Archive pour le 19.11.2007

Rohmer à la Cinémathèque : le cinéma prend un coup de jeune !

lundi 19 novembre 2007

Samedi après-midi, Eric Rohmer était l’invité de la Cinémathèque française. Le thème : la parole au cinéma. Conversation très libre avec Alain Bergala, dans le cadre de l’Expérience-Cinéma. Qu’est-ce que c’est, l’Expérience-Cinéma ? Une sorte de « module » mis au point par le service pédagogique de la Cinémathèque, destiné à un public attentif (nécessité de s’inscrire à l’avance), pouvant dialoguer avec les intervenants. De manière assez régulière, la Cinémathèque convie cinéastes, acteurs et techniciens, à échanger des points de vue sur le cinéma. Approche concrète, pratique, qui n’empêche pas, bien au contraire, la réflexion, la comparaison, l’analyse esthétique. Les intervenants parlent du cinéma, à partir de leur expérience et commentent des extraits de films. C’est en général passionnant. Vivant, vibrant, libre. Le discours (critique) sur le cinéma souffre beaucoup, je crois, d’être abstrait, trop éloigné du « faire », de la fabrication des films. Discours autocentré, hyper spécialisé, qui ne se met plus à l’épreuve. C’est triste.

La question de la parole au cinéma était posée, dans le prolongement de l’événement Sacha Guitry organisé par la Cinémathèque. Guitry, cinéaste parlant s’il en est. La parole chez Guitry, on serait tenté de dire : l’excès de parole dans ses films, a des vertus extraordinairement communicatives. Guitry fait souvent les questions et les réponses. Il a ce génie de court-circuiter la « communication ». Emetteur et récepteur. Cela crée des effets de vitesse et de lenteur inédits. Revoir ses films, dans cette optique, est un jeu passionnant. Et Guitry en sort gagnant.

Qui mieux que Rohmer pour parler de la parole au cinéma ? Celle-ci, dit-il d’emblée, ne se confond pas avec le langage du cinéma. Et d’ailleurs : le cinéma est-il un langage ? Question décisive à laquelle les cinéastes au cours de l’histoire ont apporté des réponses différentes, opposées, contradictoires. Pour aller vite, le cinéma relevait davantage d’un langage spécifique du temps du muet. Justement du fait d’être privé de la parole. Les mots n’avaient leur place que sur des cartons ou des titres qui, à intervalles plus ou moins réguliers, informaient le spectateur sur ce qu’il était nécessaire de comprendre pour suivre l’histoire (changements de temps ou de lieux, arrivée impromptue d’un nouveau personnage). Sinon, le film parlait de lui-même, grâce aux images. Et tout le monde comprenait. Muet, le cinéma inventait son propre langage, celui des images et du montage, pour raconter des histoires (Murnau, Griffith, Eisenstein, etc.).

C’est devenu plus compliqué avec le parlant. L’arrivée du parlant a été synonyme de régression pour le cinéma. Du moins dans un premier temps. Des cinéastes comme Chaplin, René Clair et d’autres, ont vu le parlant comme une malédiction, qui portait atteinte à l’inventivité formelle du cinématographe. Renoir s’en sortait mieux, en tirant littéralement la chasse d’eau dans On purge bébé. Rohmer, pour contredire une fois pour toutes ceux qui osent encore taxer ses films de bavards, a eu cette formule magique : « Je suis un cinéaste du muet ». Il n’a pas tort. Lui, Godard, Demy, et d’autres encore, continuent de croire à juste titre qu’ils font du cinéma en se passant de l’écriture. L’écriture est portée par le montage, par les images elles-mêmes, et bien sûr par le son. Amusez-vous à regarder un film sur votre téléviseur en enlevant le son. 90% des films ne passent pas l’épreuve. Malheureusement, beaucoup de films français. Mais ceux qui y parviennent sont vraiment des films. L’image « parle », exprime et s’exprime. A travers le rythme, le cadre, le hors champ, le jeu des acteurs. Rohmer l’a redit samedi, avec simplicité, humilité, courtoisie : il adore écrire les dialogues de ses films. A la fin de la guerre, il écrivit un premier roman, Elisabeth, paru en 1945 chez Gallimard (réédité il y a quelques mois sous un nouveau tire : La maison d’Elisabeth). Envie de littérature. Désir romanesque. Toute cette génération, qui donnera la Nouvelle Vague, a plus ou moins eu le désir d’écrire, avant de faire des films. Truffaut s’était lié d’amitié avec Genet, Cocteau, Audiberti, Henri-Pierre Roché. Avant de devenir cinéaste. Godard rêvait de la NRF. C’était dans l’air du temps, au sortir de la guerre. Rohmer écrivit ses Contes moraux sans penser qu’ils deviendraient, des années plus tard, des films magnifiques. Le fait d’avoir écrit un roman, puis des contes, aida Rohmer à devenir cinéaste. Confiance dans sa capacité d’écrire des dialogues. Après avoir réalisé des courts métrages (il continue d’en faire, le bougre !), Rohmer réalisa son premier film : Le Signe du lion. A voir absolument. Si on veut ressentir la faim, le manque d’argent et de moyens dans Paris au mois d’août, alors il faut revoir ce film, interprété par Jess Hahn, qui est à la fois Rohmer et Paul Gégauff. Gégauff a été un personnage clé du cinéma de la Nouvelle Vague, celui de Rohmer et de Chabrol, puis de Barbet Schroeder. Méconnu, ou trop connu du seul fait d’avoir été assassiné par sa femme un soir de Noël. Entendre Rohmer parler de cinéma est un moment magique. Cet homme n’est plus tout jeune (il est né en 1920), mais son propos est d’une jeunesse incroyable. Humilité, culture colossale (il fallait l’entendre parler de la Comtesse de Ségur, de Dostoïevski, de Balzac ou de Simenon), écoute, goût pour la précision. Et liberté de pensée : voir comme il redit du bien de Marcel Carné, cinéaste pourtant décrié par ses amis de la Nouvelle Vague. Rohmer a gardé une part d’innocence incroyable. Il fallait le voir répondre aux questions de Bergala, et dialoguer librement avec deux de ses actrices, Marie Rivière et Rosette. On sent que le cinéma l’amuse, qu’il aime ça, qu’il y prend du plaisir. Et qu’il aime les acteurs. Chapeau, Monsieur Rohmer !

Eric Rohmer, invité de la Cinémathèque française