Archive pour le 5.01.2011

Hitchcock, Hitchcock, Hitchcock

mercredi 5 janvier 2011

La rétrospective Hitchcock démarre aujourd’hui à la Cinémathèque. Et elle a commencé hier à l’Institut Lumière à Lyon. Cela n’est pas un hasard, mais le fruit d’une concertation amicale et fructueuse entre les deux institutions. La décision a été prise de longue date. Lorsque Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière, m’a alerté, il y a plusieurs mois, à propos de la parution à venir d’une nouvelle biographie consacrée à Alfred Hitchcock, après celle qu’avait écrite Donald Spoto en 1983, parue en 1989 sous le titre : « La face cachée d’un génie, la vraie vie d’Alfred Hitchcock ». Je n’ai pas encore lue celle de Patrick McGilligan, qui sort dans quelques jours chez Actes Sud/Institut Lumière, dont on dit déjà le plus grand bien. Son titre est déjà plus musical, poétique, moins tapageur que celui de D. Spoto : « Alfred Hitchcock : Une vie d’ombre et de lumière ». Car je ne crois pas un seul instant que la vie d’Hitchcock ait été scandaleuse. Un homme qui a tant travaillé, fait tant de films (plus de cinquante, sans compter les séries pour la télévision), a nécessaire été occupé, préoccupé par son travail, qui prenait chez lui la forme véritable d’une obsession. Hitchcock était un homme qui allait tous les matins à son travail, chez Universal où il avait son bureau. Qu‘il ait eu des fantasmes, qu’il ait fait de nombreux rêves, et à mon avis davantage encore de cauchemars, c’est à n’en pas douter : toute son œuvre est traversée par le rêve et le cauchemar, mais de là à le jeter en pâture comme le faisait Spoto… Une vie d’ombre et de lumière, oui sans doute, car Hitchcock, sous l’influence de l’expressionnisme allemand qui marqua sa jeunesse, était effectivement un artiste de l’ombre et de la lumière. La métaphore vaut d’être filée à l’infini.

Plusieurs journalistes m’ont demandé ces derniers jours pourquoi la Cinémathèque programmait Tout Hitchcock. J’ai répondu aussitôt : Mais pour le plaisir ! Oui le plaisir, s’agissant d’Hitchcock, me paraît un argument suffisamment simple et éloquent, pour justifier une telle programmation étalée sur deux mois – je rappelle qu’il s’agit de l’intégrale du cinéaste. Au-delà du plaisir, la réflexion, la découverte de films moins vus, voire inconnus, et ce sentiment évident que personne n’a définitivement fait le tour d’une œuvre aussi dense, aussi complexe, aussi séduisante et terrifiante. Aussi inventive sur un plan formel. Je parie aussi que de très nombreux jeunes (et moins jeunes) admirateurs du cinéma d’Hitchcock n’ont pas toujours vu ses films sur grand écran, mais uniquement à la télévision ou grâce au DVD. Cette rétrospective est donc l’occasion de les découvrir dans la salle Henri Langlois, et c’est peu de dire qu’on y gagne largement au change : Hitchcock est un tel génie des effets visuels, que l’impact de ses plans est autrement plus fort, plus effrayant, lorsque l’on est spectateur dans une belle salle.

Il m’est donné de faire une conférence, lundi 10 janvier, et j’ai choisi d’aborder Hitchcock sous un angle assez particulier : comment le « Hitchcockisme » – terme assez barbare, j’en conviens – s’est imposé au sein de la critique française au début des années cinquante, via les Cahiers du cinéma. Ce qu’il est intéressant de retracer, c’est au fond le combat de quelques-uns, Rohmer en tête, mais aussi Alexandre Astruc, Rivette, Chabrol, et bien sûr Truffaut, pour imposer Hitchcock comme un auteur, à l’égal de ces cinéastes alors vénérés : Renoir, Rossellini et Lang. Combat, parce qu’il y avait de fortes résistances, à accepter de considérer Alfred Hitchcock comme un auteur de films.

Comme tous les cinéphiles, j’ai lu il y a fort longtemps le Hitchcock-Truffaut dans sa première édition, parue en 1966 chez Robert Laffont : « Le cinéma selon Hitchcock ». Format carré, très illustré, mise en page élégante. Ce livre était le premier du genre, à décliner ainsi sous la forme d’un très long entretien, film par film, où les questions techniques, de scénario, de mise en scène, de choix d’acteurs, étaient abordées avec intelligence, de manière concrète, à partir d’une connaissance inouïe de l’œuvre d’Hitchcock. La dernière édition en date, revue par Truffaut en 1983, est disponible chez Gallimard.

En 1992, tandis que nous réalisions un long métrage documentaire sur Truffaut, Michel Pascal et moi étions aux Films du Carrosse, les bureaux qui abritaient alors la société de production de Truffaut. En ouvrant par curiosité une armoire située dans le couloir de l’entrée, juste en face du bureau qu’occupait Truffaut jusqu’à sa mort en octobre 1984, nous fûmes intrigués par une grosse boîte d’archives en carton. À l’intérieur, plusieurs boîtes contenant des bobines sonores. Nous en plaçâmes une sur notre Nagra, et furent étonnés, ébahis, bouleversés d’entendre soudain la voix d’Hitchcock, puis celle de Truffaut, et entre les deux celle d’Helen Scott qui leur servait d’interprète : c’étaient les fameux entretiens qu’avait réalisés Truffaut en août 1962, dans le bureau d’Hitchcock à Universal. Un extrait figure dans ce documentaire : François Truffaut : Portraits volés.

Quelques années plus tard, en 1999, année du centenaire d’Alfred Hitchcock, je suis retourné aux Films du Carrosse avec une idée en tête : concevoir une série d’émissions à partir de ces bandes sonores. Madeleine Morgenstern m’a accueilli, avec sa grande gentillesse. Je lui ai dit mon idée, elle m’a laissé faire et même encouragé. J’ai embarqué cette grosse boîte d’archives contenant la cinquantaine de bandes sonores, et j’ai filé en voiture jusqu’au bureau de Laure Adler, à France Culture, maison qu’elle dirigeait alors. J’avais demandé à mon ami Nicolas Saada d’être complice : non seulement il parle parfaitement anglais, mais il connaît et admire le cinéma d’Hitchcock, périodes anglaise et américaine confondues. Pour convaincre Laure Adler, nous avons fait le même geste que celui que nous avions fait, sept ans auparavant, avec Michel Pascal : placer une des bandes sonores sur un magnétophone. Le son était impeccable, Laure Adler enthousiaste, et nous nous sommes mis au travail pour concevoir une série de 25 émissions ou modules de 26 minutes, à partir de ce matériel original, qui avait servi de base à l’édition du livre d’entretiens conçu par Truffaut.

Cette série existe sur internet, vous pouvez l’écouter en allant sur :

http://trombonheur.free.fr/Hitchcock-Truffaut/

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La vidéo de la Conférence « Comment pouvait-on être Hitchcocko-Hitchcockien » ?