Archive pour le 9.12.2012

À Marseille pour parler de Daney, de Pialat…

dimanche 9 décembre 2012

Deux jours à Marseille. Frappé par la beauté incroyable de cette ville, qui ne ressemble à aucune autre ville de France. Il y a du mistral. Philippe Bérard vient nous chercher à la gare Saint-Charles, vendredi en fin d’après-midi. J’ai voyagé avec Patrice Rollet, nous participons ensemble à une « Carte blanche à Serge Daney » organisée par dfilms (elle dure jusqu’au 16 décembre, pour voir toute la programmation sur demande : dfilms@orange.fr). De la gare Saint-Charles jusqu’à notre hôtel, nous marchons une bonne dizaine de minutes. Nous descendons les escaliers de la gare en évoquant ensemble les scènes tournées par Jacques Demy dans son dernier film, Trois places pour le 26. Le temps de bavarder, avant le rendez-vous fixé à 19 heures au Centre international de poésie, Marseille, dans le quartier du Panier. Très peu de monde, nous sommes déçus. Cela n’empêche pas la conversation entre Patrice Rollet et moi d’être amicale et profonde. Chacun à notre tour, nous évoquons le parcours de Serge Daney, d’abord aux Cahiers du cinéma, puis à Libération, enfin à Trafic. Je me souviens que Serge Daney, malade, avait été invité à Marseille en février 1992. Il était venu parler de cinéma, de son expérience de critique, et de son projet de fonder une nouvelle revue, qui sera Trafic. Je lui avais donné rendez-vous à Aix-en-Provence, et nous avions passé un long week-end à faire un très long entretien pour un livre à venir dont il avait choisi le titre : Persévérance. Serge mourut avant de terminer de réécrire cet entretien. Persévérance parut deux ans plus tard chez POL, l’éditeur de Serge Daney.

Vendredi soir, il a été question des années 70, de la fin de la période noire et triste des Cahiers, de la volonté de Serge de prendre en charge la revue. Je me souviens de cette réunion historique, dans le bureau des Cahiers du cinéma, encore installés rue Coquillière. Réunion de crise. Qui veut bien se charger de la revue ? Serge avait levé la main, timidement, en disant qu’il avait du temps devant lui. Aucune volonté de pouvoir, aucune volonté de se mettre en avant. Juste le dévouement : Serge avait du temps, il revenait de longs voyages solitaires à travers le monde. Il avait enfin trouvé son port d’attache : cette revue pour laquelle il avait le désir de consacrer toute son énergie. Le temps du cinéma allait revenir, patiemment. Serge allait prendre un réel plaisir à « faire les Cahiers », à les fabriquer de ses mains. Cela correspond pour moi à un temps de formation, d’apprentissage. J’étais heureux d’être à ses côtés. Le dialogue avec Patrice Rollet dure plus d’une heure. Il aurait pu durer bien davantage encore.

Samedi, Philippe Bérard m’emmène au cinéma l’Alhambra, la belle salle municipale de L’Estaque. J’y présente L’Enfance nue de Maurice Pialat. Je revois le film avec émotion, tellement ce film est fait sur l’arrachement, le caractère irréductible de l’enfance abandonnée. Dès son premier long métrage, Pialat filme au plus près de l’os. Pas de graisse, aucun pathos. Le petit François, il faut le prendre tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. « Sournois et vicieux », dit de lui la mère adoptive qui s’en débarrasse, après qu’il ait tué, par pure cruauté, le chat noir de sa fille Josette. François retourne à l’Assistance publique, avant d’être placé chez les Thierry, ce couple magnifique qui l’aime comme un fils. Mais François continue de faire des bêtises.

Après la projection j’évoque le cinéma de Pialat, la relation qui nous liait, au fil des années, complexe mais dense, jusqu’à sa mort le 11 janvier 2003. Je parle de l’hommage que nous rendrons en février 2013 au cinéaste, avec l’intégrale de son œuvre et l’exposition de ses peintures, mais aussi de ses archives que Sylvie Pialat a confiées à la Cinémathèque française. Pialat et la peinture. Pialat et le cinéma. Pialat et la Nouvelle Vague. Irréductible Maurice Pialat. Génial Maurice Pialat.

P.S.: Un autre hommage à Serge Daney se déroule à Marseille, organisé par Extérieur  Nuit (Michèle Berson), intitulé : « Serge Daney, une pensée en forme de boussole ». Du 16 novembre au 15 décembre 2012. Voir la programmation complète en allant sur : http://www.exterieurnuit.fr/programme-complet.html

Étrange situation de la cinéphilie marseillaise, qui propose deux initiatives simultanées, toutes deux consacrées à Serge Daney. Manque de coordination ? Rivalités locales ? Impossible de comprendre…