Le monde enchanté de Jacques Demy

Posté dans Cinéma le 6.04.2013 par serge toubiana

J – 4. Bien sûr, il y aura mercredi prochain, 10 avril, le match retour entre le Barça et le PSG, en quart de finale de la Ligue Europa. Mais aussi et surtout, l’ouverture de l’exposition « Le monde enchanté de Jacques Demy » à la Cinémathèque française.

Cette exposition me tient tout particulièrement à cœur. Parce qu’elle intervient tout juste dix ans après mon arrivée à la direction de la Cinémathèque, une date importante pour moi. Surtout, elle est consacrée à un cinéaste, que j’ai eu la chance de connaître, et dont la trace ou la mémoire est intacte, essentielle, très liée à un désir singulier d’enchanter le cinéma français. Jacques Demy appartient à cette catégorie informelle de cinéastes n’ayant tourné qu’une douzaine de films, comme Becker, comme Bresson ou comme Melville, mais dont l’œuvre est cohérente, insécable et résiste magnifiquement au temps.

De Lola, son premier long métrage réalisé en 1961, jusqu’à Trois places pour le 26, sorti en 1988, Jacques Demy a tout tenté, pris des risques, connut la gloire (la Palme d’or pour Les Parapluies, en 1964) et le purgatoire, vécut des moments douloureux quand les portes se fermaient devant des projets jugés trop audacieux. Ses films les plus connus, et que beaucoup connaissent au point d’en réciter ou d’en chanter par cœur les répliques, les paroles et les rythmes, sont Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort et Peau d’âne. Dans ces trois films, il y a comme par hasard Catherine Deneuve. Elle me disait récemment, au cours d’un entretien qui figure dans le catalogue de l’exposition : « En 1963, j’étais une jeune comédienne et le regard que Jacques posa sur moi me permit d’envisager  les choses différemment, à une époque où je n’étais pas certaine de vouloir continuer à faire du cinéma – un peu comme le regard que porte sur vous un jeune homme amoureux. L’assurance que cela vous donne ne vous quitte plus. » Que serait devenue Catherine Deneuve, si ce regard amoureux n’avait pas été porté sur elle ? Les photos d’elle prises lors du tournage des Parapluies de Cherbourg par Agnès Varda, et qui sont accrochées au mur de l’exposition, sont vertigineuses de beauté. La jeunesse, la blondeur, le sentiment de force et de fragilité qui en émane, l’évidence d’une présence naturelle, tout cela renvoie au miracle de ce film entrepris par Demy avec la complicité inouïe, totale, de Michel Legrand, dans une sorte d’innocence doublée d’une incertitude quant à sa possibilité même d’exister. « La musique fait partie intégrante de l’écriture cinématographique, raconte Legrand à Stéphane Lerouge, dans un entretien qui paraît dans le catalogue. L’ouvrage terminé, ce fut difficile de dénicher un producteur… avant que Pierre Lazareff nous présente Mag Bodard. Idem pour la partition : il fallait financer une heure et demie de musique, avec orchestre et voix, avant même le premier tour de manivelle. Tous les éditeurs de Paris ont refusé avec le même argument : « Trop risqué ! » Au bout du compte, j’ai moi-même produit les séances avec mon camarade Francis Lemarque. »

Grâce à Stéphane Lerouge, paraît chez Universal Music un superbe coffret de 11 CD qui fera date : l’Intégrale Jacques Demy – Michel Legrand, dont la collaboration artistique recouvre neuf longs métrages plus La Luxure, l’un des sept courts métrages composant Les Sept péchés capitaux. L’entreprise est incroyable tant elle réserve de surprises, par exemple le réenregistrement des principaux thèmes de Lola, l’intégralité musicale de Lady Oscar, ou la version américaine, inédite, de The Young Girls of Rochefort. Sans compter les reprises d’Astrud Gilberto, de Stéphane Grappelli, de Tony Bennett et Bill Evans, les séances de travail donnant lieu à des maquettes, les suites symphoniques et versions instrumentales, interprétées par Legrand au piano, Catherine Michel à la harpe, avec orchestre. Un objet délirant, un coffret définitif. Tant il est évident que les films de Jacques Demy s’écoutent autant qu’ils se revoient.

Par un autre sens inouï du timing, paraît au moment où s’installe l’exposition consacrée à Jacques Demy, un ouvrage intense et très agréable à lire, justement consacré à Mag Bodard. Ce petit livre, édité à la Tour verte, on le doit au producteur Philippe Martin, des Films Pelléas, fasciné par la personnalité étonnante de cette productrice. Son titre : Mag Bodard, Portrait d’une productrice, et il est préfacé par Anne Wiazemsky. Mag Bodard a produit quelques-uns des films essentiels du cinéma français moderne, par exemple Au hasard Balthazar, Mouchette et Une femme douce de Bresson, L’Enfance nue de Pialat, Deux ou trois choses que je sais d’elle et La Chinoise de Godard ou encore Le Bonheur de Varda, Je t’aime, je t’aime de Resnais, Benjamin ou les mémoires d’un puceau de Michel Deville, plusieurs films de Jacques Doniol-Valcroze, d’André Delvaux et de Nina Companeez. Elle a produit les trois films déjà cités de Demy : Les Parapluies, Les Demoiselles et Peau d’âne. À propos de Demy, Mag Bodard dit ceci : « Quand j’ai vu Lola, je me suis dit que je continuerais à produire seulement si c’était pour produire celui qui avait fait ce film. Quelques jours après, Pierre (Lazareff, le patron de France Soir, qui est aussi son amant) m’appelle : “Truffaut quitte mon bureau, il vient de me parler du réalisateur qui a fait Lola, il cherche un producteur, tu veux le rencontrer ?” Et j’ai rencontré Demy. »

Mag Bodard s’entiche, c’est le cas de le dire, du projet des Parapluies de Cherbourg. Elle assiste aux répétitions musicales, rue Daguerre, Legrand au piano et Demy retouchant ses dialogues chantés, tout cela dure un an, le temps pour elle de monter la production du film. Elle sera plus que secondée, aidée par Philippe Dussart, qui vient de mourir et qui a joué un grand rôle dans la production de ce film. Philippe Dussart fut un homme essentiel dans la production en France, pendant plus de deux décennies, directeur de production de plusieurs films de Godard, de Resnais et de beaucoup de cinéastes, dans les années 60 et 70, avant de produire lui-même un grand nombre de films.

En produisant Les Parapluies de Cherbourg, Mag Bodard n’a aucunement conscience  des risques qu’elle prend. « Ça s’est fait avec le hasard, les choses se sont mises ensemble et ça a donné Les Parapluies de Cherbourg… Je ne pensais pas que je faisais du cinéma, je pensais que quelque chose que j’avais voulu et qui me plaisait artistiquement se faisait, avec des gens qui avaient envie de la même chose que moi. C’était vraiment plus qu’artisanal, c’était rêvé, c’est un film rêvé ! Je l’ai réussi parce qu’il y avait Demy, je l’ai réussi parce qu’il y avait Legrand, je l’ai réussi parce que j’aimais ce film et que je l’ai tenu dans mes mains financièrement. Tout le monde a mis le paquet ! Et artistiquement, le film a été ce que je voulais, vraiment ! » Elle dit aussi, Mag Bodard, que sa collaboration avec Jacques Demy c’était « comme deux enfants qui jouent à la marelle. »

C’est le plus bel hommage que l’on peut faire à Demy, de considérer qu’il a fait ses films « comme dans un rêve », ou comme on joue à la marelle. Ses plus beaux films ont cet air-là de jouer avec le hasard des rencontres et la mélancolie des rendez-vous manqués. On se croise beaucoup, dans Lola, dans La Baie des anges ou encore dans Model Shop, on se cherche sans toujours se trouver, on attend et on espère son double idéal. C’est aussi vrai dans Une chambre en ville et dans Trois places pour le 26. Les personnages se frôlent, se trouvent et se quittent, se font des promesses qu’ils ne peuvent tenir, le temps passe et le bonheur devient une quête difficile, exigeante. Tout cela est dit en chansons, ou dans un dialogue qui fait la part belle à la trivialité quotidienne. Jacques Demy résume mieux que quiconque sa conception du cinéma en disant ceci : « Un film léger parlant de choses graves vaut mieux qu’un film grave parlant de choses légères. » C’est vrai des Parapluies comme des Demoiselles, c’est aussi vrai de La Baie des anges, de Lola et de Model Shop, comme de ses autres films.

