Archive pour le 2.08.2011

Lecture d’été : les mémoires de Leslie Caron

mardi 2 août 2011

L’été est propice à la lecture. Et à la marche. Je combine les deux. En marchant, je pense vaguement à ce que je lis. Mais l’esprit a besoin de faire le vide. De retour dans ma chambre, je reprends le livre là où je l’avais laissé.

J’ai emporté avec moi les mémoires de Leslie Caron, Une Française à Hollywood (Baker Street). Livre déjà lu, mais que je révise à la hâte, trois jours avant de me rendre à Locarno (le 5 août), où Olivier Père m’a demandé d’animer une conversation avec l’actrice. Leslie Caron est invitée à Locarno à l’occasion de la rétrospective Vincente Minnelli. Elle a joué dans trois films de Minnelli : Un Américain à Paris, Mademoiselle, un des trois sketches de The Story of Three Loves, et Gigi.

Les biographies d’acteurs sont toujours pleines de détails intéressants, parfois croustillants, qui éclairent l’histoire du cinéma souvent sous un angle insolite. Leslie Caron a d’abord écrit ses mémoires en anglais (parution à New York en 2009 chez Viking). Étrange qu’elle ait d’abord raconté sa vie dans une autre langue que la sienne, elle que l’on prend encore très souvent pour une actrice américaine. Or il n’y a pas plus française que Leslie Caron, née à Neuilly-sur-Seine dans une famille bourgeoise. La mère, Margaret, est américaine, ce qui a pu compter dans l’itinéraire de la fille.

Leslie Caron raconte son enfance plutôt tranquille, et son adolescence durant laquelle elle devient ballerine, fréquente le Conservatoire de danse, fait la rencontre de Roland Petit en 1947 – elle a seize ans. Roland Petit, qui vient de mourir, fut le premier mentor de Leslie Caron. Elle intègre les Ballets des Champs-Élysées, danse avec Jean Babilée, en tombe amoureuse (mais de manière platonique)…  Le 6 juin dernier, lors de la soirée donnée en son honneur à la Cinémathèque française, Leslie Caron côtoya sur scène Jean Babilée. Magnifiques retrouvailles. Dans son livre, Leslie Caron évoque l’année 1949 où elle fut la partenaire de Jean Babilée dans le ballet Le Jeune Homme et la Mort, conçu par Jean Cocteau et chorégraphié par Roland Petit, sur une musique de Bach. Nathalie Philippart, la femme et la partenaire de Babilée étant malade, Leslie Caron la remplaça lors d’une tournée en Allemagne. « Nous avons dansé devant un public tellement silencieux qu’on entendait le souffle puissant des danseurs. À mesure que le drame suivait son cours inéluctable, nous sentions l’émotion monter et atteindre une intensité difficilement supportable, puis le rideau est tombé, libérant les spectateurs. Des hurlements d’enthousiasme éclatèrent tandis que la salle entière se levait d’un bond. Les applaudissements durèrent aussi longtemps que le ballet : vingt minutes ! Pendant vingt minutes, la salle, tout entière, debout, battit des mains pour nous remercier de l’émotion que nous leur avions fait partager, pour l’oubli momentané des horreurs de la guerre, pour le retour de la civilisation que signifiait notre ballet venu de France ».

Et puis, le coup du destin. Un appel téléphonique : « La MGM bous a choisie pour jouer le rôle principal ! ». Leslie Caron raconte dans le détail ce moment où sa vie de jeune danseuse a basculé. Gene Kelly, de passage à Paris, l’a vue danser avec la compagnie des Ballets des Champs-Élysées, il est à la recherche d’une jeune actrice française qui sera sa partenaire dans Un Américain à Paris, une comédie musicale racontant l’histoire d’un jeune peintre américain qui rencontre à Paris une Française, Lise Bouvier, et qui, au moment où il est sur le point de lui déclarer son amour, découvre qu’elle est fiancée à son meilleur ami.

