Archive pour le 20.08.2012

Carton jaune à Eric Marty

lundi 20 août 2012

Ce matin, dans la rue principale de Maussane-les-Alpilles, je rencontre Raphaël Sorin et sa femme Muriel. Ensemble nous allons acheter nos journaux, puis boire un café sur la grande place. Très vite nous évoquons l’article paru il y a quelques jours signé Eric Marty, accusant Chris Marker d’avoir été pétainiste dans sa jeunesse (Un moment pétainiste dans la vie de Chris Marker, Le Monde, 15 août 2012). L’article de Marty est plus rusé que ça, assez fourbe dans son attaque. Bien sûr, Chris Marker était un grand cinéaste, un écrivain, un photographe et un essayiste de talent, mais il a tout de même été pétainiste en 1940, écrivant sous un pseudonyme (Marc Dornier) dans une revue ouvertement vichyste. Soit. Ce texte en dit trop ou pas assez. S’il avait été plus au fond des choses, ce qu’on attendrait d’un philosophe universitaire, Eric Marty aurait dû écrire que Marker, lorsqu’il était jeune, avait été maurassien, comme tant d’autres jeunes intellectuels à cette époque. Cela ne sauve pas un homme d’avoir été maurassien. Mais cela permet de mieux comprendre ce que pouvait être une forme d’engagement intellectuel à cette époque.

Je me souviens avoir lu il y a trois ans le magnifique livre de Daniel Cordier, Alias Caracalla (Gallimard), dans lequel le résistant et secrétaire de Jean Moulin disait que lui aussi dans sa jeunesse avait été maurassien. Profondément maurassien et même antisémite. Cela ne l’empêcha pas de clarifier ses choix moraux et idéologiques par la suite, dès son arrivée à Londres parmi les engagés de la France Libre, aux côtés du général De Gaulle. On pouvait, on a donc pu être maurassien et devenir résistant. C’est semble-il le chemin qu’a parcouru Chris Marker.

Ce que Marty aurait aussi pu écrire, c’est que Chris Marker avait été, dès cette époque, le meilleur ami, l’ami intime de Simone Kaminker, alias Simone Signoret, née la même année que lui, en 1921. Cette amitié allait durer jusqu’à la mort de l’actrice en 1985. Chacun sait que Simone Kaminker était juive. Raphaël Sorin en sait bien davantage que moi sur la période, et sur le trouble de certains intellectuels durant l’Occupation – il évoquait ce matin le parcours de Claude Roy, lui aussi passé du maurrassisme à l’engagement à gauche, dans la résistance et le compagnonnage de route avec les communistes. Cela n’excuse pas tout, mais cela relativise tout de même l’approche d’Eric Marty, à mon avis à courte vue, et surtout mal intentionnée. L’itinéraire de Chris Marker est complexe, lui-même a mis un point d’honneur, durant toute sa vie, à effacer ses propres traces. Mais son œuvre parle pour lui. Et ce qu’elle dit est à l’opposé de ce qu’écrit, à la hâte, Eric Marty.

 

P.S. : je recommande vivement la lecture du texte que Hervé Serry consacre à la relation entre Chris Marker et le Seuil, qui couvre une décennie juste après la guerre. On y apprend beaucoup sur une partie importante de l’itinéraire intellectuel de Chris Marker.

http://www.seuil.com/page-hommage-chris-marker.htm#_ftn2