Cette exposition, très gaie et colorée, fourmille de documents rares, de carnets de travail, de photos, de dessins et maquettes, d’extraits de films et d’archives audiovisuelles, de tableaux de peintres qui ont inspiré Demy (Cocteau, Dufy, Fini ou Nikki de Saint Phalle), et de tant d’autres choses. Elle n’aurait pu être envisagée sans une collaboration et une complicité avec Ciné-Tamaris, qui garde précieusement les films de Demy et d’Agnès Varda ainsi que leurs archives privées.

J’ai eu le désir de cette exposition il y a longtemps, reprenant une idée que m’avait soufflée Claude Berri, alors président de la Cinémathèque, de concevoir une exposition Demy-Varda. Nous nous étions rendus, Berri et moi, rue Daguerre pour en parler à Agnès. Celle-ci nous avait répondu avec sa franchise habituelle : « Si nous faisions cette exposition couplée, j’occuperais trop le terrain, ce ne serait pas juste, parce que Jacques n’est plus là. » Elle avait bien sûr raison. Mais l’idée a fait son chemin, d’une exposition entièrement consacrée à Demy. Matthieu Orléan, qui en est le commissaire, a travaillé en bonne intelligence avec Rosalie Varda et Mathieu Demy, dont la complicité a été essentielle dans ce qui me paraît être une vraie réussite. Suis-je le mieux placé pour le dire ? Sans doute non. Mais je peux témoigner que ce projet a été un pur moment de bonheur. Ce bonheur, je l’espère, va bientôt se transmettre au visiteur.

L’exposition « Le monde enchanté de Jacques Demy » s’installe à la Cinémathèque française jusqu’au 4 août 2013. L’idée qu’elle soit voisine de celle consacrée à Maurice Pialat, actuellement installée au 7è étage, me réjouit. Pialat considérait en effet que Le Sabotier du Val de Loire, un court métrage réalisé par Jacques Demy en 1955, était un des meilleurs films français de l’après-guerre. Et puis, il y a autre chose qui relie Pialat et Demy : la peinture. Pialat a commencé par vouloir devenir peintre, en s’inscrivant aux Arts Décoratifs. Quant à Demy, il s’était mis à peindre à la fin de sa vie, se sentant atteint par la maladie. L’exposition Pialat commence par ses dessins et peintures, et se termine avec ses films. Celle de Demy commence par son rêve de cinéma, un rêve d’enfance, et se termine par quelques-unes de ses peintures. Sorte de chassé-croisé. La nuit, lorsque les visiteurs s’en vont et que les lumières s’éteignent, une part de leur rêve ou de leur imaginaire continue d’exister, comme en veilleuse.

Catalogue Le monde enchanté de Jacques Demy, préfacé par Costa-Gavras, avec des textes de Mathieu Orléan, Guillaume Boulangé, Agnès Varda, Joséphine Jibokji Frizon, Jean-Baptiste Thoret, Olivia Rosenthal, Farid Chenoune, Jean-Marc Lalanne, Serge Toubiana, et les témoignages de Marc Michel, Michel Legrand, Jacques Perrin, Harrison Ford, Agostino Pace, Donovan, Catherine Deneuve, Dominique Sanda, Mathieu Demy et Rosalie Varda. Coédition Skira Flammarion / La Cinémathèque française / Ciné-Tamaris. 300 illustrations ; 45 euros.

Mag Bodard, portrait d’une productrice, par Philippe Martin, préface d’Anne Wiazemsky, édition la tour verte ; 15 euros.

L’Intégrale Jacques Demy – Michel Legrand, 11 CD avec des versions originales, inédits, séances de travail, maquettes et relectures + un livret illustré comportant un entretien avec Michel Legrand mené par Stéphane Lerouge, chez Universal Music France.

 

 

La Maison de la radio de Nicolas Philibert, la Voix et le Lien

Posté dans Cinéma le 29.03.2013 par serge toubiana

La Maison de la radio de Nicolas Philibert est le dernier film que j’ai vu – c’était lundi dernier, lors d’une avant-première à la Cinémathèque. C’est un film qui fait du bien, ce qui n’implique pas automatiquement qu’il soit du côté du bien. Mais le film prend son temps, et fixe quelques idées fortes sur le cinéma, sur comment s’installer dans un lieu fermé, ici la Maison de la radio, et en tirer avantage. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais le film vaut beaucoup plus, par sa capacité à filmer des gens au travail. Sans hystérie, et avec beaucoup d’empathie.

Pourquoi filmer la Maison de la radio ? Bonne question. Parce que c’est un bâtiment rond, où les gens qui y circulent et y travaillent tournent en rond, c’est-à-dire sont à peu près sûrs de s’y croiser, donc de faire un bout de chemin ensemble. En arpentant les couloirs, vous risquez fort de tomber sur des collègues qui font le même métier que vous. Mais ce n’est qu’une apparence, car il y a mille et une manières de travailler le son et la voix dans cette Maison de la radio. Le métier de base consiste à prendre des sons, à les inventer, à les enregistrer, à les traiter, à les monter ou à les manipuler. Chacun s’affaire à la tâche, et la force tranquille du film consiste à faire le lien, à montrer ce fil invisible mais tenace qui fait lien entre les centaines de personnes qui travaillent dans cette Maison.

Il y a le dedans, et il y a le dehors. Dedans, on traite tout ce qui vient du dehors. L’actualité, les news, les infos géné. Et comment tout ce matériel se transforme, se hiérarchise, se répète, s’articule devant un micro, devient en quelque sorte notre actualité, avant de se transformer en mémoire.

C’est une des choses simples que montre le film de Nicolas Philibert, à savoir que tout le monde n’est pas journaliste ou chroniqueur à Radio France, mais qu’il y a aussi toute sorte de gens qui travaillent le son, la voix, et qui y vont de leur corps. Le son et la voix impliquent nécessairement un engagement physique. La Maison de la radio le montre avec beaucoup de finesse et pas mal d’effets comiques. Ça chante, ça joue de la musique, ça joue avec le silence – il y a du Jacques Tati dans ce film, dans cette manière d’observer telle ou telle personne occupée à son travail, saisie par la caméra silencieuse et scrupuleuse de Nicolas Philibert.