C’est le grand voyage : accompagnée de sa mère, Leslie Caron s’envole pour Hollywood. Là elle décrit avec précision son installation, son apprentissage, sa découverte du studio (la MGM) et de ses contraintes. Elle refuse la coiffure qu’on veut lui imposer, rue parfois dans les brancards au risque de mettre à mal son début de carrière de star. C’est que Hollywood fabrique tout, jusque dans le moindre détail, chassant le naturel. Gene Kelly la prend sous sa protection, la fait répéter des mois et des mois avant le début du tournage. Curieusement, Vincente Minnelli apparaît presque en second rang dans le tableau que Leslie Caron dresse du tournage d’Un Américain à Paris. On sent à lire son livre toute la pression qu’organise le Studio sur le tournage proprement dit, avec une répartition implacable des rôles de chacun – Arthur Freed, le producteur et l’inspirateur des comédies musicales de l’époque à la MGM, William Tuttle, le maquilleur (avec qui elle aura fort à faire –, Sydney Guilaroff, le coiffeur, et bien sûr Minnelli, le metteur en scène du film. Elle écrit ceci (page 120) : « Ce ne fut pas Minnelli qui guida mes premiers pas devant la caméra mais Gene Kelly – j’étais sa protégée -, et il le fit avec patience et bonne humeur. “Lester”, me disait-il – c’était le diminutif de Lester the Pester (Leslie la Peste), il était taquin et aimait les rimes – si tu veux que ta grand-mère te reconnaisse, tourne-toi vers la caméra ”. J’avais, il faut l’avouer, tendance à tourner le dos à la caméra. Je n’avais pas l’habitude de m’exprimer avec des paroles, surtout pas en anglais, et j’étais affreusement timide. Je me rappelle la scène au bord de l’eau, où je devais crier à Gene en train de monter l’escalier à une dizaine de mètres de moi : “ Jerry ! If it means anything to you, I love you ! » (“Jerry, que tu le croies ou non, je t’aime !”). Je rougissais violemment sous mon maquillage, j’avais si peur d’être ridicule, je transpirais abondamment ».

Minnelli l’appelait « mon ange », ce qui était de nature à la rassurer. Leslie Caron fait du cinéaste le portrait d’un homme plutôt en retrait, s’entendant bien avec Gene Kelly, proche des femmes. « Le plaisir, en travaillant avec lui, était d’associer avec bonheur l’imagination, l’humour et le bon goût. Il était capable d’exprimer le plus poignant des drames sans jamais tomber dans le sentimental, et ne dépassait jamais les limites de l’élégance ». S’il avait du mal à s’exprimer sur un plateau, pour autant Vincente Minnelli arrivait toujours à ses fins, visant toujours à l’excellence dans sa direction d’acteurs.

Leslie Caron signa un accord avec la MGM, comme cela se faisait à l’époque avec tous les acteurs et actrices. Après Un Américain à Paris, elle attendit qu’on lui propose un nouveau rôle. Ce fut Lili, réalisé par Charles Walters, La Pantoufle de verre, du même réalisateur, puis Papa longues jambes (Daddy Long Legs), réalisé par Jean Negulesco, avec Fred Astaire, dont elle fait un très beau portrait dans son livre. Plus tard, en 1957, ce fut Gigi, une pièce d’après Colette, d’abord jouée au théâtre avant d’être adaptée au cinéma. Avec Maurice Chevalier et Louis Jourdan. Les scènes en extérieur sont tournées à Paris, les scènes d’intérieur à Hollywood. Entre-temps Leslie Caron a connu le coup de foudre, avec Peter Hall, metteur en scène de théâtre anglais ; son fils, Christopher naît le 30 mars 1957.  Dans son récit, la vie privée se mêle au travail, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. Leslie Caron raconte sa vie avec franchise, sans jamais masquer les difficultés qu’elle rencontre ou les choix parfois difficiles qu’elle doit faire. Par exemple, elle est révoltée d’apprendre qu’elle est doublée dans les parties chantées de Gigi. Frustrée, elle se rend dans le bureau d’Arthur Freed, qui la reçoit puis lui demande de l’excuser un instant ; Leslie Caron patiente, le temps passe, elle retourne voir la secrétaire qui lui apprend qu’Arthur Freed est rentré chez lui.

Le chapitre sur Jean Renoir est émouvant. Il fut pour Leslie Caron un ami, un confident, mieux qu’un père. Elle évoque la maison à Beverly Hills (Leona Drive, donnant sur Benedict Canyon), où les amis américains et français étaient souvent de passage pour voir Jean et Dido Renoir. Chaplin, Truffaut, « le fils préféré », écrit-elle… Un jour qu’elle doutait de l’évolution de sa carrière d’actrice, se demandant si elle n’avait pas fait un mauvais choix en cessant de danser, Leslie Caron vint se confier à Renoir : « Leslie, m’a-t-il répondu, je ne sais pas si vous avez du talent en tant que danseuse, je ne connais rien au ballet, mais je sais qu’il y a en vous une actrice. » Quelques mois plus tard, il écrivait une pièce, Orvet, pour en confier le rôle principal à Leslie Caron. La pièce fut jouée à Paris en 1955 au théâtre de la Renaissance.

Dans ces mémoires, il est aussi question de Warren Beatty, dont elle fut amoureuse, de Truffaut de qui elle fut proche (son rôle dans L’Homme qui aimait les femmes est bref mais inoubliable), de ses années anglaises, de son retour en France, de sa dépression nerveuse. Mais il ressort à la lecture de ce livre une belle énergie. Et une totale franchise.

Leslie Caron, Une Française à Hollywood. Mémoires. Éditions BakerStreet.