Archive pour le 27.02.2009

Acteurs studieux

vendredi 27 février 2009

Dans Le Monde daté du 25 février 2009, jour de sortie de Bellamy, le nouveau Chabrol, excellent entretien avec Gérard Depardieu. Comme si le fait de tourner avec Chabrol lui redonnait goût au cinéma. Au plaisir du cinéma. Depardieu utilise une belle formule pour parler des acteurs lorsqu’il dit : « J’ai été pris en stop par des cinéastes d’envergure, ma vie n’est qu’une succession de rencontres, mais lui (il parle de Chabrol), il manquait à ma chaîne familiale. On s’est reniflés pendant cette année où il a écrit ce scénario, en composant un personnage qui est un peu Simenon, un peu Chabrol, et un peu moi. »

Se faire prendre en stop : existe t-il formule plus parlante pour parler des acteurs, de la place des acteurs dans la voiture cinéma ? Evidemment qu’il a raison Depardieu ! Les acteurs font du stop. Imaginons-les sur le bord de la route (du cinéma), le pouce levé en train d’attendre qu’une voiture s’arrête pour les prendre à bord. Tiens voilà Pialat qui passe, pourvu qu’il s’arrête ! Là c’est Truffaut, Ferreri, Blier, Rappeneau, Berri, Corneau, etc. On ne compte plus les bagnoles dans lesquelles Depardieu est monté. Il s’est parfois et même souvent gouré, prenant une voiture à la place d’une autre, ou bien il est monté sans faire attention au chauffeur. Mais qu’est-ce qu’il a roulé Depardieu ! C’est l’acteur français qui a le plus de kilomètres au compteur. N’empêche qu’il dit juste. C’est à peu près ça le rôle d’un acteur : se faire prendre en route pour faire un bout de chemin avec le film, le temps du tournage. Ensuite, tout le monde descend. Le cinéaste poursuit seul sa route, avec son monteur ou sa monteuse, afin que le film arrive à bon port. Les acteurs font du stop. Il fut un temps où certains disaient qu’ils faisaient le trottoir. C’est la même image, mais celle-ci est plus méchante, cruelle. Depardieu, qui a un du tact, emploie une formule autrement plus poétique. Cet homme est fin, hyper sensible, délicat. Il m’est arrivé de l’interviewer longuement, on ne se lasse pas de l’écouter. Il se perd parfois dans les brumes, alors il improvise, se transforme en funambule, mais il est fondamentalement libre.  

Mercredi en fin d’après midi, Gilles Jacob et Thierry Frémaux invitaient conjointement à une cérémonie un peu étrange dans un salon du Fouquet’s. Il s’agissait de remettre à Clint Eastwood, de passage à Paris à l’occasion de la sortie de Grand Torino, une Palme d’or un peu spéciale, réservée à des personnalités hors pair. Ingmar Bergman l’avait obtenue il y a quelques années, de même que Manoel de Oliveira l’an dernier. Sorte de récompense honorifique pour des cinéastes en fin de carrière. Mais Eastwood, 78 ans, en pleine activité, réalise film sur film à raison d’un par an. Incroyable vitalité. Tout comme Oliveira d’ailleurs. En 2008, Eastwood était en compétition officielle à Cannes avec L’Échange, qui ne fut pas retenu au palmarès du jury présidé par Sean Penn. Comme ne l’avait pas été non plus Mystic River il y a deux ans. Ni Bird en son temps. Si j’ai bien compris, Cannes rattrape le coup en lui attribuant un trophée honorifique, manière de reconnaître sa stature d’artiste. Le message de Gilles Jacob s’adresse peut-être aussi aux jurés qui ne l’ont pas reconnu à sa vraie valeur. Très gentleman, Clint Eastwood remercia ses hôtes et rendit hommage à la France et au cinéma français. Mal compris dans son propre pays lorsqu’il commença à réaliser des films (à la fin des années soixante avec Play Misty for Me), Eastwood fut reconnu chez nous à sa juste place, celle d’un réalisateur audacieux et personnel. Puis, de film en film, sa consécration en tant qu’auteur s’affirma. Le Festival de Cannes l’a plus d’une fois invité à montrer ses films en compétition. Pale Rider en 1985 avait obtenu un Prix de la mise en scène. C’est à peu près tout. Grand Torino est son plus gros succès commercial aux Etats-Unis, et le film démarre bien en France.

Vendredi midi, Dustin Hoffman se faisait décorer par la ministre de la culture, Christine Albanel. Commandeur dans l’ordre des Arts et lettres. Discours élogieux de la ministre retraçant la carrière de l’acteur, depuis Le Lauréat, Macadam Cowboy, Little Big Man, Straw Dogs, Les Hommes du Président, Tootsie, Kramer vs. Kramer, Rain Man, Marathon Man, Mad City, etc. Une des plus belles carrières d’acteur. Dustin Hoffman prit la parole pour dire ce qu’il devait au cinéma français. Jeune élève acteur à New York vers la fin des années cinquante, il découvrit dans une salle de répertoire à Broadway les films de la Nouvelle Vague, le cinéma néoréaliste italien (De Sica, Fellini), cita Les Enfants du paradis et Jeux interdits comme des films marquants pour lui. Il rendit hommage à Truffaut et avoua qu’il avait découvert la semaine dernière Madame de… de Max Ophuls, avec le grand Charles Boyer, Vittoria de Sica et Danielle Darrieux. En plein milieu de son discours, Dustin Hoffman s’arrêta, trop ému pour continuer. Il prit son temps, puis reprit, toujours sur le même thème : l’éloge du cinéma français, à qui lui comme beaucoup d’autres acteurs de sa génération doivent tant.

Dustin Hoffman sera présent vendredi soir à la Cérémonie des Césars et recevra un César d’honneur. Il ne risque pas de croiser Dany Boon, l’acteur le plus populaire (el le mieux payé, si l’on en croit Le Figaro) du cinéma français. Dany Boon a fait récemment des déclarations fracassantes pour annoncer qu’il ne se rendrait pas à la cérémonie des César parce que son film, Bienvenue chez les ch’tis, n’était pas nominé (excepté dans la catégorie du meilleur scénario). C’est son droit à Dany Boon de bouder. Son fauteuil restera vide. Il ne croisera pas Dustin Hoffman, ni Sean Penn, également annoncé pour remettre un prix ce soir. C’est triste pour Dany Boon…

PS : Dany Boon a finalement joué le jeu et il a eu bien raison. Tout en n’y étant pas (dans la salle), il y était. Sur scène, il a remis le César du premier film.