Le film et son dispositif reposent sur un principe élémentaire mais sacrément efficace : installer une (petite) caméra dans les couloirs et les studios de la Maison de la radio, revient tout bonnement à ajouter de l’Image à du Son. Qu’il y ait du son dans cette maison, nul n’est censé l’ignorer. L’image en plus bouscule la logique interne de ce monde peuplé d’étranges créatures. Des gens qui d’ordinaire travaillent entre eux, en n’étant reliés que par du son ou de la voix, se découvrent portraiturés (avec leur accord) par la caméra de Nicolas Philibert. Certains, à force de revenir à l’image dans le film, au gré du montage, deviennent même des personnages que l’on a plaisir à retrouver, toujours occupés à une même tache, obsessionnellement rivés à leur ordinateur ou devant leur micro. Vue par Philibert, cette Maison de la radio se transforme en une sorte de gigantesque zoo où des êtres s’occupent à capter la rumeur du monde, chacun selon sa manière ou son obsession. Lui a en tête d’installer sa prise de son au milieu d’une forêt, en espérant enregistrer le bruit des oiseaux. L’autre est sur une grosse moto pour suivre le Tour de France, et l’autre encore s’amuse à créer de drôles de dispositifs sonores dans le but d’émettre des bruits totalement inédits. Et lui, qui refuse de dire son métier, dont l’unique passion est d’enregistrer les orages… S’il y a une idée qui se dégage du film, c’est bien que La Maison de la radio est un lieu expérimental où chacun s’occupe ou s’amuse à fabriquer du son.

Nicolas Philibert a eu raison d’éviter, je crois, de s’intéresser de trop près à tout ce qui relève du médiatique, par exemple les journalistes du matin avec leurs invités politiques, car tout cela se démode vite et aurait enfermé le film dans une actualité somme toute éphémère. On assiste à une conférence de rédaction, on voit Patrick Cohen, dès l’aube, dans son studio en train de préparer sa tranche matinale, on voit quelques invités répondre à des questions devant le micro, dans telle ou telle émission. Mais ce que l’on voit de plus important, c’est que cette maison ronde bruisse et accompagne la journée de sons et de bruits très divers, de voix et de musiques qui arrivent via les ondes jusque chez nous. Le film dévoile un peu ce qu’est l’envers du décor, cette fabrication de la radio, qui implique entre les uns et les autres une solidarité de métier, une écoute et un réel plaisir au travail. Le film de Nicolas Philibert le montre avec une réelle empathie. Et, de nos jours, l’empathie est une qualité rare.

Le film, produit par les Films d’ici et Arte, sort le 3 avril en salles, distribué par les films du losange.  

Robert Guédiguian, ou le monde vu de L’Estaque

Posté dans Cinéma le 11.02.2013 par serge toubiana

Cette rétrospective complète de l’œuvre de Robert Guédiguian, cinéaste en pleine activité, est une belle occasion pour nous de revenir sur quelques questions essentielles qui touchent au cinéma. Par exemple, la question de l’ancrage, du réalisme, du typage des personnages, ou celle du langage cinématographique. Des questions parmi d’autres. S’il y a une œuvre dans le cinéma français contemporain à ce point porteuse de questionnements divers, c’est bien celle de Robert Guédiguian.

Depuis plus de 30 ans, chacun de ses films est comme une pièce de plus s’inscrivant à l’intérieur d’un grand tout, la pierre d’un édifice plus large dont la cohérence nous paraît aujourd’hui évidente, logique, ouverte, en prise avec le monde actuel.

On a coutume de dire de Robert Guédiguian qu’il est un cinéaste de quartier. L’expression est juste, parlante. L’Estaque revient dans un grand nombre de ses films, depuis le premier, Dernier été, coréalisé avec Frank Le Wita en 1980. L’Estaque est pour Guédiguian le lieu où tout commence et où tout finit. C’est le quartier d’où l’on vient et que l’on quitte, pour y revenir dans une sorte de nostalgie, de mélancolie des origines. Presque comme une fatalité. Entre-temps, le monde a bougé. L’Estaque est le microcosme du monde selon Robert Guédiguian. Tout ce qu’il s’y passe a valeur pour ceux qui y vivent, mais également pour les autres, où qu’ils soient dans le monde. Les petites ruelles et les cours peuplées des films de Guédiguian, par exemple dans À la vie, À la mort ou dans Marius et Jeannette, sont les sœurs jumelles des rues peuplées de films japonais anciens enfouis dans notre mémoire.

Mais l’Estaque est également l’atelier du cinéaste, un atelier au grand jour. Un studio de cinéma à ciel ouvert, où chaque coin, chaque quai a été visité par ses fictions et ses personnages. Robert Guédiguian a de la chance de connaître son point d’origine: il y revient pour se ressourcer et y tracer de nouvelles pistes.

S’il y a une chose qui caractérise Guédiguian cinéaste, ce serait d’être une sorte de sismographe, un capteur ou un enregistreur des vibrations intimes qui secouent le monde ouvrier et la mémoire populaire depuis trois décennies. Chaque nouveau film permet de poser la question : comment va le monde, vu de l’Estaque ? Comment va l’idée de transformer le monde, l’idée communiste pour la nommer, vue de l’Estaque ? Que sont devenus les personnages héroïques de nos rêves ? Comment survit le monde ouvrier, toujours vu de l’Estaque ? Un après l’autre, ses films redessinent la carte d’un monde limité à un quartier légendaire de Marseille, où se matérialisent et se concrétisent changements et mutations. Et qui valent pour les autres, ceux qui vivent ailleurs.

S’il y a un mot qui caractérise le cinéma de Guédiguian, c’est le mot fidélité. Fidélité à un quartier, à une ville et à ce point d’origine. Fidélité aussi à des êtres, à des acteurs, à une actrice aimée, Ariane Ascaride, à des amis d’enfance, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet, Jacques Gamblin, Pascale Roberts, et quelques autres. Pour Guédiguian, faire des films revient nécessairement à envoyer des lettres d’amour et se faire des signes d’amitié. À échanger des expériences, à s’insérer dans de nouveaux dispositifs fictionnels.

Le cinéma de Robert Guédiguian témoigne de manière généreuse de ce que sont les sentiments d’amitié, de fidélité et d’amour. Il témoigne également de ce qu’est la mémoire au cinéma, à travers certains films traitant de l’Arménie, un autre lieu des origines cher au cinéaste.

Tout cela justifie amplement une rétrospective, un hommage à un cinéaste contemporain qui construit une œuvre et conçoit son travail dans l’altérité, c’est-à-dire sous le regard des autres, avec leur complicité active, indispensable.

Il n’est pas étonnant que Robert Guédiguian, à l’instar d’autres cinéastes qui l’ont précédé dans le cinéma français – je pense à Truffaut et à Rohmer – ait bâti au sein d’AGAT FILMS un système de production artisanal lui garantissant indépendance et liberté. L’exemple est rare et mérite d’être souligné, encouragé. La Cinémathèque française a la chance de pouvoir concevoir cette rétrospective en présence de Robert Guédiguian et avec sa complicité. Jusqu’au 24 février 2013.

À signaler, la sortie d’un ouvrage illustré et très documenté de Christophe Kantcheff : Robert Guédiguian Cinéaste, édité au Chêne., 270 pages, 35 euros.

