Archive pour le 23.02.2009

Michel Legrand au piano

lundi 23 février 2009

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Je rêvais d’accueillir un jour Michel Legrand à la Cinémathèque. C’est fait ! Non seulement c’est fait, mais avec la manière.

Grâce à lui. On n’est pas près d’oublier le concert de musiques de film que Michel Legrand a donné le 4 février dernier, à la Cinémathèque, avec une formation en trio : André Ceccarelli à la batterie, Thomas Bramerie à la contrebasse et Michel Legrand au piano. En ouverture de la programmation qui lui est dédiée, et qui se termine dans quelques jours. Et avant les deux concerts que Michel Legrand s’apprête à donner Salle Pleyel (les 27 et 28 février). Pour le concert de la Cinémathèque, Legrand avait également convié Catherine Michel à la harpe (ils jouèrent en duo des morceaux de Yentl de Barbra Streisand, du Messager de Losey et d’Un été 42 de Robert Mulligan) et sa sœur Christiane Legrand, qui chanta quelques extraits des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort. Christiane Legrand a été une voix, reconnaissable entre toutes, dans les films de Demy. Elle a été Mme Emery (Anne Vernon), la maman de Geneviève alias Catherine Deneuve, dans Les Parapluies de Cherbourg; elle a aussi été la « fée des Lilas » alias Delphine Seyrig, dans Peau d’âne. Sur la scène, tout cela était fait, joué et chanté avec joie et allégresse. Un moment délicieux, entre amis. La salle Henri Langlois était pleine, le public attentif et conquis. Rendre hommage à des compositeurs de musiques de films est nouveau à la Cinémathèque (avec le précieux concours du Fonds d’action Sacem : remerciement tout particulier à Alejandra Norambuena Skira). Nous avions inauguré ce cycle avec Antoine Duhamel, en février 2007. Il était logique que vienne le tour de Legrand. Pourquoi logique ? Parce que les musiques de Michel Legrand nous accompagnent depuis un demi-siècle. Elles font partie de notre relation intime avec le cinéma, elles jouent dans nos oreilles quand nos yeux dévorent sur l’écran les films de Godard, Demy, Varda, Rappeneau et tant d’autres. Legrand est un immense pianiste, la musique est pour lui comme un envol, un moment intense de liberté, une aventure lyrique. Combien de films a-t-il ainsi accompagnés ? Plus de deux cents. C’était un bonheur de le faire parler de sa vie, de son trajet musical, de sa collaboration magnifique avec Jacques Demy lors d’une rencontre publique qui dura toute la journée du 7 février. J’étais aux côtés de Stéphane Lerouge, qui a joué un rôle essentiel dans cet hommage. Stéphane Lerouge est « monsieur Musiques de Films », il les connaît sur le bout des doigts, pour les éditer avec ferveur chez Universal Jazz depuis des années. Le magnifique coffret « Le cinéma de Michel Legrand » avec 4 CD, c’est à Stéphane Lerouge que nous le devons – je vous le recommande chaudement. Lerouge retrouve des musiques que les musiciens eux-mêmes n’ont plus ou ne se souviennent plus. Avec Stéphane Lerouge, nous avons eu l’idée de faire entendre au public de la Cinémathèque une musique de film composée par Michel Legrand pour le film de Richard Lester, La Rose et la Flèche (Robin and Marian, 1976, avec Sean Connery et Audrey Hepburn). La musique de Legrand est incroyable, magnifique, sauf que Lester l’avait refusée. Par manque de courage, nous confia Legrand. Il était intéressant de montrer l’extrait du film, le moment où Robin des Bois blessé va mourir. Avec la musique retenue par Lester, composée par John Barry, et la même scène avec la musique refusée par le réalisateur – celle de Legrand. Comme on dit : y’a pas photo ! Un des moments les plus émouvants fut celui où Legrand évoqué Nadia Boulanger, qui fut sa professeur de musique au Conservatoire de Paris. Il m’a semblé qu’il avait les larmes aux yeux en évoquant ces années de formation, qui furent avant tout des moments de vie. La figure de Cocteau planait au-dessus, trait d’union de cette génération : Legrand, Jacques Demy, Truffaut, Godard. Cocteau, celui qui les encouragea à passer à l’acte.

Samedi, c’est-à-dire avant-hier, j’étais curieux de découvrir le seul film réalisé par Michel Legrand : Cinq jours en juin (1988). Le récit, largement autobiographique, concerne cette période très précise de l’Histoire : le débarquement du 6 juin 1944. Ce même jour le jeune Michel Legrand passe à Paris son concours du Conservatoire et est reçu parmi les trois premiers. Jour de joie personnelle et jour de joie collective : la France est libérée. Le jeune Legrand sera musicien. La mère (Annie Girardot, Marcelle dans le film) accompagne son fils au concours. Sauf qu’il faut regagner Saint-Lo, et que les trains ne partent plus à cause des bombardements. Comment faire pour rejoindre la Normandie, quand plus rien ne fonctionne ? Une jeune femme, pétulante et jolie, vive, elle se prénomme Yvette – mais est-ce son vrai prénom ? – se présente à eux, enceinte, habillée d’une robe légère, élégante et rose, à fleurs. C’est Sabine Azéma (époustouflante). Les trois décident d’emprunter des vélos qui ne leur appartiennent pas et de prendre la route. Le film de Legrand raconte sur un mode picaresque cette traversée de la campagne française. Les relations entre les trois personnages. La mère toujours soucieuse, garante de l’autorité familiale. Yvette, délurée et audacieuse, qui laisse naître chez le jeune Michel des sentiments amoureux qu’elle encourage ou du moins qu’elle ne censure pas. Il y a comme une évidence dans ce film : l’absence du père. On apprend que le père est lui aussi musicien mais qu’il a quitté la famille sans laisser d’adresse. Michel Legrand règle un peu ses comptes avec son propre père, Raymond Legrand, chef d’orchestre à qui il ne doit rien. Son talent, son goût pour la musique classique (Chopin) et le jazz, Michel Legrand ne le doit qu’à lui-même. Il le confirmera lors de notre discussion publique à la Cinémathèque, au point d’en faire un adage : ne rien devoir au Père ! Un détail formidable dans son film concerne justement la musique. Celle-ci n’intervient que lorsque le personnage de Michel Legrand joue lui-même du piano, parce que la situation le demande. Au début, pendant le concours du Conservatoire. Plus tard, dans un hôtel de province, une fois que la mère d’une légère et très discrète caresse sur la main encourage son fils à jouer du piano. Et à d’autres reprises encore. A chaque fois, la musique est un élément matériel de la fiction proprement dite. Elle intervient en intelligence ou en harmonie avec le récit. Elle n’accompagne pas le film : elle est le film. A la fin, la mère et le fils ont réussi à rejoindre Coutances, Yvette s’apprête à partir, ne voulant pas semer trop d’illusions dans le cœur du jeune homme qui est fou amoureux. C’est la débâcle allemande, les soldats américains sont là, on joue du piano, le jazz fait irruption, on danse, on boit, on fraternise. Les soldats noirs américains promettent au jeune Legrand une belle carrière américaine. L’Amérique lui tend les bras, elle l’attend ! Sur un plan aérien qui voit de haut Yvette partir en vélo, une chanson de Ray Charles spécialement composée pour le film : Loves makes the changes. Musique de Michel Legrand, sur des paroles d’Alan et Marilyn Bergman. Michel Legrand à la Cinémathèque, c’est le cinéma en musique, changeant de couleur et de rythme, s’inventant et se réinventant sans cesse. Michel Legrand, « cette fontaine à musique » dont parlait son ami Demy.

 

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