Archive pour le 17.02.2008

Spielberg boycotte les J.O.

dimanche 17 février 2008

Parmi les nouvelles toutes récentes, celle-ci : Steven Spielberg a refusé l’offre des dirigeants chinois d’être leur conseiller artistique, à l’occasion de l’ouverture des prochains Jeux olympiques prévus l’été prochain. Motif : l’attitude plus qu’ambiguë jouée par la Chine au Soudan, continuant de vendre des armes au régime soudanais, et du même coup, entretenant le conflit du Darfour qui a déjà fait 200.000 victimes.

Spielberg a donc fait jouer sa clause de conscience. Il le fait savoir par communiqué de presse et sa décision a un impact certain, du fait de la notoriété dont jouit le cinéaste. Ce faisant, il s’adresse quasiment d’État à État au président chinois Hu Jintao. Qui d’autre que Spielberg a ce statut dans le monde, « chef d’Etat du cinéma » en quelque sorte, incarnant la puissance économique et médiatique de cette industie, pour se permettre une telle attitude ?

En 1936, Hitler organisait les Jeux à Berlin et en confiait la « mise en scène » à Leni Riefenstahl, cinéaste hautement zélée qui y mit son engouement idéologique et son talent formel. Au même moment, Chaplin réalise Les Temps modernes. Quatre ans plus tard : Le Dictateur. Charlot est l’homme le plus célèbre au monde et se permet de rivaliser avec Hitler – en se foutant de sa moustache. Le monde entier applaudit.

Dans l’histoire du cinéma, rares ont été les cinéastes à pouvoir incarner le monde. Jeanne Moreau disait encore il y a quelques jours à la Cinémathèque qu’Orson Welles avait été une sorte de Roi en exil, incarnant le cinéma dans toute sa puissance poétique. Et l’on sait combien Welles a souffert de ne pouvoir mener à bien et à terme de nombreux projets cinématographiques, lâché par les Studios.

Hitchcock a incarné la toute puissance du cinéma, tenant en haleine des millions et des millions de spectateurs par son génie de metteur en scène. Godard le dit de manière magnifique dans ses Histoire(s) du cinéma (coffret édité chez Gallimard) : « Peut-être que dix mille personnes n’ont pas oublié la pomme de Cézanne mais c’est un milliard de spectateurs qui se souviendront du briquet de l’Inconnu du Nord Express. Et si Alfred Hitchcock a été le seul poète maudit à rencontrer le succès c’est parce qu’il a été le plus grand créateur de formes du vingtième siècle et que ce sont les formes qui nous disent finalement ce qu’il y a au fond des choses. Or, qu’est-ce que l’art sinon ce par quoi les formes deviennent style et qu’est-ce que le style sinon l’homme… »

Spielberg c’est autre chose. Il aligne depuis plus de trente ans (Jaws : 1975) succès après succès. Ses triomphes sont planétaires. Associé à David Geffen et Jeffrey Katzenberg au sein de la société DreamWorks (créée en 1994), il est l’un des hommes le plus puissant de la planète. Incarnation même de l’industrie cinématographique sous ses différents aspects : machine à spectacle + cinéphilie + marketing planétaire. Les Chinois ne s’étaient pas trompés en le sollicitant. Mais voilà, Spielberg ne veut pas se laisser piéger par la stratégie idéologique-médiatique qui, inévitablement, va s’employer à transformer la plus grande manifestation sportive du monde en mascarade politique. À travers l’organisation des Jeux, les Chinois veulent dire au reste du monde qu’il faut désormais compter avec eux sur tous les plans. C’est la raison pour laquelle ils y mettent le paquet. Spielberg était un des éléments symboliques de leur stratégie. Ils devront faire sans lui. Et Spielberg en sort grandi.