Notre ami Jean-Henri Roger

Posté dans Cinéma le 3.01.2013 par serge toubiana

Jean-Henri Roger ne connaîtra pas 2013. Il est mort vers vingt heures, le 31 décembre, dans sa maison de St Cast en Bretagne, après avoir préparé un dîner de fête.  Ce ne sera donc pas la fête pour tous les amis de cet éternel jeune homme fougueux et bavard, toujours sur la brèche. Nous nous connaissions depuis quarante ans et, j’ai beau chercher, je n’ai pas d’autre exemple d’un être aussi fidèle que lui à ce que fut sa jeunesse, à ce que furent ses engagements, à ce que fut sa passion du militantisme politique et culturel. Les années ont passé, les causes ont changé, et nous avec. Jean-Henri demeurait sur la brèche, toujours disponible pour participer à la lutte, à défendre les sans-papiers, à organiser la résistance, à réaliser des films militants. Il en devenait parfois excessif, mais sa sincérité était pure, intacte, sa loyauté aussi. Il y avait une cause à défendre, Jean-Henri Roger était en première ligne. Je trouvais qu’il avait grossi, ces dernières années, et je m’inquiétais de sa santé. Il buvait, il mangeait, il fumait. Ses proches aussi. Serge Le Péron, qui m’a annoncé lundi la nouvelle, la voix secouée de larmes au téléphone, veillait sur son ami et s’inquiétait de son état, le trouvant ces derniers temps déprimé. Mais Jean-Henri rebondissait sans cesse, même après de graves accidents qui en auraient laissé d’autres sur le carreau. Il avait une force de vie et une énergie incroyables, bien au-dessus de la moyenne. C’est aussi pour cela que nous l’aimions.

Jean-Henri a coréalisé deux films avec Juliet Berto, Neige et Cap Canaille. Je me souviens d’elle et lui, à Cannes, en mai 1981, quand Neige avait été sélectionné en compétition officielle. Le bonheur et la jeunesse, l’insouciance également, parcouraient La Croisette. Juliet est morte quelques années plus tard, tout le monde était triste, Jean-Henri surtout. Quelques années auparavant, Jean-Henri avait été proche de Godard et de Jean-Pierre Gorin, à travers le Groupe Dziga Vertov. C’était en 1969, juste après Mai 68 : British Sounds et Pravda, films vus et revus, et qui ont été pour nous comme des films d’école, des films d’apprentissage, pour mieux comprendre et voir le cinéma, et à quoi servent les images et les sons. Jean-Henri a bourlingué, enseigné le cinéma à Vincennes, puis à l’Université de Paris 8 Saint-Denis, dont il a même été à un moment le Vice-président, il a eu des responsabilités à la SRF, participé à la création de l’ACID, toujours prêt à se battre pour le cinéma et la liberté. Je vois bien qu’en écrivant, je commence à être solennel. Jean-Henri, entre autres qualités, ne se prenait pas trop au sérieux, la vie était un jeu et il s’amusait. Il vivait et il aidait les autres à vivre. C’est fou ce qu’il s’est amusé. On aurait aimé continuer de s’amuser avec lui. Comme avant.

Une pensée affectueuse à ses trois filles: Jane, Félice et Paula, ainsi qu’à Marie et Isabelle. Et à tous les amis de Jean-Henri.

Les obsèques de Jean-Henri Roger auront lieu mercredi 9 janvier 20123, à 10h30 au Père Lachaise. 

Après lecture du texte de Vincent Maraval dans Le Monde

Posté dans Cinéma le 30.12.2012 par serge toubiana

Comme beaucoup, j’ai lu le texte de Vincent Maraval paru dans Le Monde (daté du samedi 29 décembre 2012). Il commence fort, ce texte, et il fait très mal : « L’année du cinéma français est un désastre. » Du genre à saper les futurs messages politiques que ne manqueront pas de prononcer, courant janvier, Eric Garandeau, président du CNC, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, à l’occasion de leurs vœux aux professionnels du cinéma et de la culture.

L’un et l’autre auront beau dire que la fréquentation des salles en France aura été une fois encore plutôt bonne, en 2012 – pour la quatrième année consécutive, elle dépasse le chiffre de 200 millions de spectateurs -, le mal est fait. Et le mal provient de ce texte polémique de Vincent Maraval, patron de Wild Bunch, qui n’est pas un habitué des tribunes libres, ce qui donne davantage encore de crédit et de poids à sa charge sur le thème « les acteurs français sont trop payés ! ». Maraval est un professionnel du cinéma connu et respecté, il pèse lourd dans la production et la distribution de films et la vente de films français à l’étranger. Il est donc à peu près certain que son texte fera non seulement polémique – elle a d’ailleurs déjà commencé – mais des ravages dans les sphères du pouvoir politique, et parmi les ténors de l’industrie du cinéma. Nul doute que les corporations du cinéma, par le biais des syndicats de producteurs et de distributeurs, des sociétés d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs, et autres, ne tarderont pas à réagir. Car il y a péril en la demeure.

L’attaque de Vincent Maraval est facile, presque trop payante. En affirmant que les acteurs français sont trop payés, exemples à l’appui (Dany Boon, Daniel Auteuil, parmi d’autres), il est sur de taper fort et de toucher large. À le croire, nos stars seraient mieux payées que les acteurs américains, dont les films ont un rayonnement commercial autrement plus large car distribués dans le monde entier. La « valeur marchande » des acteurs français serait davantage fixée par le marché audiovisuel (les télévisions publiques et privées) que par le marché du cinéma proprement dit. D’où l’inflation des cachets et des coûts, et plus globalement le surfinancement des films.

Mais le raisonnement curieusement est court, limité. Certes, les films français sont trop chers. Le coût moyen d’un film (5,4 millions d’euros) devient exorbitant, mais cela n’est pas seulement dû aux cachets des acteurs. Pourquoi ne pas parler de celui des producteurs, par exemple des 10% d’imprévus qui pèsent sur chaque film, calculés sur la totalité du budget, salaires des acteurs inclus ? S’il y a inflation des prix, elle se répartit logiquement sur tous les postes de production des films.

Mais le plus grave, à mon sens, c’est que le coup de balai de Maraval risque de montrer du doigt tout le système de financement du cinéma français, qui fonde son « exception culturelle » : l’obligation imposée aux chaînes publiques et privées de participer au financement des films. À force de répéter que le cinéma décline à la télévision, supplanté par « Les Experts et la Star Ac », les politiques auront beau jeu de remettre en cause tout l’arsenal juridique mis au point depuis de longues années pour protéger la production française, avec les résultats que l’on connaît : plus de 200 films français produits chaque année, une part de marché non négligeable, ce qui fait du cinéma français un cas unique dans le monde. Comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? Comment, par exemple, faire enfin approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs d’accès, dont la contribution au financement du cinéma est un élément stratégique aujourd’hui ?

Vincent Maraval aurait dû être plus nuancé, et mieux cibler son attaque. Et surtout faire des propositions. Il en fait, une à la fin de son texte : le plafonnement du cachet des acteurs et des réalisateurs, « assorti d’un intéressement obligatoire sur le succès du film ». L’idée est bonne. Mais elle arrive en fin d’un texte à charge, qui donne un sentiment d’amalgame. Enfin, ne sont jamais évoqués dans le texte de Vincent Maraval ces films français, et ils sont nombreux, qui ont du mal à se financer, produits avec difficultés dans les marges du système, ne trouvant plus ou presque de financement auprès des chaînes de télévision. Les seuls exemples donnés dans son texte sont les « grosses machines », Astérix, Pamela Rose, Stars 80, Le Marsupilami, Populaire ou La vérité si je mens 3, qui font souvent plouf à l’étranger. Heureusement, le cinéma français ne se résume pas à ces films trop chers et, selon Maraval, déficitaires. Heureusement, il y a Holy Motors, Après Mai, Camille redouble ou Vous n’avez encore rien vu, parmi beaucoup d’autres films français, qui ne tombent pas sous le jugement prononcé par Maraval, et qui sont des œuvres qui resteront. Toute œuvre véritable naît à partir de contraintes. Le débat est ouvert et chacun va y aller de sa contribution. Risque d’une grande pagaille. Mais il est urgent de retrouver le sens de l’équilibre, sans quoi le cinéma français sera saisi d’un grand vertige.

