Archive pour le 12.12.2011

Le retour de Méliès

lundi 12 décembre 2011
Costa-Gavras, Madeleine Malthête-Méliès et Serge Toubiana

Costa-Gavras, Madeleine Malthête-Méliès et Serge Toubiana

Georges Méliès revient très fort dans l’actualité, et cela coïncide avec le 150è anniversaire de sa naissance le 8 décembre 1861. Nous avons célébré cet anniversaire jeudi dernier à la Cinémathèque, en présence de la famille du cinéaste. D’abord sous la forme d’une journée d’études très suivie par un public assidu, avec des interventions de spécialistes commeLaurent Mannoni(les débuts de Méliès au cinéma), Jacques Malthête (le studio de Montreuil), Jean-Pierre Berthomé (les décors), Priska Morrissey (les costumes) et Thierry Lefevre (les trucages). Ensuite, au cours de projections de films rares du cinéaste, accompagnées au piano par Jacques Cambra, en présence de Madeleine Malthête-Méliès, la petite-fille de Georges Méliès, dont le rôle fut considérable dans la recherche et la collecte des films de son grand-père tout au long des quarante dernières années. Cette femme élégante et obstinée a passé sa vie à reconstituer l’œuvre clairsemée et mutilée de son génial grand-père, avec patience et entêtement. Elle y est très largement parvenue. Au cours de la soirée, Sylvain Solustri et Betty Serman, comédiens et magiciens, ont lu à deux voix plusieurs lettres de Méliès choisies dans sa riche correspondance avec des patrons de studio ou des officiels du cinéma, dans lesquelles Méliès laisse souvent pointer son amertume et ses désillusions. Sa vie fut en effet remplie de hauts et de bas ; il fut à l’apogée de son art jusque vers les années 10, puis son déclin fut inexorable, le laissant dans la misère et l’oubli, devenu sur le tard vendeur de jouets et de confiseries dans sa boutique dela gare Montparnasse, jusqu’à sa mort le 21 janvier 1938.

Cette célébration de Méliès se trouve magnifiée par le film de Martin Scorsese, Hugo Cabret, qui sort sur les écrans mercredi 14 décembre, si toutefois les copies numériques sortent de LTC dont les techniciens sont en grève du fait de la mise en liquidation du laboratoire. Ce serait une première, qu’un film soit ainsi pénalisé et ne puisse être projeté, d’autant que le nouveau film de Scorsese est tout entier dédié à l’amour du cinématographe. Scorsese a adapté le roman de Brian Selznick, L’Invention de Hugo Cabret (paru chez Bayard Jeunesse), jeune homme ouvert et sympathique, qui a passé beaucoup de temps à faire des recherches dans les archives de Méliès.

Méliès revient en 3D, rien d’anormal pour un cinéaste qui a passé une grande partie de sa vie à inventer des trucages et à jouer de la magie et de la prestidigitation. Maisce qui compte le plus, c’est que Scorsese se soit intéressé et pris de passion pour le destin tragique de Méliès, en en faisant ce vieil homme fatigué et bougon, qui revient tard chez lui après avoir fermé sa boutique de jouets de la gare Montparnasse, reconstituée de manière magnifique dans un studio londonien. Le personnage est incarné par Ben Kingsley, dont la ressemblance avec le réalisateur du Voyage dans la lune est frappante.

Comment se fait-il que ce soit un Américain qui ait voulu faire de Méliès le personnage  central d’un film, aujourd’hui ? On peut tourner autrement la question : comment se fait-il que ce soit un Français, Michel Hazanavicius, qui ait voulu magnifier l’épopée du cinéma muet américain et y soit parvenu ? Il y a une drôle de correspondance, me semble-t-il, entre Hugo Cabret et The Artist, deux films qui regardent vers le passé tout en se servant des techniques les plus sophistiquées qu’autorise le cinéma numérique ou la 3D. Hugo Cabret et The Artist ne sont pas des « films de patrimoine » au sens où on l’entend, ce sont des films vivants et rythmés qui font revivre le temps du muet, de manière à peu près synchrone : la fin des années 20. Avec au centre une même question : quel est le secret perdu ? Qu’est-ce qui, dans cet art du muet, est à jamais perdu ? Les réponses sont multiples. Mais une chose est commune à ces deux films : la place du spectateur. C’est aussi et peut-être avant tout le spectateur de cinéma qui a changé, lors du passage au parlant. La technique a soudain périmé des procédés, des récits ou des mythes, qui autrefois avaient un impact énorme sur le public populaire du monde entier. Le spectateur autrefois primitif est devenu une entité en soi, séparée des autres, un être doué de langage. C’est cette évolution et ce changement dont témoignent Hugo Cabret et The Artist.

A lire : Madeleine Malthête-Méliès fait reparaître la biographie qu’elle a écrite sur son grand-père : Georges Méliès l’enchanteur (la tour verte).

Georges Méliès, A la reconquête du cinématographe ; un beau livre + 3 DVD comprenant 53 films de Méliès, édité par StudioCanal, Fechner Productions et La Cinémathèque française.

Brian Selznick, L’Invention de Hugo Cabret, ouvrage pour enfants illustré (Bayard Jeunesse).

Les salariés de LTC, qui s’étaient mis en grève le 9 décembre, ont repris le travail lundi. Les 600 copies de Hugo Cabret seront bien sur les écrans dans toute la France à partir de demain (information Le Monde du 12.12.11.)

Brian Selznick dans le musée de la Cinémathèque

Brian Selznick, l’auteur d’Hugo Cabret, dans le musée de la Cinémathèque française