Archive pour le 14.07.2008

Lola Montès à la Villa Médicis

lundi 14 juillet 2008

Il y avait beaucoup de monde, vendredi soir 11 juillet à la Villa Médicis, sur les hauteurs de Rome, pour découvrir la version restaurée de Lola Montès, le film de Max Ophuls. Entre cinq et six cents personnes. Si bien qu’il fallut rajouter des chaises. Richard Peduzzi, l’encore directeur des lieux (Frédéric Mitterrand, qui lui succède, prendra ses fonctions le 1er septembre), n’en revenait pas, s’étant montré inquiet le jour même du fait de la chaleur qui s’abattait sur Rome et qui allait pousser les habitants à fuir la ville en ce début de week-end pour rejoindre les bords de mer. La projection du film de Max Ophuls, quelques jours auparavant à Bologne sur la piazza grande (quatre mille spectateurs !), dans le cadre du festival « Il Cinema ritrovato », avait sans doute eu pour effet d’attiser la curiosité des cinéphiles romains. Lili Hinstin, qui s’occupe des programmes cinématographiques de la Villa Médicis, avait conçu une impeccable programmation en plein air : hommage à Jacques Tati avec Mon Oncle et Les Vacances de monsieur Hulot ; autobiographie romaine de Fellini en trois films : La Dolce Vita, Fellini Roma et Intervista, plus une programmation de films en Cinémascope : Pat Garett et Billy the Kid de Sam Peckinpah, A Star is Born de George Cukor, North by Northwest d’Hitchcock et Mc Cabe and Mrs. Miller de Robert Altman.

Lola Montès venait conclure en beauté cette programmation « bigger than life ». Nous étions ravis d’être là, Séverine Wemaere (Fondation Thomson), Alejandra Skira Norembuena (Fonds Culturel Franco Américain) et moi, aux côtés de Richard Peduzzi, de Lili Hinstin et de Pascal Thomas, qui eut l’idée de proposer cette programmation de Lola Montès à Rome. La nuit est tombée vers 21h30 et la projection commença. Un grand écran posé contre la muraille dans la sublime cour de la Villa. Temps de rêve. Bruit assez doux et discret du projecteur 35 millimètres, ne gênant aucunement l’écoute et la vision du film, rappelant au passage le caractère éphémère et fragile du dispositif cinématographique (avec le nécessaire changement de bobine obligeant à une interruption, sorte d’entracte auxquels les spectateurs romains sont habitués depuis toujours).

Revoir Lola Montès dans ce sublime décor ajoute indéniablement à la beauté du film, qui lui-même traverse quelques jolis lieux en fonction des pérégrinations de la Comtesse de Lansfeld, dite Lola Montès (Martine Carol). Lorsqu’elle arrive en Italie avec son amant infatué, le beau Franz Liszt (Will Quadflieg), son cocher Maurice (Henri Guisol) ne peut s’empêcher de maugréer et de pester contre la nourriture italienne : ils mettent trop d’huile et mangent trop de pâtes… Ce qu’il est aisé de démentir. C’est la partie munichoise que je préfère dans le film d’Ophuls. J’adore la scène avec le roi Louis 1er de Bavière (Anton Walbrook), lorsque celui-ci, conquit par la beauté et le culot de cette courtisane, décide qu’elle restera le plus longtemps possible à sa portée. Il organise le choix du peintre qui fera d’elle son portrait, en visite plusieurs et finit par accorder cette faveur à celui qui mettra le plus de temps à réaliser son tableau, tableau que le roi lui-même fera en sorte qu’il soit le plus scandaleux possible, donc inmontrable.

Le film d’Ophuls connut l’échec lors de sa sortie en décembre 1955. On peut dire que le cinéaste ne s’en remit pas. D’ailleurs il mourut moins de deux ans plus tard. On peut s’interroger : est-ce qu’un film « maudit » porte encore les traces de son échec, un demi siècle plus tard ? Je l’ignore. Mais je crois être sincère en disant que je revois ce film avec un œil différent, sachant qu’il a connu l’injustice et les amputations successives. Je le revois avec l’envie de le sauver, de lui redonner pleinement et majestueusement sa chance. En même temps, j’essaie de voir ce que le public d’alors refusa de voir : la construction du récit en gigogne, fait de flashbacks, le caractère scandaleux et amoral du personnage incarné par Martine Carol (actrice très populaire, jusqu’à ce qu’elle soit « détrônée » par Brigitte Bardot). Ce qui est frappant, et nous le voyons d’autant mieux aujourd’hui que cette magnifique restauration redonne toute leur splendeur aux couleurs et aux décors, c’est le décalage entre la mise en scène d’Ophuls, allègre et pour ainsi dire rythmée et toute en arabesque, et la tristesse de cette histoire d’une femme exhibée comme un animal de foire, que le public paye pour voir et toucher. Société du spectacle. Oui, Ophuls avait tout compris de cette société du spectacle, et peut-être s’attendait-il à ce que le public ne fasse pas honneur à son film, à son œuvre. Qui le saura jamais ?

Bonne nouvelle pour terminer : Lola Montès sortira en salle à Paris début décembre. Ce ne sera pas en plein air, mais dans de bonnes salles, sans doute à l’Arlequin et au Publicis.