Archive pour le 30.12.2012

Après lecture du texte de Vincent Maraval dans Le Monde

dimanche 30 décembre 2012

Comme beaucoup, j’ai lu le texte de Vincent Maraval paru dans Le Monde (daté du samedi 29 décembre 2012). Il commence fort, ce texte, et il fait très mal : « L’année du cinéma français est un désastre. » Du genre à saper les futurs messages politiques que ne manqueront pas de prononcer, courant janvier, Eric Garandeau, président du CNC, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, à l’occasion de leurs vœux aux professionnels du cinéma et de la culture.

L’un et l’autre auront beau dire que la fréquentation des salles en France aura été une fois encore plutôt bonne, en 2012 – pour la quatrième année consécutive, elle dépasse le chiffre de 200 millions de spectateurs -, le mal est fait. Et le mal provient de ce texte polémique de Vincent Maraval, patron de Wild Bunch, qui n’est pas un habitué des tribunes libres, ce qui donne davantage encore de crédit et de poids à sa charge sur le thème « les acteurs français sont trop payés ! ». Maraval est un professionnel du cinéma connu et respecté, il pèse lourd dans la production et la distribution de films et la vente de films français à l’étranger. Il est donc à peu près certain que son texte fera non seulement polémique – elle a d’ailleurs déjà commencé – mais des ravages dans les sphères du pouvoir politique, et parmi les ténors de l’industrie du cinéma. Nul doute que les corporations du cinéma, par le biais des syndicats de producteurs et de distributeurs, des sociétés d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs, et autres, ne tarderont pas à réagir. Car il y a péril en la demeure.

L’attaque de Vincent Maraval est facile, presque trop payante. En affirmant que les acteurs français sont trop payés, exemples à l’appui (Dany Boon, Daniel Auteuil, parmi d’autres), il est sur de taper fort et de toucher large. À le croire, nos stars seraient mieux payées que les acteurs américains, dont les films ont un rayonnement commercial autrement plus large car distribués dans le monde entier. La « valeur marchande » des acteurs français serait davantage fixée par le marché audiovisuel (les télévisions publiques et privées) que par le marché du cinéma proprement dit. D’où l’inflation des cachets et des coûts, et plus globalement le surfinancement des films.

Mais le raisonnement curieusement est court, limité. Certes, les films français sont trop chers. Le coût moyen d’un film (5,4 millions d’euros) devient exorbitant, mais cela n’est pas seulement dû aux cachets des acteurs. Pourquoi ne pas parler de celui des producteurs, par exemple des 10% d’imprévus qui pèsent sur chaque film, calculés sur la totalité du budget, salaires des acteurs inclus ? S’il y a inflation des prix, elle se répartit logiquement sur tous les postes de production des films.

Mais le plus grave, à mon sens, c’est que le coup de balai de Maraval risque de montrer du doigt tout le système de financement du cinéma français, qui fonde son « exception culturelle » : l’obligation imposée aux chaînes publiques et privées de participer au financement des films. À force de répéter que le cinéma décline à la télévision, supplanté par « Les Experts et la Star Ac », les politiques auront beau jeu de remettre en cause tout l’arsenal juridique mis au point depuis de longues années pour protéger la production française, avec les résultats que l’on connaît : plus de 200 films français produits chaque année, une part de marché non négligeable, ce qui fait du cinéma français un cas unique dans le monde. Comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? Comment, par exemple, faire enfin approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs d’accès, dont la contribution au financement du cinéma est un élément stratégique aujourd’hui ?

Vincent Maraval aurait dû être plus nuancé, et mieux cibler son attaque. Et surtout faire des propositions. Il en fait, une à la fin de son texte : le plafonnement du cachet des acteurs et des réalisateurs, « assorti d’un intéressement obligatoire sur le succès du film ». L’idée est bonne. Mais elle arrive en fin d’un texte à charge, qui donne un sentiment d’amalgame. Enfin, ne sont jamais évoqués dans le texte de Vincent Maraval ces films français, et ils sont nombreux, qui ont du mal à se financer, produits avec difficultés dans les marges du système, ne trouvant plus ou presque de financement auprès des chaînes de télévision. Les seuls exemples donnés dans son texte sont les « grosses machines », Astérix, Pamela Rose, Stars 80, Le Marsupilami, Populaire ou La vérité si je mens 3, qui font souvent plouf à l’étranger. Heureusement, le cinéma français ne se résume pas à ces films trop chers et, selon Maraval, déficitaires. Heureusement, il y a Holy Motors, Après Mai, Camille redouble ou Vous n’avez encore rien vu, parmi beaucoup d’autres films français, qui ne tombent pas sous le jugement prononcé par Maraval, et qui sont des œuvres qui resteront. Toute œuvre véritable naît à partir de contraintes. Le débat est ouvert et chacun va y aller de sa contribution. Risque d’une grande pagaille. Mais il est urgent de retrouver le sens de l’équilibre, sans quoi le cinéma français sera saisi d’un grand vertige.

2012 s’achève, je présente tous mes voeux aux lecteurs de ce blog pour l’année 2013.