Archive pour le 8.11.2007

Connaissez-vous Humphrey Jennings ?

jeudi 8 novembre 2007

Dans le cadre du Mois du Film Documentaire, la Cinémathèque ouvrait hier soir un cycle consacré au cinéaste anglais Humphrey Jennings. Qui connaît ce cinéaste passionnant ? J’avoue avoir découvert quelques-uns de ses films il y a trois ans, lors du Festival « Il Cinema Ritrovato », qui se tient chaque année début juillet dans la belle ville de Bologne. J’avais été émerveillé par ces documentaires réalisés pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans lesquels Jennings fait œuvre de propagande (ou d’éducation) civique. Jennings a commencé à faire des films en 1939. Il est mort subitement en 1950. Sa carrière fut donc brève, mais dense. Hier, trois films étaient au programme à la Cinémathèque : Spare Time (1939, 18 minutes), Listen to Britain (Ecoutez l’Angleterre, 1942, 20 minutes) et A Diary for Timothy (1945, 38 minutes). Cette programmation se prolonge jusqu’au 18 novembre.

Qu’est-ce qui frappe dans ces films ? Le calme, l’absence d’hystérie, on serait presque tenté de dire : une certaine nonchalance. Jennings prend plaisir à montrer (et à monter en images parallèles) la réalité complexe, à la fois objective mais toujours habitée par des êtres filmés comme s’ils étaient les personnages principaux de la grande Histoire. Jennings filme moins la guerre, que ses effets sur la vie quotidienne, et les contraintes qu’elle crée pour les êtres. Ce qui au centre de son œuvre, c’est la vie quotidienne des Britanniques, dans un contexte difficile : le travail du charbon, la mobilisation des jeunes recrues, la défense du pays contre l’envahisseur nazi, le patriotisme civique des Anglais. Tout cela avec une certaine bonne humeur. On ne se plaint pas, on reste calme, on prend son mal en patience. Et la vie continue. Des enfants naissent, par exemple le petit Timothy de A Diary for Timothy, à qui le narrateur s’adresse avec humour en lui racontant les péripéties quotidiennes, tandis que le père de l’enfant est mobilisé sur le front. Au moment les plus douloureux, que voit-on dans ces trois films ? Des gens « ordinaires » chantant, jouant de la musique, ou dansant. La force des films de Jennings réside dans cette sérénité, cette manière aristocratique de filmer les êtres ordinaires, soldats, mineurs, femmes au foyer, infirmières, blessés de guerre, ou les gens dans la rue. Dès la fin des années 30, Jennings prend en compte la notion de loisirs, avant la mise en place généralisée des congés payés, s’amusant à filmer les travailleurs anglais défilant dans des carnavals, occupés à des répétions chorales, ou promenant leurs chiens.

Dans la revue Positif (n°561, novembre 2007), paraît un très beau texte sur Humphrey Jennings, écrit en 1953 par Lindsay Anderson. Ce texte a pour titre : Rien que le lien. Je vous en recommande la lecture. Le nom de Lindsay Anderson est intiment lié à ce qu’on a appelé à la fin des années 50, avant même la Nouvelle Vague française, le « Free Cinema ». Aux côtés de Lindsay Anderson, on retrouve des cinéastes comme Karel Reisz (Samedi soir, Dimanche matin, 1960), Tony Richardson (Les Corps sauvages, 1959 ; A Taste of Honey, 1961 ; La Solitude du coureur de fond, 1962) ou encore John Schlesinger (Un amour pas comme les autres, 1962). Lindsay Anderson écrit, à propos des films de Humphrey Jennings : « Words for Battle, Listen to Britain, Fires Were Started, A Diary for Timothy. Pour l’admirateur enthousiaste de Jennings, ces titres ont une résonance telle que c’est un plaisir de les prononcer ou de les écrire : car ce sont les films où, entre 1941 et 1945, on voit se développer ce style tout à fait personnel, depuis la découverte hésitante et l’expérimentation jusqu’à la certitude mûrie. Ce sont tous des films sur la Grande-Bretagne en guerre, et pourtant leur humeur n’est jamais, ou presque jamais, guerrière. Ils sont engagés dans la Guerre (car, en dépit de sa sensibilité, Jennings n’avait rien d’un pacifiste), mais leur sentiment fondamental est la fierté, cette fierté sans agressivité qu’inspirent le courage et l’obstination des Britanniques ordinaires. Kathleen Raine, une amie de Jennings et sa camarade à Cambridge, a écrit : « Ce qui comptait pour Humphrey, c’était l’expression par certaines personnes de l’âme de l’Angleterre. » Il est facile de comprendre comment le climat du pays en guerre pouvait aiguillonner et inspirer un artiste entraîné par cette inclination. C’est en de telles circonstances que se manifeste l’âme d’un pays, le sens de la tradition et de la communauté, aiguisé comme il l’est (hélas !) rarement en temps de paix. « Il recherchait donc une imagerie civique, une poésie civique ». Dans un pays en guerre, nous sommes tous membres les uns des autres, en un sens évident pour les moins soucieux d’âme. »

Samedi 10 novembre à 19h30, Stephen Frears, grand admirateur de l’œuvre de Humphrey Jennings sera présent à la Cinémathèque française, rue de Bercy. Stephen Frears a très gentiment répondu à notre invitation, et ce sera un honneur pour nous de l’accueillir. Il sera accompagné de David Robinson, historien du cinéma, auteurs de nombreux travaux décisifs sur le cinéma, entre autres sur Chaplin. Enfin, Elena von Kassel Siambani, qui a fait une thèse universitaire sur le cinéma de Jennings sera elle aussi présente. Lectures de textes, débats sur Humphrey Jennings. Cela promet d’être passionnant.