Archive pour le 4.12.2011

Juré au Festival des 3 Continents

dimanche 4 décembre 2011

Quatre jours à Nantes, où je faisais partie du jury du Festival des 3 Continents, 33è édition. Dix films en compétition officielle, d’un très bon niveau. Les projections s’enchaînent dans la salle 2 du Katorza, salle mythique de la ville. Le public fait la queue, les salles sont pleines, l’atmosphère est joyeuse. Le Festival rend hommage à Arturo Ripstein, cinéaste mexicain dont nous n’avions plus de nouvelles depuis quelques années. Arturo Ripstein était à Nantes avec sa compagne, Paz Alicia Garciadiego, la scénariste de plusieurs de ses films. Il y avait également un hommage à Mani Kaul, cinéaste indien mort le 6 juillet dernier, qui fut l’élève de Ghatak. Sans oublier une programmation liée au centenaire de la Nikkatsu, le plus ancien des studios japonais – reprise dans une édition augmentée (35 films) à la Cinémathèque à partir du 7 décembre.

Le Festival des 3 Continents est en pleine renaissance, animé par une nouvelle équipe dynamique : Sandrine Butteau en est la secrétaire générale, Jérôme Baron le directeur artistique, aidé de Charlotte Garson pour composer la Sélection officielle. Sur les dix films vus, quatre sortent du lot. Saudade (qui obtint lundi dernier la « Montgolfière d’or ») est réalisé par Katsuya Tomita, 39 ans, dont c’est le troisième film. Saudade est un film long et ambitieux, qui tisse avec la réalité japonaise des liens fascinants et complexes, tantôt romanesques tantôt documentaires. On y voit des ouvriers travaillant sur des chantiers dans des conditions épouvantables, d’origines très diverses : Thaïlandais, Coréens, ou Japonais nés au Brésil. Les personnages forment une communauté hétéroclite, hommes et femmes, jeunes et vieux, vivant des trajectoires parallèles. Katsuya Tomita a tourné son film durant plusieurs week-ends, contraint de travailler durant la semaine comme chauffeur routier à Kofu, une ville au centre du Japon. Si le mot « film indépendant » a encore du sens, alors Saudade en est l’expression artistique la plus forte et la plus noble. Le film n’a pas coûté cher, financé par souscription au sein d’un collectif de cinéastes Kuzoku. Il serait vraiment épatant qu’un distributeur français prenne la destinée de ce film en main, et guide son chemin vers nos écrans. C’est une découverte formidable (le film était en compétition au dernier Festival de Locarno). L’autre film impressionnant vu à Nantes est chinois : People Mountain People Sea de Cai Shangjun, un deuxième film (« Montgolfière d’argent »). J’ignore si Cai Shangjun a déjà vu des films de Melville, mais cela me paraît probable. Sécheresse de la mise en scène, cadre large et fixe, composition de l’image maîtrisée, violence assumée. La Chine que l’on découvre n’a rien à voir avec la Chine officielle, soumise au pouvoir communiste et à l’économie d’un capitalisme sauvage triomphant. A moins que ce soit le mélange des deux, dont ce film montrerait en quelque sorte la synthèse : Chine du crime et de la corruption, de la misère provinciale et des coups de grisou dans les mines de charbon. Le héros, Lao Tie, est à la recherche de l’homme qui a tué son frère. Le film se déroule à Guizhou, dans le Sud-Ouest du pays, région montagneuse et grise. Le récit linéaire suit l’enquête que mène le personnage principal, ce qui ne va pas sans surprises et de taille. On se demande comment un tel film a-il été possible et comment a-t-il pu passer la censure. People Mountain… ne sera probablement jamais montré en Chine, tant la réalité qu’il montre est dérangeante, à mille lieux des stéréotypes officiels. La dernière scène, après le coup de grisou (sans doute provoqué par le héros) montre un paysage désolé, dévasté, sous une pluie drue et interminable de fines parcelles de charbon. À couper le souffle. Policeman, de l’Israélien Nadav Lapid, sorti en Israël il y a quelques mois, juste avant les manifestations du printemps contre les inégalités sociales, s’est vu interdire au moins de 18 ans. C’est dire qu’il dérange. Le film se déroule selon une sorte de diptyque, le premier suivant les pérégrinations d’une unité anti-terroriste d’élite de la police, le second un groupe de jeunes activistes israéliens animés d’un idéal révolutionnaire. Autant la première partie relève de l’observation juste, disons même clinique, de ce qu’est dans l’imaginaire israélien la virilité et le comportement musclé de soldats ou policiers dûment entrainés au combat, autant la seconde relève d’une vision romanesque et fictionnelle assez improbable. Ces jeunes hommes et femmes méditent leur coup en répétant gestes et discours, avant de passer à l’acte en prenant en otage, dans le sous-sol d’un grand hôtel, deux milliardaires israéliens à qui ils reprochent d’avoir fait fortune, au nom d’un juste partage des richesses. Dans Policeman, l’ennemi n’est ni l’Arabe ni le Palestinien infiltré, il est celui qui se cache à l’intérieur même des frontières linguistiques et culturelles, un autre mais du même. La fin opère la synthèse logique et inéluctable, le groupe d’assaut venant exécuter froidement son travail. Policeman est dérangeant par son sujet même, et cette manière neutre ou objective de scruter la gestuelle des personnages.

Deux autres films m’ont plu : Flying Fish du cinéaste sri-lankais Sanjeewa Pushpakumara, filmé avec une petite caméra numérique, mais très maîtrisé, montrant les dégâts dus à une interminable guerre civile opposant le gouvernement central à la communauté des Tamouls ; et Girimunho (mention spéciale du jury) réalisé par deux cinéastes brésiliens, Helvécio Marins Jr et Clarissa Campolina (prix du jeune public), conte spirituel d’une grande beauté plastique. Le fait que Nantes ait pu montrer autant de bons films, provenant de pays lointains, est une sacrée bonne nouvelle pour le cinéma. Et Nantes est une ville incroyablement belle et vivante, ce qui ne gâche rien…

 Lire un entretien avec Katsuya Tomita et son scénariste Toranosuke Aizawa, dans le numéro de Mai 2011 des Cahiers du cinéma, ainsi que l’article très informé sur le jeune cinéma indépendant japonais de Terutarô Osanaï.