2012 s’achève, je présente tous mes voeux aux lecteurs de ce blog pour l’année 2013.

 

Le Parlement européen a décerné aujourd’hui le « Prix Sakharov 2012 » à Nasrin Sotoudeh et Jafar Panahi

Posté dans Cinéma le 12.12.2012 par serge toubiana

En TGV, Strasbourg n’est plus qu’à 2h20 de Paris. Nous avons pris le train tôt ce matin, Costa-Gavras et moi, accompagnés par Élodie Dufour, l’efficace et sympathique attachée de presse de la Cinémathèque française, pour être à pied d’œuvre dès le milieu de la matinée. À peine arrivés à Strasbourg, nous sommes embarqués vers le Parlement européen, gigantesque bâtisse postmoderne qui abrite, durant chaque session hebdomadaire, les quelque 725 députés venus des vingt-sept pays de l’Union européenne. Le reste du temps, tout le parlement se transporte à Bruxelles, députés et personnel administratif, soit m’a-t-on dit sept mille personnes environ. Ainsi va la vie de cette instance européenne si souvent décriée, mais où se discute le sort de l’Europe. Aujourd’hui, avant de voter le budget du Parlement – ce qui explique la présence de très nombreux élus -, a lieu la cérémonie de remise du « Prix Andrei Sakharov pour la liberté de l’esprit 2012 », décerné cette année à Nasrin Sotoudeh, avocate et militante des droits de l’Homme dans son pays, et Jafar Panahi, cinéaste. Il est prévu que la cérémonie officielle commence à 12h30.

Tous deux victimes de la répression et de la censure dans leur pays, Nasrin Sotoudeh, condamnée à la prison et qui a mené une grève de la faim durant 49 jours, et Jafar Panahi, menacé d’une condamnation à six ans de prison ferme et contraint de demeurer chez lui, n’ont évidemment pas été autorisés à se déplacer. Aussi ont-ils confié à des personnalités amies le soin de recevoir leurs prix.

Nasrin Sotoudeh a choisi Shirin Ebadi, avocate et défenseur des droits de l’Homme, prix Nobel de la Paix en 2003, femme remarquable et engagée dans un combat contre le pouvoir en place. Je me souviens de son passage à la Cinémathèque en juin 2010, lors de la manifestation « Une journée à Téhéran », et de son dialogue avec Jean-Claude Carrière. Elle est accompagnée par M. Karim Lahidji, avocat et défenseur des droits de l’Homme, contraint de s’exiler en France dès 1982 après avoir fait deux ans de prison.

Jafar Panahi a confié à la Cinémathèque française le soin de le représenter en recevant le prix en son nom. Les deux lauréats ont envoyé des messages qui seront lus devant les parlementaires par Shirin Ebadi et Costa-Gavras.

Avant la cérémonie officielle, Martin Schulz, le président du Parlement européen, nous accueille avec chaleur dans un salon privé, on le sent concerné, sincèrement impliqué dans la défense des droits de l’Homme. Avec simplicité il règle avec nous le protocole, avant de nous conduire dans l’enceinte du Parlement. Son discours d’introduction est ferme, ses mots ont du poids, sa condamnation du régime iranien sans appel. Puis c’est au tour de Madame Ebadi de lire en persan le message adressé par Nasrin Sotoudeh, véritable réquisitoire dénonçant un système d’oppression installé depuis trente ans. Elle adresse ses salutations depuis la prison d’Evin où elle est enfermée. Ce prix Sakharov est pour elle « source de fierté et un encouragement à poursuivre ma lutte avec patience ». Elle dit son rêve, « un rêve de justice, car l’Iran a droit à des élections libres », dénonce les pressions subies par ses avocats, l’un d’eux ayant été condamné à treize ans de prison pour avoir défendu des militants des droits de l’Homme. « La voix de la démocratie est longue, aussi ne faut-il pas perdre l’espoir, malgré les difficultés ». Elle cite les noms de Martin Luther King, de Nelson Mandela, qui ont connu le sort que l’on sait. « La torche de la liberté ne s’éteindra jamais ». Les députés applaudissent et se lèvent. Mais pas tous, car je remarque en haut et à droite de l’hémicycle que ni Marine Le Pen ni son père, tous deux élus européens, n’ont applaudi ni daigné se lever. Ce combat n’est évidemment pas le leur.

Puis c’est au tour de Costa-Gavras de prendre la parole pour rappeler la mobilisation du Festival de Cannes en 2010 (la chaise vide avec le nom de Jafar Panahi invité à faire partie du jury), de la Cinémathèque française, de la SACD, de la SRF, de l’ARP, de la Scam, et de nombreux festivals internationaux (Berlin, Venise, Locarno, Toronto), d’associations culturelles, d’organisations professionnelles, la signature d’une pétition par des centaines et des centaines de cinéastes et acteurs du monde entier, soutenant Jafar Panahi et d’autres cinéastes, acteurs et producteurs iraniens emprisonnés. Costa-Gavras lit ensuite le message de Jafar Panahi, un texte impeccable et d’une grande dignité. Quelle est la signification pour Jafar Panahi, d’être privé du droit d’exercer la seule chose qu’il sache faire et qu’il aime : filmer ?

Je mets son message en annexe, afin que chacun puisse en prendre connaissance et le faire circuler. J’ai ressenti durant toute la cérémonie une réelle émotion, un sentiment d’une prise de conscience commune. J’ai vu les députés interrompre la lecture des messages par leurs applaudissements. Le seul fait de pouvoir ainsi s’exprimer devant les élus de toute l’Europe me paraît être quelque chose de très significatif. Le fait que le Parlement européen accorde ce prix Sakharov à deux personnalités soumises à des conditions de vie insupportables, l’une en prison, l’autre menacé chaque jour de devoir y retourner, est un message de haute portée symbolique et politique. Après cela nous rejoignons la salle de presse pour répondre aux questions des journalistes. Le temps passe, tout est minuté, partout dans le vaste Parlement, des affiches du « Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit 2012 », accordé à Nasrin Sotoudeh et Jafar Panahi, sont apposées. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est un honneur pour la Cinémathèque française de recevoir ce prix, et que nous avons hâte de le remettre en mains propres à Jafar Panahi. Dès que possible. Vite. Dès qu’il sera libre de mouvement. Libre de faire des films.

Costa-Gavras

Texte du discours de Jafar Panahi lu par Costa-Gavras

Ladies, Gentlemen,

First, I would like to express my apology for not being among you today, in spite of my desire. However, I am not sure who should be apologizing here: me or others!

Therefore, I would like to express my gratitude to the founders and the organisers of the Prize ans salute Andrei Sakharov, whose fight for human rights and freedoms became an excellent opportunity to talk about human beings and their basic rights…

Two years ago, upon receiving my sentence, a friend asked me if I knew what the exact meaning of the sentence was. According to this friend, the message carried by the sentence was for me to run from my country and never come back. I still don’t know if his interpretation was correct. However, if it was, I never understood why I had to leave my country that I loved dearly. This love goes way beyond the geographical boundaries. Am I not a film maker with societal concerns?

As a film maker, I am inspired by the society I live in. My creation is the result of a personal perception of facts of life and ontological experiences in a specific society, during a lifetime. Run or live with the sword of Damocles above my head? That was the question. Evidently, I chose to stay, even though I knew that I could no longer take my camera into the heart of the society and do the only thing that I know how to do: film making… Not making films is a slow death for a film maker.

