Archive pour le 1.01.2012

2012 commence bien avec Clint Eastwood

dimanche 1 janvier 2012

C’est le moment de souhaiter une très bonne année aux lecteurs de ce blog. Une très bonne année de cinéma, bien sûr, mais aussi de joie et de sérénité. J’espère aussi que vous serez plus nombreux à réagir et à formuler vos opinions. Ce blog vous est ouvert. Dès le 11 janvier sortira J. Edgar, le nouveau film de Clint Eastwood, à qui la Cinémathèque rend hommage depuis plus de trois semaines dans le cadre d’une rétrospective complète des films qu’il a réalisés (ne figurent pas ceux dans lesquels il a simplement été acteur). Elle dure jusqu’au 12 janvier. Avec Jean-François Rauger, nous espérions sincèrement la venue de Clint Eastwood à Paris. Cela ne s’est pas fait pour des raisons d’emploi du temps – on sait que le cinéaste enchaîne un film après l’autre. Mais le grand Clint nous a adressé une courte mais très sympathique lettre, le 8 décembre dernier, dans laquelle il dit « être désolé de ne pouvoir être à Paris pour se joindre à nous pour cette rétrospective cette année, ce qui l’embête beaucoup car il est un “big fan » de la Cinémathèque ». De manière amicale et élégante, ce qui n’est guère étonnant de la part d’un homme comme lui, il dit « se souvenir de sa première rétrospective durant l’hiver 1983-84. Le public français a toujours été si gentil et su apprécier mes films, aussi c’est un grand honneur d’être à nouveau à l’honneur à la Cinémathèque ». Et Clint Eastwood termine sa lettre « en formulant l’espoir de nous rencontrer lors de son prochain passage en France ». Bref, il n’y a qu’un mot à dire : make my day !

Je me souviens du passage de Clint Eastwood à Chaillot au milieu des années 80 – il était venu à l’occasion de la sortie de Tightrope (La Corde raide), réalisé par Richard Tuggle. Cela correspond à un moment charnière de sa carrière, où ses films ont enfin été pris au sérieux par la critique qui, jusque-là, les prenait trop souvent de haut. Il y avait comme un malentendu, profond et tenace, qui venait du fait que ceux qui l’aimaient ou l’admiraient comme acteur – il était une véritable icône du western et du film policier – ne prenaient pas du tout au sérieux ses films et du même coup son projet de cinéaste. Ce passage à la Cinémathèque a joué pour faire enfin coïncider ou se recoller les deux images de Clint Eastwood : celle de l’acteur star et celle du cinéaste. Ensuite les choses ont évolué positivement, et chaque film de Clint Eastwood a été pris en compte avec plus ou moins de sérieux, mais toujours avec respect.

Dans mes souvenirs personnels, la rencontre avec lui – j’étais en compagnie de Nicolas Saada, c’était en mars 2000 – dans les bureaux de Malpaso, sa société de production située dans l’enceinte des studios de Warner Bros. à Burbank, constitue le moment le plus fort et le plus émouvant de ma vie de journaliste de cinéma[1]. Avec Nicolas, nous avions passé trois jours à interviewer Clint Eastwood, d’abord à Carmel, puis à Burbank, il nous avait reçu très chaleureusement, avec simplicité et en nous donnant tout son temps. Puis nous avions interrogé ses principaux collaborateurs : Tom Stern, Jack Green, Joel Cox, Henry Bumstead, tous très éloquents pour parler de la « méthode » Eastwood fondée sur la confiance, un esprit artisanal assumé et partagé, et sur le fait que, de par son expérience d’acteur de télévision et son sens de l’observation, Eastwood connaît tous les métiers du cinéma, ce qui lui permet de dialoguer avec chacun en connaissance de cause. Ce qui émane aussi de lui, c’est la tranquillité, l’assurance de ne pas se tromper dans ses choix et ses décisions, le tout en gardant une profonde humilité. Tous ceux qui l’ont approché ou interviewer le confirment.

J. Edgar est un film ambitieux et sombre, tiré d’un scénario de Dustin Lance Black, qui a écrit celui de Harvey Milk de Gus van Sant. C’est la vie de J. Edgar Hoover, le patron du FBI pendant près d’un demi-siècle, de 1924 à 1972, même si le film ne se résume pas à une biographie filmée ou un biopic comme disent les Américains. C’est l’exploration patiente et légèrement funèbre d’un homme qui aimait à la folie les secrets. Et qui savait les conserver pour s’en servir le moment venu, afin de faire pression sur tel ou tel homme politique, tel ou tel président des Etats-Unis. Un homme dont le rêve absolu était de contrôler la vie des autres et d’éradiquer le crime. Quitte à faire l’impasse sur sa propre vie et à masquer ses failles. J. Edgar s’articule incroyablement, comme un fil(m) torsadé, entre ces deux pôles, l’intime (et l’ambiguïté sexuelle : il vit avec Clyde Tolson, à la fois son conseiller, confident et sans doute amant, le lien familial que le personnage entretient avec sa mère, une relation fusionnelle et ambiguë, et l’homme public obsédé par l’ordre et le contrôle. Le film, qui fait sans cesse des allers et retours entre le passé et le présent, toujours sombre et passionnant, ne cherche pas à résoudre de manière définitive l’équation personnelle d’un tel personnage, figure de pouvoir comme il en a peu existé au cours du XXe siècle. J. Edgar est un film ouvert et qui questionne, explore, fait sans cesse des allers-retours, à la recherche de la vérité. Eastwood ne cherche pas tant à de détruire le personnage (très facilement condamnable sur le plus politique et idéologique) qu’à montrer le lien mystérieux qui unit ses obsessions et ses conduites publiques, sur une si longue durée. Car, ce qui est central dans les films de Eastwood, c’est toujours le Temps. Quelle est cette chose mélancolique qui organise la vie des hommes ? La réponse que propose J. Edgar, servi par un extraordinaire acteur comme Leonardo DiCaprio, est totalement ouverte et passionnante.

 


[1] C’était au moment où Eastwood venait de terminer Space Cowboys, voir n° 549 des Cahiers du cinéma, septembre 2000.