Archive pour le 26.07.2008

Truffaut on the Air

samedi 26 juillet 2008

Je ne me suis pas beaucoup occupé de mon blog en juillet. J’avais la tête ailleurs. David Kessler, le patron de France Culture, m’a proposé il y a quelques mois de concevoir une série d’émissions sur François Truffaut. Diffusion prévue durant l’été. Je ne sais pas ce qui m’a pris de dire oui. Sans doute le désir de relever le défi. Il a bien fallu se mettre au travail. Ça s’appelle : Grande Traversée. La diffusion commence après-demain, lundi 28 juillet. Pendant toute la semaine : de 9h du matin jusqu’à midi trente. Truffaut on the Air. 3 heures et demie d’émission, d’une seule traite. Bigre !

J’adore la radio. On y jouit d’une liberté incroyable, l’outil est à portée de main, à portée de voix. Mais il faut tout faire soi-même. Par chance, j’ai travaillé avec une réalisatrice épatante, Manoushak Fashahi, douée, précise, qui s’est totalement investie dans cette série. Sans elle je n’aurais rien pu faire. Seize heures trente d’émissions sur Truffaut, cela fait une somme. Très vite j’ai divisé mon projet en cinq parties ou cinq thèmes. À raison d’un par jour.

1.      Le temps de la critique.

2.     Le roman autobiographique.

3.     La cause du cinéma.

4.     L’homme cinéma.

5.     L’après Truffaut.

Ensuite, nous avons découpé chaque matinée en quatre tranches. Une première heure uniquement consacrée à des archives radiophoniques : Truffaut parlant de cinéma, de son enfance, de sa formation cinéphile, de ses premiers texte critiques, des cinéastes qu’il admire : Guitry, Renoir, Ophuls, Rossellini, Hitchcock… De films qui l’ont marqué dans son enfance, comme Les Visiteurs du soir de Carné, plus tard de Citizen Kane de Welles, Les Dames du bois de Boulogne de Bresson, et surtout La Règle du jeu de Renoir. De la Cinémathèque et d’Henri Langlois… Et bien sûr de ses films, des acteurs, de Léaud, de Deneuve et Belmondo… À partir de 1959, l’année des Quatre Cents Coups, il est régulièrement convié à la radio pour parler de ses films. On sent combien il aime la radio, combien il s’y sent à l’aise. Sa pensée est fluide, ses idées circulent, il aime l’échange et prend chaque question au sérieux, ne s’offusque jamais de rien, son ton est passionné, fervent, chaleureux. Il parle avec passion de ses films, et tout le monde est à même de l’entendre et de comprendre. Je ne vois aucun autre cinéaste autant à l’aise que lui. Dans certains entretiens on sent une légère inquiétude, une forme d’intranquillité. On le sent obsédé, entièrement tourné vers son travail, à la recherche d’une harmonie.

Il y a des archives formidables à l’INA, des « Masque et la Plume » d’anthologie. Par exemple, une émission en direct réalisée en 1964 au moment de la sortie de La Peau douce. Georges Charensol « se paye » le film avec des arguments grossiers. Le type qui n’a rien compris, mais content de lui. À ses côtés Georges Sadoul, Pierre Billard et Pierre Marcabru sont passionnants à écouter. Robert Benayoun finasse, on sent que le cinéma de Truffaut n’est pas sa tasse de thé. Soudain Michel Polac et François-Régis Bastide (qui produisent l’émission) annoncent que Truffaut est dans la salle. Il faut entendre la manière avec laquelle Truffaut renvoie Charensol à ses chères études… de cinéma. D’autres émissions formidables à réentendre, celle de Claude-Jean Philippe : « Le cinéma des cinéastes » où Truffaut fut régulièrement convié ; ou encore « Radioscopie » de Jacques Chancel. Tout cela est passionnant à ré-entendre.