And whenever I decided to prevent this, anxiously and hidden, make a movie in a closed secret space, I knew that I had to face all the consequences.

Now the question is: why the governments, the all mighty and the powerful, become more intolerant every day? History is the narrative of a few, making the life of many miserable, while using the most unacceptable excuses: difference of race, sex, language, religion and political ideas.

Unfortunately, the authorities in my country are becoming so intolerant that they can’t even stand an independent journalist or a film maker. These last few days, Safar Beheshti, a blogger whose weblog had only 8 visitors, was imprisoned, and after a few days his family was asked to collect his body. He shared the unfortunate fate of the student of cinema Amir Javadifar, and others, after the silent march of protest few years back.

Many lawyers were imprisoned for defending the imprisoned demonstrators. Nasrine Sotoudeh is the outstanding example of such a situation.

Sadly enough, we can go on mentioning many cases of extreme injustice in Iran and in many other countries all around the world. However, this is not my intention today.

Right at the moment, my fears go beyond concerns about basic human rights. I fear war and I want to depict a vision that speaks to this fear. Imagine a time when any form of artistic work or practice has vanished and, instead, all you have is an array of weapons confronting bewildered humans.

Perhaps this image seems unrealistic to some. However, it can easily become a tangible reality that we all reconcile ourselves to. I am saying this because right now the spectre of war is haunting our world – to an extent we have never seen before, world powers have become more intolerant every day and almost appear to have a conscious determination to spread ugliness.

Intolerance and then war will pave the way for this. Perhaps Andrei Sakharov imagined a scene like my ‘unreal’ vision when he decided to oppose war upon awareness of the destructive potential of the hydrogen bomb. We must keep in mind that a small war now can lead to many and bigger wars in future. If this happens, human rights will not matter a iota.

Thank you for your patience.

Jafar Panahi

November 2012

 

Extrait vidéo de la cérémonie de remise du Prix Andreï Sakharov, le 12 décembre 2012

À Marseille pour parler de Daney, de Pialat…

Posté dans Cinéma le 9.12.2012 par serge toubiana

Deux jours à Marseille. Frappé par la beauté incroyable de cette ville, qui ne ressemble à aucune autre ville de France. Il y a du mistral. Philippe Bérard vient nous chercher à la gare Saint-Charles, vendredi en fin d’après-midi. J’ai voyagé avec Patrice Rollet, nous participons ensemble à une « Carte blanche à Serge Daney » organisée par dfilms (elle dure jusqu’au 16 décembre, pour voir toute la programmation sur demande : dfilms@orange.fr). De la gare Saint-Charles jusqu’à notre hôtel, nous marchons une bonne dizaine de minutes. Nous descendons les escaliers de la gare en évoquant ensemble les scènes tournées par Jacques Demy dans son dernier film, Trois places pour le 26. Le temps de bavarder, avant le rendez-vous fixé à 19 heures au Centre international de poésie, Marseille, dans le quartier du Panier. Très peu de monde, nous sommes déçus. Cela n’empêche pas la conversation entre Patrice Rollet et moi d’être amicale et profonde. Chacun à notre tour, nous évoquons le parcours de Serge Daney, d’abord aux Cahiers du cinéma, puis à Libération, enfin à Trafic. Je me souviens que Serge Daney, malade, avait été invité à Marseille en février 1992. Il était venu parler de cinéma, de son expérience de critique, et de son projet de fonder une nouvelle revue, qui sera Trafic. Je lui avais donné rendez-vous à Aix-en-Provence, et nous avions passé un long week-end à faire un très long entretien pour un livre à venir dont il avait choisi le titre : Persévérance. Serge mourut avant de terminer de réécrire cet entretien. Persévérance parut deux ans plus tard chez POL, l’éditeur de Serge Daney.

Vendredi soir, il a été question des années 70, de la fin de la période noire et triste des Cahiers, de la volonté de Serge de prendre en charge la revue. Je me souviens de cette réunion historique, dans le bureau des Cahiers du cinéma, encore installés rue Coquillière. Réunion de crise. Qui veut bien se charger de la revue ? Serge avait levé la main, timidement, en disant qu’il avait du temps devant lui. Aucune volonté de pouvoir, aucune volonté de se mettre en avant. Juste le dévouement : Serge avait du temps, il revenait de longs voyages solitaires à travers le monde. Il avait enfin trouvé son port d’attache : cette revue pour laquelle il avait le désir de consacrer toute son énergie. Le temps du cinéma allait revenir, patiemment. Serge allait prendre un réel plaisir à « faire les Cahiers », à les fabriquer de ses mains. Cela correspond pour moi à un temps de formation, d’apprentissage. J’étais heureux d’être à ses côtés. Le dialogue avec Patrice Rollet dure plus d’une heure. Il aurait pu durer bien davantage encore.

Samedi, Philippe Bérard m’emmène au cinéma l’Alhambra, la belle salle municipale de L’Estaque. J’y présente L’Enfance nue de Maurice Pialat. Je revois le film avec émotion, tellement ce film est fait sur l’arrachement, le caractère irréductible de l’enfance abandonnée. Dès son premier long métrage, Pialat filme au plus près de l’os. Pas de graisse, aucun pathos. Le petit François, il faut le prendre tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. « Sournois et vicieux », dit de lui la mère adoptive qui s’en débarrasse, après qu’il ait tué, par pure cruauté, le chat noir de sa fille Josette. François retourne à l’Assistance publique, avant d’être placé chez les Thierry, ce couple magnifique qui l’aime comme un fils. Mais François continue de faire des bêtises.

Après la projection j’évoque le cinéma de Pialat, la relation qui nous liait, au fil des années, complexe mais dense, jusqu’à sa mort le 11 janvier 2003. Je parle de l’hommage que nous rendrons en février 2013 au cinéaste, avec l’intégrale de son œuvre et l’exposition de ses peintures, mais aussi de ses archives que Sylvie Pialat a confiées à la Cinémathèque française. Pialat et la peinture. Pialat et le cinéma. Pialat et la Nouvelle Vague. Irréductible Maurice Pialat. Génial Maurice Pialat.

P.S.: Un autre hommage à Serge Daney se déroule à Marseille, organisé par Extérieur  Nuit (Michèle Berson), intitulé : « Serge Daney, une pensée en forme de boussole ». Du 16 novembre au 15 décembre 2012. Voir la programmation complète en allant sur : http://www.exterieurnuit.fr/programme-complet.html

Étrange situation de la cinéphilie marseillaise, qui propose deux initiatives simultanées, toutes deux consacrées à Serge Daney. Manque de coordination ? Rivalités locales ? Impossible de comprendre…

 

Conversation avec Jean-Louis Trintignant

Posté dans Cinéma le 21.10.2012 par serge toubiana

Dimanche dernier, j’avais bien préparé les quelques questions que je voulais poser à Jean-Louis Trintignant, à l’occasion de sa venue à la Cinémathèque. J’avais aussi revu Le Grand silence, le film réalisé par Sergio Corbucci en 1968 dans lequel Trintignant joue le rôle d’un justicier muet. Ce film précédait notre conversation, la salle était pleine. Trintignant a d’emblée dit qu’il trouvait le film médiocre, tout en affirmant que Corbucci était intelligent mais paresseux. J’aime assez Le Grand silence, vu il y a belle lurette à l’époque où les « westerns spaghetti » étaient à la mode, ces films tournés en Espagne vers le milieu des années soixante, avec des acteurs de série B affublés de faux patronymes américains. Dans le genre, le film de Corbucci fait figure d’ovni, tellement la mise en scène est soignée, élégante. Avec un arrière-fond politique, qui s’explique par la période : on y voit le peuple errer à la recherche de nourritures, puis se faire massacrer. La violence y est omniprésente, mais soumise à une sorte de distance critique, osons dire « brechtienne ».

