Archive pour le 7.12.2007

L’image sans le son. Le son sans l’image.

vendredi 7 décembre 2007

La photo d’Ingrid Betancourt parue dans la presse il y a une semaine était terrible. Visage rongé, regard baissé et résigné, corps amaigri. « La vie ici n’est plus la vie » disait-elle dans une lettre à sa mère. Cette (belle) photo ne pouvait que renforcer notre profonde et sincère compassion. Qu’est-ce qui fait que cette femme, ainsi que les 45 autres otages des FARC, continue d’être prisonnière depuis le 23 février 2002, quelque part dans la jungle en Colombie ? Qu’a-t-elle fait, et que lui reproche-t-on ? Pourquoi lui faire endurer un tel calvaire ? Qu’est-ce qui le justifie ? Au nom de quelle absurde idéologie ou fantasme, cette situation perdure-t-elle ? Rien. Aucune réponse logique. Sinon qu’elle et les autres otages sont devenus une monnaie d’échange. L’image d’Ingrid Betancourt, sans la voix. Image entravée, corps mutilé. Voix inaudible. Si nous avions les deux, de manière simultanée, le son + l’image, alors serions-nous davantage rassurés sur sa libération prochaine…

Cette photo intervient dans un temps où l’image et le son jouent un rôle considérable dans la transmission d’information. On le dit très souvent : l’image et le son constituent la pierre de touche de la communication moderne. Avec l’intervention récente de Nicolas Sarkozy, le président de la République, ce rôle prend une tournure ou une forme différente. Le discours et la méthode s’adaptent à une situation délicate où la diplomatie a du plomb dans l’aile, et ou les « médiateurs » ont failli. Voir le rôle autoproclamé d’Hugo Chavez, le président vénézuélien, qui en a fait visiblement trop pour être réellement efficace ou crédible.

La stratégie de Sarkozy consiste à atteindre directement Ingrid Betancourt, et lui parler en direct. Mission délicate. Disons le mot : l’image devient supplique. Car il s’agit de toucher la cible et de faire passer, avec les moyens du bord, un message simple. Nous pensons à vous, et nous nous occupons de vous. Pour s’adresser directement à Ingrid Betancourt, Nicolas Sarkozy n’a pas accès à l’image. Comment ferait-elle pour la capter, car on sait bien qu’elle et ses compagnons en otage n’ont accès à aucune télévision, ni évidemment à internet. Mais Sarkozy sait, il l’a lu comme nous dans la lettre qu’elle a adressée à sa mère, qu’Isabelle Betancourt parvient à capter RFI. Aussi le message présidentiel utilise-t-il cet unique canal. Le propos s’adresse de manière directe aux otages : « Je refuse l’idée de vous laisser en perdition… ». Puis en particulier à Ingrid Betancourt : « Je veux vous dire mon admiration pour votre dignité, votre courage. » Il s’adresse aussi à l’opinion publique, signifiant de manière hautement symbolique que la France redouble d’efforts pour obtenir la libération des otages en Colombie. Ici le son, seul, doit se passer de sa sœur l’image. Celle-ci est interdite. Bannie. Inefficace. A la photo d’Ingrid Betancourt parue dans la presse (qui a fait le tour du monde), répond ici le son, la voix solitaire du président de la République. Je m’adresse à vous sans vous voir… Et je vous encourage à survivre et à résister. Le son est coupé de l’image, parce qu’il y a entre les deux un interdit, une censure, ce que l’on pourrait appeler un monde infranchissable.

L’initiative de Nicolas Sarkozy se double d’un message vidéo adressé directement au leader des FARC, Manuel Marulanda. Celui-ci a évidemment accès aux images. Où et comment ? Nous l’ignorons. La stratégie de Sarkozy est tout autre : parler directement à l’ennemi, sans pour autant faire de concession. Miser sur la modernité du support (cette fois : l’image et le son, sans oublier le sous-titrage en espagnol), et prendre à témoin le monde entier de sa bonne volonté. Invention ex nihilo d’une méthode diplomatique jusque-là inédite. Dans son message au leader des FARC, Sarkozy part des images : « Les images des otages, les lettres à leur famille ont bouleversé le monde. La vidéo d’Ingrid Betancourt, en particulier, la lettre (…) qu’elle a adressée à sa mère, ne peuvent laisser personne indifférent… » Stratégie reposant en grande part sur le culot, l’interpellation morale et humanitaire. Il n’est évidemment pas certain que cela aboutisse. Mais l’audace peut payer. Ce qui est sûr, c’est que les images et les sons jouent un rôle délicat, et peut-être essentiel, dans cette vilaine affaire qui n’a que trop duré. Tantôt l’image seule, muette. Tantôt le son seul : la voix humaine pour signifier l’espoir. La vie démocratique implique que l’image et le son marchent d’un même élan, solidaires. Ce serait le symbole de la liberté retrouvée.