Archive pour le 15.02.2012

Laurent Perrin et ses passages secrets

mercredi 15 février 2012

Comme de très nombreux amis, j’étais cet après-midi dans l’amphithéâtre du Père- Lachaise à l’occasion des obsèques de Laurent Perrin, mort il y a quelques jours à l’âge de 56 ans. Du monde debout, assis, tout autour, la famille et les proches devant. Sur un écran de télévision, un défilé d’images, en boucle. Sobre et d’une grande élégance. Beaucoup d’images, une sorte de pêle-mêle – Laurent à tous les âges, seul ou entouré d’amis, femmes, enfants, proches, actrices et acteurs de ses films. À toutes les périodes de sa vie. Et puis, mêlées aux images intimes ou aux nombreuses photos de voyages, des photos de ses ancêtres, des photos d’écrivains et artistes illustres qu’il aimait – Beckett, Kafka, Joyce, Proust, Freud, Bob Dylan, Miles Davis… -, l’ensemble dessinant un monde, un croisement de vies parallèles. Laurent Perrin était présent à travers toutes ces photos. Très beau jeune, légèrement empesé à l’âge d’homme, mais toujours serein et détendu, souriant et disponible. Et le fait que ces photos défilent durant plus d’une heure, le temps d’une cérémonie ou d’un dernier adieu, le rendait pour ainsi dire sinon vivant, du moins proche. Il était parmi nous, nous étions rassemblés autour de lui. Il nous regardait, autant que nous le découvrions. Et nous étions émus.

Ainsi, ce jeune homme que j’ai connu il y a plus de trente cinq ans, grâce à et par l’intermédiaire d’Olivier Assayas dont il était le meilleur ami, une sorte d’alter ego, quand l’un et l’autre au tout début des années 80 commencèrent à écrire aux Cahiers du cinéma, apportant un souffle nouveau, une nouvelle énergie et un autre regard sur le cinéma, ainsi donc était-il si multiple, si ouvert à une multitude de courants et d’influences, de passions. Ainsi donc, au vu de ce défilé d’images, avait-il plusieurs vies, dont je ne connaissais qu’une facette. Sans doute, la plupart des amies et amis présents, appartenant à plusieurs générations successives qui ont apprécié ses qualités d’homme et de cinéaste, ont-ils découvert comme moi les multiples facettes de la vie de Laurent Perrin. Il est étrange que ce soit à ce moment-là, quand il s’agit de célébrer les adieux, que l’on découvre ce qu’une vie peut recouvrir de territoires cachés, de mystères ou liens dissimulés, en un mot de passages secrets.

Sa fille Judith, Inès et Félix, les enfants de sa compagne Martine, et Nathalie Richard (qui joua dans 30 ans, le dernier film réalisé par Laurent en 2000) ont lu des extraits de ses carnets intimes, révélant un véritable écrivain, un observateur amusé de la vie quotidienne, sous l’angle de la politique comme du cinéma. Un autre de ses dons. Ces lectures étaient entrecoupées de bandes sonores, car la musique, avec la littérature, et bien sûr le cinéma, était l’autre passion de Laurent Perrin.

Olivier Assayas rappela avec une grande émotion, dans quelles conditions il fit la connaissance de Laurent Perrin, en 1976, lorsque tous deux étaient stagiaires ou troisièmes assistants, sur le tournage à Londres, puis en Hongrie, du film de Richard Fleischer Crossed Swords (Le Prince et le Pauvre). Ce qu’il y avait d’émouvant, c’était d’écouter Olivier dire ce qu’il devait à son ami, déjà plus sûr de son désir de faire du cinéma, et l’entraînant dans cette aventure. L’un et l’autre avaient à peine vingt ans. Michka Assayas joua avec son fils Antoine quelques morceaux, la sono était déplorable, cela ressemblait à un film tchèque des années 60… Moment live ô combien vivant, qui nous fit du bien.

Laurent Perrin n’aura réalisé, tout compte fait, que quelques films, une poignée. Passage secret laissait promettre une belle carrière. Laurent a ensuite réalisé Buisson ardent (prix Jean Vigo en 1987), Sushi Sushi, 30 ans, et quelques documentaires, dont le beau portrait de Dominique Laffin, l’actrice de ses débuts. Entre ces films, il a vécu plusieurs vies, avec passion et intelligence. Sans doute avait-il des regrets, ceux de ne pouvoir enchaîner film après film. C’était le prix à payer de son indépendance et de ses exigences intimes, des difficultés aussi pour un grand nombre de cinéastes de sa génération. Il laisse le souvenir d’un jeune homme toujours curieux, ouvert et amical. C’est ce qui émanait, fortement, de cette cérémonie au Père Lachaise.