Jean-Louis Trintignant racontait dimanche qu’il devait un film à un ami producteur italien fauché ; il accepta donc le rôle à condition de ne pas dire un mot. D’où ce personnage muet. « Après son passage, il ne reste que le silence et la mort », dit une femme dans le film à son propos. Le plus étonnant c’est que ce western fut entièrement tourné dans la neige. Du coup, les chevaux avançaient moins vite, disait Trintignant, qui n’était pas très bon cavalier. Tourné à Cortina d’Ampezzo, il arrivait que des skieurs traversent le champ…

La carrière de Jean-Louis Trintignant au cinéma est conséquente, environ cent trente films. Sa carrière italienne commence à la fin des années cinquante et elle est magnifique, grâce à quelques rencontres formidables. La première fut avec Valerio Zurlini, Un été violent (1959). Le rôle était destiné à Jacques Perrin qui n’était pas libre – il fera le film suivant de Zurlini, La Fille à la valise, avec Claudia Cardinale. En 59, Trintignant revenait du service militaire et était encore tout auréolé de sa participation dans Et Dieu créa la femme de Roger Vadim avec Brigitte Bardot. Sorti en 1956, le film fut un énorme succès et un choc médiatique, grâce à Bardot. Trintignant parla avec émotion de Zurlini, cinéaste mélancolique dont la carrière fut hélas trop brève, une dizaine de films à peine (Il faut voir Le Professeur, avec Alain Delon). Le cinéaste est mort à 56 ans en 1982…  Il évoqua également Le Fanfaron de Risi avec Vittorio Gassman, le film fit un triomphe en Italie et reçut un très bon accueil critique en France. Jeune homme timide, introverti, à côté d’un Gassman extraverti et déluré. Gassman était surtout un grand acteur de théâtre, tandis que la « comédie italienne » était en quelque sorte accaparée par Alberto Sordi, Marcello Mastroianni et Ugo Tognazzi. Avec Le Fanfaron, Gassman prouva qu’il était en mesure d’élargir son registre d’acteur.

Zurlini, Risi, Tinto Brass, Bertolucci (Le Conformiste), Comencini, Ettore Scola, Gianni Amélio, et quelques autres… Trintignant a donc souvent traversé les Alpes pour faire une belle carrière italienne. Rome était à l’époque une capitale du cinéma, ce qui n’est hélas plus vrai. Au cours des années 60, il enchaîna film sur film, les plus notables étant Le Combat dans l’île (Alain Cavalier), Un homme et une femme (Lelouch), Les Biches (Chabrol), Z (Costa-Gavras) et Ma nuit chez Maud (Rohmer). Sa relation avec la Nouvelle Vague se fit en pointillés. On peut citer Le Cœur battant de Jacques Doniol-Valcroze, ce dernier faisant une apparition dans Une journée bien remplie (1972), le premier des deux films réalisés par Trintignant, l’autre étant Le Maître-nageur sorti en 1978. Bien qu’il ait fait l’Idhec (dans la même promotion que Cavalier et Malle), Trintignant bifurqua vers le théâtre, sa passion première. Il le raconte bien dans un livre, Du côté d’Uzès, fruit d’une longue conversation avec André Asséo (paru aux éditions Le Cherche-Midi). Lelouch vs Godard : il fallait choisir et Trintignant a choisi (5 films avec Lelouch).

Côté Truffaut (dont c’est aujourd’hui le jour anniversaire de son décès, le 21 octobre 1984), les choses auraient pu tourner autrement. Trintignant a parlé dimanche à la Cinémathèque d’une lettre qu’il écrivit à Truffaut en 1979 : « J’aurais adoré être dans vos films, vous auriez été content et j’aurais été bien… Je me considère comme un homme qui a du temps pour faire ce qu’il aime. » Sans doute fait-il allusion aux rôles que Truffaut interpréta dans ses propres films : L’Enfant sauvage, La Nuit américaine et La Chambre verte. Mais après avoir vu La Chambre verte, Trintignant avoua qu’il n’aurait pas fait mieux, trouvant Truffaut excellent dans ce rôle de gardien halluciné de la mémoire des morts. Quelques années plus tard Truffaut et lui se trouvèrent enfin à l’occasion de Vivement dimanche ! Dans une lettre envoyée avant le tournage, Truffaut écrivit ceci à Trintignant : « Si vous acceptez ce rôle, nous adopterons une démarche souple, genre mocassins ». J’aime beaucoup cette formule du film souple et à la démarche facile. Truffaut aimait les acteurs qui jouaient un peu faux, dit encore Trintignant, ce qui n’est pas faux. J’ai toujours pensé qu’il y avait une certaine ressemblance entre les deux hommes, même taille, même gabarit, même fragilité, même timidité. « Il était facile de jouer avec Truffaut, dit encore Trintignant, peut-être trop facile. Le scénario de Vivement dimanche ! n’était pas terrible, plein d ‘invraisemblance. Sur le tournage, Truffaut voulait que tout le monde soit heureux. Il a fait ce film pour Fanny, dont il était amoureux. »

Au cours des années 90, Trintignant s’est fait beaucoup plus rare au cinéma. Un choix de vie. Il disparaît presque des écrans radar depuis 2000. Mais il y a Rouge de Kieslowski, dans lequel il joue le rôle d’un homme solitaire et misanthrope, un juge, comme dans Z. Et puis vint le miracle Michael Haneke. Trintignant fut une des voix de doublage dans la version française du Ruban blanc. Je me souviens de sa venue, très discrète, le soir en 2009 où la Cinémathèque présenta Le Ruban blanc en avant-première, parallèlement à la rétrospective complète des films du cinéaste autrichien. Haneke avait très envie de diriger Trintignant dans un prochain film. Il écrivit le scénario de Amour en pensant à lui. Trintignant s’était juré de ne plus faire l’acteur au cinéma. Il accepta la proposition de Haneke et Margaret Menegoz, la productrice des Films du Losange. Il faut voir Amour, qui sort mercredi prochain.  Ne serait-ce que pour voir Trintignant et Emmanuelle Riva qui sont absolument magnifiques. Le film est tenu, sur le fil des émotions. Trintignant y est grave, un homme usé et boitillant. Mais sur son visage apparaît toujours cette lueur, cette légèreté des grands acteurs.

J’avais très envie, à la fin de notre conversation dimanche dernier, de lui faire une déclaration d’amour. Lui dire que si la Cinémathèque française lui rend hommage en programmant une cinquantaine de films dans lesquels il a joué, c’était parce qu’il avait accompagné nos vies de cinéphiles, dans des films qui balaient tout le spectre du cinéma. Des films d’auteurs, des films populaires, des films vus et revus, en salles et à la télévision. Trintignant appartient, avec quelques très rares acteurs (bien sûr Michel Piccoli) à notre paysage intime et mental. Il y est pour la vie.

Le dernier film de Christine Pascal

Posté dans Cinéma le 13.10.2012 par serge toubiana

Ce samedi  matin, j’ai vu un film étonnant, unique dans son genre. Un film tiré du néant. Bouleversant. Son titre : Adultère, mode d’emploi – Journal d’un montage. Jacques Comets, monteur et enseignant le montage à La fémis, m’avait convié à cette projection, en prenant des gants : « Cela me ferait plaisir que tu viennes, tu verras, c’est un film étrange, qui a été possible à partir du moment où nous avons retrouvé les bandes de Hi8 tournées pendant le montage du film de Christine Pascal, Adultère, mode d’emploi, en 1994, quelques mois avant la mort de l’actrice et réalisatrice ».

