force de Michael Mann ? Le fait qu’il écrive ses scénarios (tous ses films à l’exception de Collateral en 2004). Qu’il soit producteur et réalisateur (ce qui lui permet de contrer l’influence des Studios). Qu’il saisisse parfois lui-même la caméra pour cadrer certains plans ou séquences. Qu’il soit nuit et jour aux côtés de ses monteurs – cela m’a été confirmé par Dov Hoenig, qui fut le monteur des premiers films de M. Mann, depuis Thief en 1981, jusqu’à Heat en 1995). Qu’il soit également à l’œuvre lors de phase de postproduction devenue de nos jours un moment essentiel, aussi bien technique qu’artistique du fait de l’impact de la révolution numérique sur la conception des films. Révolution numérique dont Mann tire le maximum d’effets dans la composition plastique de ses films – voir le magnifique Miami Vice. Mann est un cinéaste qui vit l’expérience du cinéma jusqu’au bout, de A à Z. Un auteur complet. Ce n’est pas rien quand on connaît les exigences et les contraintes du système américain des Studios, et la violence des rapports de force entre artistes et financiers.

On ne peut pas ne pas mentionner qu’il aime diriger les acteurs, et qu’il choisit les meilleurs : James Caan, William Petersen, Daniel Day-Lewis, Al Pacino, Robert De Niro, Val Kilmer, Russell Crowe, Will Smith, Jamie Foxx, Tom Cruise, Colin Farrell, Gong Li, plus récemment Johnny Depp, Christian Bale et Marion Cotillard, dans Public Enemies. Ce film compte beaucoup parce qu’il renoue avec le grand cinéma noir des années 30 et 40. Un personnage de légende : John Dillinger. Un univers particulier, celui de la Grande dépression. Mann l’a réalisé avec passion et talent, avec le souci du détail qu’on lui connaît. Ce que l’on ressent c’est la modernité du regard, l’impression de vivre à côté de ses personnages, de ressentir ce qu’ils ressentent. Filmé par Mann, Dillinger (Johnnie Depp) est un homme jeune et libre, insouciant, qui refuse les contraintes de la société. Il n’y a aucune distance, le spectateur est de plain-pied dans l’univers de violence qui était celui des gangsters de cette époque. Je ne vais pas en dire davantage, pour laisser aux spectateurs le plaisir de découvrir ce beau film. Mais il y a une chose qui me frappe, c’est que Dillinger, comme la plupart des personnages des films de Mann, finit sa trajectoire dans une solitude totale. L’énergie qu’il déploie, la violence et le charme qu’il dégage, tout cela finit par en faire un homme coupé des autres, enfermé en lui-même. On connaît la fin de Dillinger, poursuivi par les agents du F.B.I. lancés à sa poursuite. Un jour (nous sommes en 1934), Dillinger se rend au cinéma à Chicago pour voir un film avec Clark Gable (Manhattan Melodrama de W. S. Van Dyke, avec Mirna Loy et William Powell). Il ignore qu’il a été balancé par une femme et que le cinéma est cerné. Gros plan sur son visage, avec le reflet dans ses lunettes du rayon lumineux qui projette le film de Van Dyke sur l’écran. On croit discerner des larmes dans les yeux de Dillinger, tandis que la fin du film se déroule, mélodramatique. Nul doute que pour Michael Mann Dillinger ait été le premier gangster « médiatique », conscient de sa propre image et des effets qu’elle provoqua dans la société américaine. Mise en abyme du personnage dans son double (Gable), et retour brutal à la réalité (la traque dont il est l’objet).

Demain samedi 4 juillet, nous aurons le plaisir d’accueillir Michael Mann pour une leçon de cinéma à la Cinémathèque. Juste après la projection à 14h de Heat, un de ses
plus beaux films.

La rétrospective consacrée à Michael Mann durera jusqu’au 26 juillet 2009. Voir séances dans le programme de la Cinémathèque ou aller sur : www.cinematheque.fr

Dans ce même programme, je vous recommande la lecture du texte de Bernard Benoliel : « Des images dans la tête » (accessible également sur le site de la Cinémathèque).

Lire l’entretien passionnant avec Olivier Assayas dans Les Inrockuptibles, réalisé par Jean-Marc Lalanne en septembre 2004 à l’occasion de la sortie de Collateral (www.lesinrocks.com).

Lire également l’ouvrage sur Michael Mann paru chez Taschen, de F.X. Feeney et Paul Duncan.

Enfin, la plupart des films de M. Mann sont édités en DVD. Mais rien ne vaut de les voir ou revoir sur le grand écran de la Cinémathèque.

Pour ceux que cela intéresse, la « leçon de cinéma » donnée par Michael Mann à la Cinémathèque le 4 juillet est entièrement disponible sur le site : www.cinematheque.fr

Elle a duré deux heures, juste après la projection de Heat, et elle fut passionnante. Michael Mann a vraiment joué le jeu, répondant avec précision aux questions que nous lui posions, Bernard Benoliel et moi, puis à celles du public. Un moment fort, entièrement filmé. 

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