La deuxième heure est consacrée à des débats. J’ai voulu réunir des personnes très diverses, parlant de Truffaut avec intelligence. Soit parce que certains l’ont bien connu : c’est le cas de Jean Gruault, toujours drôle et libre dans sa pensée, qui fut le scénariste de Truffaut sur cinq films – et non des moindres : Jules et Jim, L’Enfant sauvage, Les Deux Anglaises et le Continent, Histoire d’Adèle H. et La Chambre verte. C’est aussi le cas de Charles Bitsch (qui côtoya Truffaut aux Cahiers dans les années 50, et aussi à Arts), Jean Douchet et Jean Narboni. Soit des personnes plus jeunes, comme Carole Le Berre, qui a écrit il y a quelques années un livre très fouillé, dense, hyper documenté : Truffaut au travail (Cahiers du cinéma) ; ou encore Frédéric Bas, jeune critique dont j’aime beaucoup la liberté de ton et l’absence totale de préjugé critique. Frédéric Bas est aussi prof d’histoire au Lycée/Collège Henri Bergson à Paris (dans le 20è arrondissement). Quand je lui ai demandé s’il accepterait de montrer Les Quatre Cents Coups à ses élèves de 4è, il a dit oui avec enthousiasme. Cela donne un documentaire passionnant, qui dure une heure, où des adolescents parlent d’Antoine Doinel, de ce qu’ils ressentent de l’école, de leur besoin de liberté. J’avais aussi envie de convier des cinéastes pour parler de Truffaut : Olivier Assayas et Arnaud Desplechin, parce que j’ai déjà eu l’occasion de les entendre parler du cinéma de Truffaut – ils en parlent formidablement bien. Et aussi Vincent Delerm, le chanteur, dont je savais qu’il était un fan de Truffaut.

La troisième heure est consacrée à un documentaire, exercice à base de montage d’éléments disparates : documents sonores, extraits de films, propos enregistrés, musiques de films. Passionnant à faire, mais délicat car il s’agit de concevoir une forme ou un récit radiophonique. Outre celui réalisé au Collège Bergson, j’ai voulu plonger dans les archives de Truffaut en faisant parler trois documentalistes chevronnés de la Bibliothèque du film de la Cinémathèque (Géraldine Farghen, Karine Mauduit et Régis Robert). Passionnant de relire ou de revoir le parcours du cinéaste à partir de ses archives. Le processus même de création devient concret, palpable, presque physique. Un autre documentaire, cette fois réalisé à Cannes en mai dernier. J’ai demandé à pas mal de cinéphiles et de cinéastes de dire ce qu’ils pensaient, à brûle pourpoint, de « l’après Truffaut ». Luc Dardenne, Jerzy Skolimowski, Wim Wenders, Jean-Pierre Mocky, Bertrand Bonello, Thierry Frémaux, Dominique Païni, le critique américain Kent Jones…

De midi à midi tre
nte, chaque jour durant la semaine, un épisode des fameux entretiens réalisés par Truffaut avec Alfred Hitchcock en 1962, destinés au livre à venir : Le cinéma selon Hitchcock, paru en 1966 chez Robert Laffont (puis réédité par la suite par Truffaut, dans une édition augmentée). De ces entretiens dont nous avions retrouvé les bandes magnétiques, nous en tirâmes, mon ami Nicolas Saada et moi, une série d’émissions pour France Culture, en 1999 à l’occasion du Centenaire de l’auteur des Oiseaux.

La radio et le cinéma fonctionnent très bien ensemble. La parole de et sur le cinéma y est plus facile, mieux acceptée qu’à la télévision. D’abord parce le temps n’y est pas le même. L’écoute non plus. À la radio on peut écouter quelqu’un parler sans interruption, à condition que le propos soit fluide, la voix chaleureuse, le questionnement pertinent. Les silences, les hésitations, les rires, la timidité, la complicité ou au contraire le malentendu : tout s’entend. Et tout passe. C’est ce qui m’a donné envie de concevoir cette série sur Truffaut. Je savais qu’il existait beaucoup de matériel et qu’il suffisait de l’organiser, de le ranger, de faire des choix. J’espère ne pas m’être trompé. Mais je ne doute pas que Truffaut à la radio, ça passe.