Curieux, je suis venu. La projection avait lieu au Saint-Germain des Prés, il y avait là des amis de Christine Pascal. Bertrand Tavernier, qui l’a souvent dirigée dans ses films (L’Horloger de St Paul, Que la fête commence…, Des enfants gâtés, Le Juge et l’Assassin, Autour de minuit) ; Bruno Coulais qui a composé la musique du film, Renato Berta qui en a fait la lumière. Lorsqu’elle a présenté Journal d’un montage dont elle est la réalisatrice, Annette Dutertre a elle aussi pris des gants : vous allez voir, l’image est dégueulasse, le son médiocre, il n’est pas sûr que ce soit un film… Vite, que la séance commence. Journal d’un montage dure une heure trente ou quarante, et suit au jour le jour le montage du dernier film de Christine Pascal. C’est un film de cinéma, sur le cinéma, dans le cinéma : il en montre les secrets de fabrication, il en dévoile le mécanisme intime.

Il existe une multitude de making of, et ce depuis des lustres. Cela consiste en général à faire un peu de tourisme durant le tournage d’un film, à interroger le réalisateur et les vedettes, à saisir une ou deux scènes au tournage. Le tour est joué, la promotion assurée. Là, c’est tout autre chose : suivre un film en cours de montage, dans ce moment d’écriture très particulier où le film trouve lentement sa forme et son rythme, sa musique, se discute et sort des limbes. En 1994, on montait encore sur pellicule, avant l’arrivée de l’Avid, c’est-à-dire du montage numérique. Jacques Comets est de tous les plans, à la table de montage, gai et plein d’humour, heureux de travailler dans une totale complicité avec Christine Pascal. Annette Dutertre est son assistante monteuse. Par jeu, ils ont pris le parti de se filmer, sans que cela ne modifie en rien leur attitude et leurs gestes. Ces images sont restées pendant longtemps dans une boîte, jusqu’à ce que Annette Dutertre décide d’en faire un film.

La salle de montage à Joinville est une sorte de caverne, on y vit dans le noir ou la pénombre, pour le film et par le film. Le dehors n’existe pas. C’est l’antre du cinéma. Sans hors champ. Ça fume beaucoup, ça rit et ça rêve, et le film peu à peu trouve sa langue propre. Christine Pascal est radieuse, elle rit, elle rit, son rire est à répétition, elle charme et l’actrice transparaît souvent derrière la réalisatrice. Elle est d’une beauté stupéfiante. Moment magique : un matin elle arrive à la salle de montage fatiguée car elle n’a pas beaucoup dormi de la nuit. Tandis que Jacques Comets se met à sa table de montage, elle s’allonge sur un lit de camp et s’endort. C’est un moment absolument bouleversant, d’abandon total (le film peut se faire sans elle, il est dans de bonnes mains). Christine Pascal s’endort et retourne en enfance, laissant son film se faire après l’avoir confié à un ami. Le cinéma sort du rêve, il en est le prolongement éveillé. C’est le sentiment qui transparaît dans ce beau film qu’il faut programmer dans toutes les cinémathèques et les écoles de cinéma du monde entier.

Adultère, mode d’emploi parlait du sexe et ce de manière osée. Au cours du montage, Christine Pascal s’amuse de l’avoir fait, et en même temps, on sent qu’elle en a peur. Jusqu’où aller, que peut-on montrer et que ne peut-on pas montrer ? Et les acteurs, comment les amener à faire des choses qu’ils n’osent pas faire ? C’est aussi pour cela qu’elle s’endort, qu’elle se retranche durant un moment du montage et du monde des adultes. Mutine et rieuse, adorable d’intelligence et de sincérité, on a du mal à croire qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre. Tiré d’une boîte noire où il était endormi depuis dix-sept ans, ce film sur le film est aujourd’hui visible. Grâce à Anne Dutertre qui l’a réalisé, et Jacques Comets qui l’a produit avec Arnaud Dommerc, avec l’aide de la Région Île-de-France. Il est un film de plus, essentiel, vital et bouleversant, dans l’œuvre intense de Christine Pascal qui, rappelons-le, n’avait réalisé que cinq films : Félicité (1979), La Garce (1984), Zanzibar (1989), Le Petit prince a dit (1992), et Adultère, mode d’emploi (1995).

Marcel Hanoun

Posté dans Cinéma le 24.09.2012 par serge toubiana

Le cinéaste Marcel Hanoun est décédé, samedi 22 septembre 2012 au soir, à la suite d’un arrêt cardiaque à l’âge de 82 ans.

Né le 26 octobre 1929 à Tunis, installé à Paris dès l’après-guerre, il est d’abord photographe et journaliste, avant de réaliser des films, d’écrire sur le cinéma et de fonder une revue, Cinéthique en 1969. Il est entre autres l’auteur de Cinéma cinéaste, paru en 2001 (éditions Yellow Now).

En 1959 Une simple histoire le fait remarquer, en particulier par Jean-Luc Godard, et signale d’emblée son importance singulière : un récit dramatique tiré d’un fait divers, mais raconté avec une économie de moyens inédite, en 16 mm, un montage et un commentaire novateurs, un refus de l’émotion immédiate comme le prix d’un véritable humanisme.

Dès lors et pendant 50 ans, Marcel Hanoun œuvre par et pour le cinéma : quelque 70 fictions et documentaires de toute durée, dans tous les formats, sur tout support, et ne relevant d’aucun genre institué sauf de l’essai filmé et de l’expérimentation continue. Une œuvre qui a toujours su allier l’absence de moyens matériels à l’inventivité formelle : Octobre à Madrid (1967), L’Été (1968), L’Automne en 1971 et Le Printemps en 1972 (deux films avec Michael Lonsdale), La Vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu (1974), Otage (1989), Je meurs de vivre (1994), Chemin d’humanité (1997), Jeanne, aujourd’hui (2000), Cello (2010).

Dans L’Authentique Procès de Carl-Emmanuel Jung (1967), l’un de ses plus beaux films (en partie produit par Jean-Luc Godard et monté avec Jean Eustache), il invente une mise en scène simultanément documentée et allégorique du jugement d’un criminel de guerre nazi. Le film suscite une réflexion et une émotion intense, en ayant recours à une diction dénuée affects apparents, « paroles atonales, sans passion, pour dire l’horreur sans mesure du crime nazi » (M. Hanoun).

Récemment, déjà malade, il signait Insaisissable Image en 2007, tourné avec un simple téléphone portable : un film sur sa vie d’alors, soumise au rythme implacable des dialyses. Et un film de vie, léger et inspiré, drôle, manifestant à chaque plan un amour du monde et du cinéma, une croyance inébranlable en leurs beautés et puissances conjuguées.

En mai 2010 la Cinémathèque française lui rendait hommage, en sa présence, en projetant l’intégralité de ses films. En prévision de cet événement et depuis lors, avec la complicité attentive du cinéaste, la Cinémathèque française a mené et continue de mener un travail de sauvegarde et de restauration de son œuvre.

Une rétrospective de ses films est prévue au Saint-André des Arts, du 14 novembre au 11 décembre 2012, sous le titre : Marcel Hanoun, Un Autre Regard. Cello (2009, 70 minutes) y sera projeté en avant-première, le 26 octobre à 20 heures.